Education civique

Enseigner l’Europe au Collège

Enseigner l’Europe en classe de Quatrième...

, par Ronan Blaise

Enseigner l'Europe au Collège

Les scènes ici racontées brièvement, ci-dessous, se déroulent dans un Collège de Haute-Normandie. Toute ressemblance avec des faits réels n’est absolument ni le fait de seules coïncidences fortuites, ni celui du seul hasard...

Mardi 4 décembre 2007, 14h00 : je dois prendre mes élèves de Quatrième dans bientôt un quart d’heure. Rapide petit tour d’horizon en salle des professeurs - auprès de mes Collègues - avant de monter en classe, la cruciale mais fatidique question au bord des lèvres : « Dans quel état d’esprit ils sont, aujourd’hui, nos Quatrièmes ?! ».

Ma question ne suscitant là - comme de bien entendu - que les soupirs apparemment désabusés de leur professeur principal. Celle-ci cherchant désespérément - les yeux au ciel - un début de réponse pertinente jusque dans les lattes du plafond…

Donc, vous l’aurez aisément compris, les « Quatrièmes II », ce n’est pas franchement une classe de très grands "bosseurs" : une classe très hétérogène ; hétérogène dans son niveau initial, hétérogène dans sa force de travail, hétérogène dans ses appétits scolaires et dans ses attentes - tout à fait relatives - à l’égard de l’Ecole...

Non pas qu’ils ne soient pas attachants (ce n’est pas là le problème...) mais - sauf quelques exceptions remarquables [1] - ils ne sont alors pas bien bosseurs, mes Quatrièmes, et finalement pas très courageux devant le travail. Et il faut faire avec (ou plutôt sans...). Car si les moins courageux n’y empêchent pas leurs camarades de travailler, on peut alors s’estimer heureux. D’autant plus qu’à cette heure là, ils sont alors encore en pleine digestion...

D’où la question fondamentale que voilà : Comment diable les intéresser à l’Histoire-Géo (en général...) et aux - réputées si arides - questions européennes (en tout particulier...) ? Or c’est là tout le challenge de la "séance" à venir…

D’où la nécessité urgente de se creuser la tête pour essayer de trouver des supports pédagogiques capables de susciter la curiosité voire l’intérêt du groupe. Mais maintenant il est trop tard pour reculer. Oui, j’ai bien mes photocopies prêtes. Alors, allons donc retrouver les "monstres"…

Les programmes

En classe de Quatrième (troisième et avant-dernière année du cycle « Collège »), c’est donc bien l’Europe qui est le fil rouge du programme officiel. Et c’est le cas autant en Géographie qu’en Éducation civique.

Dans le premier cas (Géographie), il s’agit de rapidement présenter la "géographie physique" du continent européen ("limites" conventionnelles ; mers, montagnes, fleuves, etc), sa "diversité" : diversité des paysages et des climats européens (mais également la diversité étatique, culturelle, linguistique de ses populations…).

Et, enfin, il s’agit d’en présenter les principales dynamiques démographiques, économiques et sociales afin de pouvoir présenter l’ "organisation spatiale" du continent européen ; le tout préparant l’étude similaire - par la suite - de quelques « monographies » d’États [2].

Dans le second cas (Éducation civique), il s’agit là essentiellement d’initier ces futurs "Citoyens européens" à la construction communautaire et à ses fondamentaux (choses partiellement revues l’an prochain, en classe de Troisième ; choses également par la suite approfondies : en classe de Première, en Lycée...). Bref, pour résumer le programme de Quatrième (EC) : « Des valeurs communes. Des identités nationales. Une citoyenneté européenne ».

Et ce, sans ambitionner quelque exhaustivité encyclopédique (puisque nos élèves approfondiront, par la suite, tout cela en classe de Première : en Lycée…), il s’agit de leur donner là quelques bases, quelques rudiments leur permettant de comprendre sommairement de quoi il retourne et en quoi ils sont plus ou moins déjà concernés.

L’articulation du cours

Étant donné qu’en tant qu’enseignants nous ne bénéficions officiellement que de quelques heures pour traiter le sujet, il s’agit de faire court mais efficace. D’où la nécessité de bien problématiser les choses et de trouver les supports pédagogiques pertinents et les exercices adéquats (tout ne essayant de ne pas trop dépasser les contraintes horaires spécifiées par nos autorités…).

