Histoire de l’Europe

Des Nations à la construction communautaire

, par Ronan Blaise

Des Nations à la construction communautaire

L’Europe unie, l’Europe fédérale, pour quoi faire ? On ne saurait vraiment répondre de façon satisfaisante à de telles questions qu’en les replaçant dans une perspective historique large : celle de l’histoire de notre continent depuis désormais près de quatre cent ans.

Pourquoi unie ? Et pourquoi unie dans le fédéralisme, donc ? Précisément parce que c’est là, en fait, très probablement le seul moyen de conjurer cette maladie à l’origine décidément (et malheureusement) bien européenne : le nationalisme...

L’Europe est le continent où historiquement, aux Temps modernes (i. e : aux XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles), est ’’né’’ et s’est ’’imposé’’ le concept de l’Etat-nation [1]. Or on en a vu les bien tristes résultats.

1618-1948 : la ’’guerre-de-plus-de-Trente-ans’’, ou le Martyrologue européen

Depuis les Traités de Westphalie (1648), l’Europe a, au nom du principe de la ’’souveraineté absolue’’ des Etats et au nom des ’’Etats dynastiques’’ devenus ’’Etat-nations’’ en gestation, connu au moins trois grandes guerres continentales [2] et donné naissance à au moins deux guerres d’ampleurs mondiales [3] [4], et causant alors à la seule Europe, à force de meurtres de masse, environ soixante millions de morts (soldats et civils compris).

Détail : Deux millions de soldats pendant la guerre de trente ans (1618-1648), trois millions dans les guerres de Louis XIV (de 1661 à 1715), un million et demi dans les ’’guerres en dentelles’’ du XVIIIe siècle (entre 1739 et 1763), deux millions et demi dans les guerres de la Révolution française et de l’Empire napoléonien (de 1792 à 1815), près de cinq cent mille dans les conflits armés du XIXe siècle, huit millions pendant la première guerre mondiale (1914-1918), quatorze millions pendant la seconde (1939-1945) : comptabilité macabre qui s’alourdit des hécatombes de civils (surmortalité, famines, épidémies, économies déréglées ; voire attaques directes, populations déplacées, massacres et tentative génocidaires...) [5].

Bien sur, le nationalisme n’est pas la seule et unique cause de nos guerres européennes où jouent aussi de nombreux facteurs et paramètres de nature idéologiques, politiques (dynastiques) et économiques (par exemple), mais force est néanmoins de constater que les ’’passions nationales’’ et ’’nationalistes’’ ont (avec, secondairement, la Religion) néanmoins été les meilleurs moyens d’instrumentaliser les masses pour les envoyer au combat et les faire s’entretuer, qu’elles qu’en soient les raisons profondes, parfois effectivement tout autres.

Egoïsme national et Nationalisme, causes de tous nos malheurs :

Ainsi, comme l’a très bien dit en son temps le dramaturge autrichien Franz Grillparzer (1791-1872), héritier des lumières qui vécut au temps du réveil des nationalismes européens : on peut très bien ’’aller de l’Humanité à la bestialité en passant par la nationalité’’... (une phrase ’’clef’’ que l’on trouve en exergue sur la page de ’’une’’ de la revue autrichienne intellectuelle et europhile ’’Europaïsche Rundschau’’ ; - )) ...

Par ailleurs, on voudra bien admettre que jusqu’aux prémices du processus de construction européenne et de la recherche d’un ’’vouloir-vivre-ensemble’’ européen, l’ordre international (européen comme mondial) n’était fondé que sur des rapports de force dictés par la prédominance hégémonique et unilatérale (mais temporaire) des uns sur les autres.

Ainsi, le Congrès de Vienne nous a apporté les explosions nationales du XIXème siècle, destabilisatrices pour tout le continent à partir de 1848. La ’’paix’’ franco-allemande de Francfort (1871) et les Congrès ’’européens’’ de Berlin (mars 1878 et novembre 1884) nous ont apporté la Première guerre mondiale. Le Traité de Versailles (1919) nous a apporté la seconde guerre mondiale. Et si Yalta (1945) ne nous a pas apporté la guerre sur notre continent, c’est parce que nous n’en parlons qu’au singulier et en considérant guère que la seule Europe... (et encore...) [6].

Le projet d’une Europe unie, dans le fédéralisme, pour la paix :

D’où l’intérêt de chercher à établir en Europe une véritable paix fondée non pas sur quelque hégémonie temporaire, sur quelque domination unilatérale ni la victoire précaire des uns sur les autres, mais sur la mise en place d’une véritable volonté de ’’vivre ensemble’’ dans le ’’dépassement des frontières’’, dans le respect de chacun et selon des modalités où la Démocratie et l’Etat de Droit se conjugueraient avec un véritable désir de vivre ensemble ’’unis dans la diversité’’ et dans un désir de Paix véritable, paix européenne et paix universelle.

Car ces siècles de fer ont aussi été ceux du rêve d’une Europe et d’un monde sans guerre : ’’Projet de paix perpétuelle’’ de l’Abbé de Saint-Pierre (en 1713), ’’Projet philosophique de paix perpétuelle’’ d’Emmanuel Kant (en 1793), ’’Appel pour les Etats-Unis d’Europe’’ de Victor Hugo (en août 1849), etc.

