Traité de Lisbonne

Dominique Reynié : "les partisans du « non » depuis le rejet du TCE n’ont rien proposé"

, par Fabien Cazenave

Dominique Reynié : "les partisans du « non » depuis le rejet du TCE n'ont rien proposé"

Alors que le processus de ratification parlementaire du traité de Lisbonne suit son cours, le Taurillon ouvre ses colonnes à plusieurs personnalités, politiques ou de la société civile. Aujourd’hui, Dominique Reynié, professeur à Science-Pô et qui est notamment l’auteur du livre « Le vertige social-nationaliste : La gauche du Non ».

Le Taurillon : Si vous étiez député ou sénateur, voteriez-vous en faveur du Traité de Lisbonne ?

Dominique Reynié : Oui, sans aucun doute.

Le Taurillon : Pourquoi ?

Dominique Reynié : Sur le plan européen, nous avons besoin des réformes institutionnelles contenues dans le traité. Je regrette que nous n’avancions pas plus vite dans leur mise en application. Nous sommes très lents si nous considérons la marche du monde. Sur le plan politique, la ratification parlementaire me paraît appropriée à la situation. Un référendum national n’a pas de sens lorsqu’il s’agit de l’Europe, à l’exception du référendum par lequel un peuple décide de rejoindre ou de quitter l’Union. Je suis en revanche favorable à l’organisation d’un référendum européen, mais beaucoup de ceux qui souhaitent un référendum français n’en veulent pas...

Ensuite, j’ai observé avec attention les partisans du « non » depuis le rejet du TCE. Je n’ai vu aucune proposition alternative capable de produire un accord européen, pas un texte digne de figurer au rang de proposition, rien ! Combattre le TCE, ne rien proposer à la place, puis repartir à l’assaut d’un compromis de substitution - le traité de Lisbonne - est une attitude incompréhensible, surtout de la part de ceux qui affichent toujours leur attachement à l’Union ! Au milieu de ce silence coupable, les gouvernants européens ont fait leur travail, il faut le souligner.

Le Taurillon : Sur votre blog, vous avez fait le bilan des votes sur la première étape de la ratification à l’Assemblée Nationale. Quel enseignement peut-on en tirer ?

Dominique Reynié : Le partage entre les « oui » et les « non » reflète les habitudes politiques. Grosso modo, la droite, majoritaire, vote « oui » tandis que la gauche vote « non » ou, plus souvent s’abstient courageusement. Les socialistes qui votent « non » se réconfortent avec la secrète conviction que le traité sera adopté. Si la gauche avait été majoritaire, nous aurions probablement la situation inverse et, à mon avis, pas plus de référendum et pas plus d’esprit européen.

Le Taurillon : Que pensez-vous de la manière dont les hommes politiques traitent le sujet ?

on peut s’étonner du peu de vision de la part des membres de notre classe politique

Dominique Reynié : Il y a beaucoup trop de tactique du côté de l’opposition et beaucoup trop de discipline du côté de la majorité. Sans avoir la naïveté de constater la faiblesse des convictions, on peut s’étonner du peu de vision de la part des membres de notre classe politique. Ils ne donnent pas l’impression de regarder le monde. Ou bien ils semblent ne rien voir. Dans ce malstrom planétaire, l’Europe n’a plus le temps de se fixer un horizon idéal. Elle est devenue une urgence pratique.

Le Taurillon : Vous avez écrit « Le vertige social-nationaliste : La gauche du Non et le référendum de 2005 ». Est-ce que votre analyse a changé aujourd’hui ?

Vertige Social Nationaliste

Dominique Reynié : Je maintiens mon analyse concernant la gauche du Non pendant la campagne référendaire de 2005. Dans l’ argumentation de cette gauche à l’exception notable des trotskistes de LO et de la LCR qui sont restés internationalistes, j’ai trouvé en abondance les manifestations d’un socialisme jouant volontiers sur les sentiments xénophobes et dont la figure du « plombier polonais » n’est qu’un exemple parmi d’autres. Ce nationalisme de gauche me semble commandé par une tendance à réduire le socialisme à l’étatisme, puis à voir dans la nation la condition de l’étatisme.

Cette gauche va au nationalisme en partant du socialisme, d’où le titre de mon livre. Comme je le montre, le socialisme français a déjà été « social-nationaliste » : ce fut en particulier le cas dans les années 1930 avec le courant des « néo-socialistes » mené par Marcel Déat, promoteur de la devise « ordre, autorité, nation ». La fameuse réponse de Blum - « votre mot d’ordre me fait frémir » - a été prononcée avant de les expulser de la SFIO. C’est à Blum que j’emprunte la formule « social-nationaliste » qu’il avait précisément forgée pour désigner ce courant. Pour Blum, un socialisme sans internationalisme est un anti-humanisme. Il y voit déjà la formule de la catastrophe. La résurgence de cette gauche n’est pas le produit du TCE mais de la phase actuelle de globalisation. C’est la mondialisation libérale qui accule la gauche périphérique sur des positions social-nationalistes : l’Etat pour se préserver du libéralisme et la nation pour se préserver du monde. N’oublions pas qu’il s’agit d’une gauche systématiquement défaite aux élections et qui s’efforce donc de récupérer les classes sociales perdues.

La gauche du Non croit avoir retrouvé le contact avec une fraction des catégories populaires, mais ce n’est qu’au prix d’ une porosité thématique avec la droite souverainiste et l’extrême droite qui signe la victoire idéologique de la droite du Non. Si demain les classes populaires européennes devaient être prises d’un sentiment de panique face à la globalisation en marche, elles ne deviendront pas socialistes, mais nationalistes. La gauche du Non est suicidaire, ce qui est son problème, et irresponsable, ce qui devient le nôtre.

Illustration :
 photographie de Dominique Reynié issue de son blog
 « Le vertige social-nationaliste : La gauche du Non et le référendum de 2005 », livre de Dominique Reynié aux Editions de La Table Ronde.

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