 1- Afin de bien placer les bases du débat, on commencera par « L’Union européenne, qu’est-ce c’est ? » : soit une très rapide introduction au cours à l’aide d’un exercice du livre (ici, un Commentaire de carte…). Pour ce faire, on pourra - bien entendu - également s’appuyer sur ce qui a été préalablement étudié en cours de Géographie.

Pour faire simple, il s’agit essentiellement de faire ressortir l’idée comme quoi l’Union européenne, c’est aujourd’hui le regroupement de 27 États européens étroitement associés (peut-être les futurs « États-Unis d’Europe »...). Au passage, on découvre là que l’Union européenne dispose d’au moins trois "capitales" (Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg).

 2- Ce à quoi peut enfin succéder l’inévitable « L’Union européenne, pour quoi faire ? ». Pour faire simple, on s’appuiera ici sur un exercice de Commentaire de textes tiré du manuel (où l’on retrouve quelques extraits des fameux discours de Victor Hugo, Aristide Briand et Jean Monnet ; voire une non moins célèbre caricature de Plantu…).

Bref, il s’agit ici surtout d’exposer rapidement les grands principes de l’idéal européen : « l’Europe, pour la paix ; l’Europe, contre les nationalismes ; l’Europe, dans la démocratie ». L’occasion également de rappeler quelques dates importantes : « 1951 & 1957, Traités de Paris et de Rome : Fondation des Communautés » ; « 1992, Traité de Maastricht : Création de l’Union européenne et de la citoyenneté européenne ».

 3- Troisième partie du cours : « L’Union européenne, comment ça marche ? ». Ici il s’agit d’examiner rapidement un Schéma des institutions communautaires - schéma bien entendu simplifié (schéma à compléter) où on essaye là de retrouver les trois pouvoirs définis par Montesquieu (dont on a déjà parlé précédemment, lors d’un cours d’Histoire consacré aux idées des Lumières) : Qui est l’exécutif ? Qui est le législatif ? Qui est le judiciaire ? Où sont-ils respectivement installés ? Qui a le pouvoir ? Où est la démocratie ?

Où l’on se heurte là - tout de même - à quelques difficultés : l’Union européenne ayant effectivement plusieurs "capitales" (Bruxelles, Strasbourg, Luxembourg), ainsi qu’un pouvoir exécutif partagé (entre "Conseil de l’Union« et »Commission européenne"). Bref : l’Union européenne ayant une organisation institutionnelle incomplète et en perpétuelle mutation : résultat imparfait d’un "mille-feuille" de Traités depuis les années 1950 (le « Traité de Lisbonne » en étant la dernière mouture et la dernière tentative de simplification en date).

 4- Dernière et ultime partie du cours : « L’Union européenne, au quotidien ». Où il s’agit de mettre en évidence ce que l’Europe apporte au quotidien, à ses citoyens. Où l’on reparle là des files "rapides" spécialement réservées aux "ressortissants de l’Union européenne" dans les aéroports, où l’on reparle là de « l’espace Schengen » (espace européen de libre circulation), où l’on reparle également - par exemple - de l’Euro (la monnaie unique) ou du passeport européen indiquant désormais notre « double-citoyenneté » (Cf. articles du Traité de Maastricht en rapport avec cette nouvelle « Citoyenneté européenne »).

Où l’on reparle - également et surtout - des nouvelles opportunités et autres nouveaux droits dont disposent désormais les citoyens européens : droits aux études, à l’activité professionnelle, à la résidence, à l’installation dans tout autre pays de l’UE, par exemple. Où l’on reparle également du travail législatif de nos eurodéputés : ce travail réglementaire qui fait de l’UE un espace aux normes écologiques, par exemple, plus exigeantes et contraignantes, en tout cas plus protectrices pour les consommateurs.

Documents à l’appui de cette « démonstration » : l’affiche du désormais fameux film « Auberge espagnole » de Cédric Klapisch ou un Poster de la « Charte des Droits fondamentaux » (ici présentée comme une « Déclaration des droits de l’homme » à l’échelle de toute l’UE)..

Quid des symboles européens ?!

Au programme, également, les « Symboles européens : Drapeau, Hymne, Devise, Monnaie unique », etc. En expliquer le sens et faire en sorte que nos élèves puissent se les approprier. Cela peut faire l’objet d’une partie proprement dite du cours (ou d’un "module" méthodologique spécifique).

