Interview

Dominique Reynié : les Européens demandent un renforcement du rôle de l’Union européenne

L’Opinion européenne en 2007

Dominique Reynié : les Européens demandent un renforcement du rôle de l'Union européenne

L’Opinion européenne en 2007 vous permettra de ne pas en rester a notre vision nationale de nos débats nationaux. Le Taurillon ouvre ses colonnes a Dominique Reynié pour revenir avec lui sur cette ouvrage, entre autres sujets.

Taurillon : M. Reynié, pourriez-vous nous présenter L’Opinion européenne en 2007 publié sous votre direction ?

Dominique Reynié : Permettez-moi d’abord de souligner que la série est désormais solidement installée dans notre paysage éditorial : 2007 représente la 8e édition de L’Opinion européenne. Cela n’aurait pas été possible sans le soutien de la Fondation Robert Schuman et de son président Jean-Dominique Giuliani.

Cette nouvelle livraison veut mettre en lumière la proximité entre les grands problèmes économiques et sociaux rencontrés par les Européens aujourd’hui : les tensions en matière de finances publiques, de fiscalité, la question du salaire minimum, des retraites, etc. L’aspect technique de ces dossiers ne doit pas faire oublier les questions fondamentales que le nouveau siècle pose et posera aux Européens.

Nous avons en commun une façon de vivre et d’ordonner nos sociétés dont témoignent l’histoire européenne des États, l’histoire de nos systèmes de protection sociale ou encore les débats politiques aujourd’hui présents dans chacun des pays membres. Il y a la globalisation, mais il y a tout autant la variable démographique. Le vieillissement accéléré de notre continent, permet de prévoir la montée en puissance de ces enjeux, et dans un sens largement convergent. Tel est l’esprit de l’édition 2007 de L’Opinion européenne.

Taurillon : La dimension européenne est souvent absente des politiques proposées dans les programmes des candidats. Est-ce par méconnaissance ou est-ce volontaire ?

Dominique Reynié : Ce n’est certainement pas par méconnaissance. En dehors de conjonctures particulières — par exemple on sait que les élections de 2007 en France ont été influencées par le référendum négatif de 2005— on peut imaginer plusieurs explications. D’abord, dans tous les pays de l’Union, les classes politiques vivent mal l’européanisation de la puissance publique. Elles se sentent dessaisies, dépassées, poussées à la reconversion.

Ensuite, nos démocraties demeurent nationales : le pouvoir est donné à ceux qui semblent les plus capables d’agir à partir de l’État, c’est-à-dire dans le cadre de la nation. Moins on parle de l’Europe, plus on laisse penser que l’on possède la force nécessaire pour agir. Enfin, se référer à l’Europe, c’est prendre le risque d’invoquer une puissance aux contours flous, au fonctionnement complexe, aux décisions controversées.

Les candidats périphériques parleront davantage de l’Union, pour la louer ou, plus souvent, pour pester contre, selon leurs clientèles électorales, mais les partis et les candidats centraux doivent être prudents parce qu’ils ont des chances d’accéder aux fonctions de gouvernement et parce qu’ils visent un électorat plus large, donc politiquement plus composite.

Taurillon : Malgré la diversité qui existe dans notre continent, des tendances communes peuvent-elles être identifiées ?

Dominique Reynié : Oui, mais d’abord, n’oublions pas que la diversité est au moins aussi grande entre les groupes sociaux ou entre les régions d’un même pays. La grille de lecture consistant à prendre le cadre national comme référence principale fausse la perception de la réalité. La statistique et la nation sont nées ensemble et semblent avoir vécu l’une pour l’autre. C’est une habitude de l’observation et de la pensée qu’il faut dépasser.

Les tendances communes aux Européens sont très nombreuses : culture, types de consommation, comportements, croyances, styles de vie, etc. En matière d’opinion, l’une des tendances les plus importantes aujourd’hui est que les Européens ne croient plus l’État nation en mesure de réussir les défis de la globalisation. Ils soutiennent massivement les mécanismes de coopération et de solidarité mis en place dans le cadre de l’Union. Ils demandent un renforcement du rôle de l’Union dans une série de domaines clés : l’énergie, l’environnement, la lutte contre la criminalité, la régulation de l’immigration, la politique étrangère, la monnaie, la lutte contre le chômage, etc. Les Européens se reconnaissent également dans un ensemble de valeurs : humanisme, développement durable, tolérance, égalité hommes/femmes, démocratie, laïcité…

Taurillon : Vous avez publié en 2006 une analyse de la campagne de la gauche du Non, Le vertige social-nationaliste. Les comportements inquiétants observés lors de la campagne référendaire de 2005 vous semblent-t-ils relever de la conjoncture de l’époque ou bien refléter une tendance de fond à gauche ou à l’extrême-gauche ?

Dominique Reynié : Je crois qu’il s’agit d’une tendance de fond. Dans l’histoire, une question est régulièrement posée aux socialistes : peut-on réguler le capitalisme, voire le combattre, à partir d’une stratégie internationaliste, ou faut-il préférer la mobilisation de l’État et de l’appel à la « nation » ?