Jusqu’aux divers projets que présentèrent dans l’entre-deux guerres le comte Richard Coudenhove-Kalergi (en 1923), Edouard Herriot (en 1925), le Comte italien Sforza (en 1929), Bertrand de Jouvenel (en 1930) et Aristide Briand (en septembre 1929, devant la SDN) ou des intellectuels anglo-saxons et/ou britanniques comme Lord Lothian, Lionel Robbins, Lionel Curtis ou William Beveridge. [6] Avant que ces idées ne retrouvent des échos prometteurs au sein des résistances européennes, durant la seconde guerre mondiale avec -notamment- le ’’Ventotene Manifesto’’ d’Altiero Spinelli et Ernesto Rossi (1941).

La construction européenne se doit donc d’être vue, de notre point de vue, dans notre perspective -historiquement, politiquement et philosophiquement - comme un remède à une maladie bien européenne : le nationalisme, cause ou instrument des rivalités inter-étatiques, elles-mêmes causes ou instruments de guerres fratricides et destructrices.

Il faut donc considérer le processus de construction européenne, ce processus de construction politique original, dans la perspective fédéraliste ’’de l’union sans cesse plus étroite’’. Afin de rendre enfin possible une paix qui soit autre chose que la seule absence temporaire (mais précaire) de guerre. Et pour surmonter les frontières qui divisent l’humanité ; pour rendre enfin possible la paix véritable entre européens, voire au-delà...

Ici il s’agit donc bien, non d’examiner la seule lente mise en place (principalement durant la cette seconde moitié du XXème siècle...) d’un ’’vouloir-vivre-ensemble’’ européen aux finalités pacifistes (dans ses strictes modalités techniques d’intégration politique...) mais aussi de voir dans quelle mesure les fédéralistes européens ont effectivement joué un rôle historique indéniable et décisif dans la mise en place de ces processus...

Illustration : carte de l’Europe en 1648, source : Wikicommons.

Ce document a été publié, en février 2006, à l’occasion du séminaire de formation de Tours ; document ’’retoqué’’ et republié en février 2007, à l’occasion du séminaire de formation de Nancy).

Mots-clés
Notes

[1Même si les puissances européennes ont, depuis lors, lors de l’expansion ’’coloniale’’, ’’exportés’’ ce modèle ’’stato-national’’ bien au-delà de nos strictes ’’limites’’ continentales...

[2i. e : la ’’guerre de Trente ans’’ (de 1618 à 1648), les ’’guerres en dentelles’’ du XVIIIème siècle (exemple : la guerre franco-anglaise dite de sept ans : de 1756 à 1763, etc) puis ce que nous appelons en France les ’’guerres de la Révolution et de l’Empire’’ (de 1792 à 1814/1815).

[3Encore qu’on pourrait très bien, de par l’extension des théâtres d’opérations concernés et par le nombre croissant de régions impliquées d’une manière ou d’une autre dans ces guerres, donner ce qualificatif de ’’mondial’’ aux conflits précédemment cités...

[4Et si on n’est finalement passé que tout près de la ’’Troisième guerre mondiale’’, plus idéologique que nationale, ce n’est que dans l’équilibre de la Terreur et dans la peur de la destruction mutuelle... Ce qui n’a néanmoins pas interdit pour autant l’explosion ou la perpétuation de conflits d’essence ’’nationaliste’’ en Europe même : Irlande du nord, au Pays basque, en ex-Yougoslavie, dans le Caucase, etc.

[5Chiffres tirés de ’’Les grands jours de l’Europe 1950-2004’’ (ouvrage cité dans la bibliographie de référence) (ici : pages 7 et 8).

[6Parmi les ouvrages clefs parus à cette époque, on citera : ’’Pan Europe’’ du Comte Richard Coudenhove-Kalergi (en 1923), ’’les Etats-Unis d’Europe’’ du Comte Sforza (en 1929), ’’Vers les Etats-Unis d’Europe’’ de Bertrand de Jouvenel (en 1930), voire ’’Europe’’ d’Edouard Herriot (en 1930) ainsi que ’’Pacifism is not enough nor Patriotism either’’ de Lord Lothian (1935) et les nombreux ’’Essais’’ de Lionel Curtis (parus entre 1934 et 1945), etc.

Vos commentaires
  • Le 4 juin 2007 à 15:13, par calvinus En réponse à : Des Nations à la construction communautaire

    Merci, Ronan, de mettre les poings (ce n’est pas une faute d’orthographe !) sur les i. L’état-nation, voilà l’ennemi pour le fédéralisme européen.

    Avec tout le respect dû à Delors pour ce qu’il a su faire au sein de la technocratie communautaire, cessons de parler d’ « unir des peuples et des états-nations ».

    La plupart des états-nations d’Europe sont des structures où une nation en a opprimé une ou plusieurs autres et continue, plus ou moins, de le faire. Quant aux « peuples », de quoi sont-ils faits ? De citoyens, qui, collectivement, détiennent la souveraineté.

    Pour nous préserver d’une continuation du « martyrologue européen », ce sont les citoyens qu’il faut appeler à se fédérer en déléguant à l’état fédéral européen les compétences qui lui permettra d’assurer leur protection et leur prospérité, tout en laissant aux vieilles structures étatiques ce qu’elles peuvent encore faire pour les « nations » en leur sein.

    Quant à la « construction communautaire », n’est-ce pas le fédéralisme enseigné aux citoyens à la manière dont on enseignait les langues ? « Répétez après moi... ». Mais on voit des élèves se rebeller. Autant les convaincre de l’utilité du langage, leur exposer la gramaire et la syntaxe, les initier au vocabulaire et... les appeler à prendre la parole !

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