Il me semble que la question a été posée clairement au moins trois fois :

  • d’abord, dans le cadre de la crise de 1929, pendant les années 30 ;
  • puis autour de la question européenne, notamment en 1981-1984 ;
  • enfin, en réaction à la globalisation, à partir de la période 1989/1992.

À chaque fois, une transformation du capitalisme a fait ressurgir l’interrogation fondamentale : peut-on gouverner d’une manière « socialiste" : en 1934-1936, en 1981-84 et en 2002-2005. Chaque fois, deux positions s’affrontent :

  • la première soutient que l’on ne saurait être socialiste sans être internationaliste, c’est-à-dire également européen ; c’est une question d’efficacité autant que de valeurs (Blum en 1934-36/ Mitterrand en 1983-84/ la Gauche du Oui en 2004-2005) ;
  • a contrario, pour la seconde position, le retour à l’État et l’appel à la nation sont données comme les conditions d’une véritable politique anti-libérale (Déat/les souverainistes de gauche/la Gauche du Non).

La question demeure et la gauche est en train de se la poser, pas seulement en France mais aussi dans la plupart des pays de l’Union où demeure, et parfois progresse, une gauche social-nationaliste volontiers xénophobe.

Taurillon : Vous publiez un blog. Quelle est votre approche de ce média ? Pourquoi ne publiez-vous pas plus souvent de notes ?

Dominique Reynié : Le Net veut du flux ! Vous savez que la création de flux est encouragée par les moteurs de recherche. « Publish or perish » vaut pour chaque jour ! Plus il y aura de blogs, moins il y aura de lecteurs… sauf si l’on imagine de ne pas publier tous les jours. Une fiction pourrait mettre en scène un monde où chacun publiant chaque jour, personne n’aurait plus le temps de lire les autres…

Dominique Reynié se presente :

Fonctions : Professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris. Je dirige l’Observatoire des élections en Europe, en ligne sur le site de la Fondation Robert Schuman.

Mes publications :

 "L’opinion publique organique. Auguste Comte et la vraie théorie de l’opinion publique", Archives de philosophie, Printemps 2007, tome 70, pp. 95-114 ;
 "L’extrême gauche, moribonde ou renaissante ?" (coll.), Paris, Presses universitaires de France, 2007 ;
 "Chirac, le premier président d’un monde nouveau", Paris, Plon, 2007 ;
 "Le Vertige social-nationaliste. La gauche du Non et le référendum de 2005", Paris, La Table Ronde, 2005 ;
 "L’Idée d’une ‘opinion européenne’ ", in Raisons politiques. Etudes de pensée politique, n°19, août 2005, pp. 99-117 ;
 "Les Élections européennes de juin 2004" (avec C. Deloy), Paris, Presses universitaires de France, 2005 ;
 "La Fracture occidentale. Naissance d’une opinion européenne", Paris, La Table Ronde, 2004 ;
 "Le Dictionnaire du vote" ((direction avec P. Perrineau), Paris, Presses universitaires de France, 2001 ;
 "Le Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle", Paris, Odile Jacob, 1998 ;
 "Le Vote incertain. Les élections régionales de mars 1998" (direction avec P. Perrineau), Paris, Presses de Sciences Po, 1998 ;
 "Politiques de l’intérêt" (direction avec C. Lazzeri), Presses Universitaires de Franche-Comté, Besançon, 1998 ;
 "Libraires corps et âmes", Editions Vinci, Paris, 1994 ;
 "Le Pouvoir de la raison d’État" (direction avec C. Lazzeri), Presses universitaires de France, 1992 ;
 "La Raison d’État. Politique et rationalité" (direction avec C. Lazzeri), Paris, Presses universitaires de France, 1992 ;
 "Gabriel Tarde, théoricien de l’opinion", préface à la réédition de Gabriel Tarde, L’Opinion et la foule, Paris, Presses universitaires de France, 1989.

Depuis 2000, avec le soutien de la Fondation Robert Schuman, je publie donc un état annuel de l’opinion européenne (dernière parution "L’Opinion européenne en 2007", Paris, La Table Ronde/Fondation Robert Schuman, 2007).

Illustration :
 photographie de L’Opinion européenne en 2007
 photographie de Dominique Reynié de Christian Bousquet

Presentation de L’Opinion européenne en 2007 : En 2007, le cinquantième anniversaire du Traité de Rome coïncide, en France, avec d’importantes échéances électorales. Pour réunir les deux événements, la huitième édition de L’Opinion européenne propose un tour d’horizon de ces enjeux qui, au-delà des campagnes politiques nationales, préoccupent tous les Européens : les retraites, la laïcité, l’état des finances publiques, les défis de la santé, la fiscalité, etc. Comme chaque année, cet ouvrage fournira par ailleurs l’occasion de découvrir les goûts et les comportements culturels des Européens : les films qu’ils ont vus et aimés ou encore l’audience enregistrée dans chacun des pays de l’Union lors de la Coupe du monde de football. Née en 2000, L’Opinion européenne est désormais l’ouvrage de référence pour connaître les opinions des Européens et comprendre les évolutions de l’Union.

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