Une fois encore le sujet aura été l’objet d’une double-page de polycopiés à remplir : documents distribués à cet effet et - comme il se doit - correctement collés sur le cahier.

Pour ce faire, il ne vous étonnera donc pas qu’on puisse venir en classe avec un drapeau européen « 150 x 100 cm » (à fixer au tableau...) ainsi qu’une collection d’autocollants "bleu étoilés" (à distribuer aux élèves...).

Une occasion comme une autre d’en profiter pour expliquer la symbolique des couleurs et des symboles retenus... Rapide explication orale, notée sur le polycopié distribué à cet effet… (pourquoi bleu ?! pourquoi des étoiles ?! pourquoi douze ?! pourquoi en cercle ?! pourquoi un cercle ouvert ?!).

Grande stupéfaction que de voir alors mes élèves - apparemment ravis du "cadeau" - coller, dans un imprévu beau mouvement d’ensemble, leur autocollant "européen" sur la couverture de leur cahier (réaction intérieure : "après tout pourquoi pas"…). "Bon d’accord : mais avec les étoiles à l’endroit, s’il vous plaît…". Et ce, avant qu’on puisse enfin passer à la suite : notamment l’hymne européen.

Pour ce faire - fort heureusement - la salle de cours dispose d’un ordinateur, d’une connection internet et d’un système de rétroprojection sur grand écran. Donc, sur clef USB - déjà prête à l’avance - on trouvera non seulement la "trace écrite" répondant aux questions précédantes, mais également le lien internet menant à un clip - récupéré sur youtube - mettant en scène l’Ode à la joie, hymne européen. L’occasion de voir - en 2min 08 s et en grand format, façon cinéma [3] - que l’UE est bel et bien - union d’Etats, de peuples, de cultures (et autant de paysages...) - "Unie dans la diversité"…

En guise de conclusion :

Dans le système actuel de l’Éducation nationale "à la française", on vit aujourd’hui sous le régime du « Collège unique » (i. e : une génération entière d’élèves étant scolarisée, ensemble et dans les mêmes conditions, quelques soient leurs aspirations ou attentes personnelles à l’égard de l’école...). Et ce, pour le meilleur et pour le pire. Avec l’obligation "réglementaire" (i. e : les fameux "programmes") de faire passer des savoirs intellectuels et livresques à des élèves - adolescents en construction - malheureusement souvent non demandeurs.

On regrettera juste alors que les effectifs qui nous sont alors confiés ne puissent pas être dédoublés. Et que les "plages horaires" qui nous soient allouées pour de tels enseignements soient décidément trop étroites ou assez peu pertinentes (ah, les fameuses redoutables heures de cours de fin de journée !).

D’où l’urgente nécessité - pour essayer de créer des dynamiques favorables aux apprentissages - de faire preuve d’imagination et d’inventivité : de varier les rythmes, de varier les activités, de varier les supports d’étude (quitte à exploiter, pour ce faire, l’internet et ses innombrables ressources...) [4]. Essayer d’en trouver des plus étonnants et des plus originaux encore [5].

Avec un pari : si nos élèves voient que leur professeur est vraiment passionné parce qu’il raconte et si le cours se révèle vraiment attractif, cela ne pourra que jouer dans le bon sens… Ici, celui d’une - finalement - bien trop courte "initiation" aux questions européennes.

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est la photographie du porche d’entrée de l’un des actuels 3500 Collège (publics et privés) de France... (ici, à Obernai : en Alsace).

Document tiré du site www.col-europe-obernai.

- Pour aller plus loin :

Le système éducatif français, sur wikipédia.

Le Collège (anciens « CEG » et « CES » regroupés sous l’appelation « Collège unique »), sur wikipédia.

Enfin, pour bien comprendre ce qu’est la "condition enseignante", on ne peut que recommander la lecture de l’essai « Collèges de France » de Mara Goyet : jeune collègue enseignant (elle aussi en Histoire-Géographie et en Education civique...) dans le « 93 », en « ZEP ».

(Un ouvrage de 204 pages paru - en 2003 - aux éditions « Fayard »).

Notes

[1Merci à Grégoire, Lola, Marion, Cindy, Nicolas, Jeanne et Justine pour leurs commentaires favorables à l’égard du « Taurillon »...

[2Qui seraient, par exemple : l’Espagne ou l’Italie, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, et la Russie. L’idéal étant de pouvoir mener ces études « monographiques » de concert avec les Collègues de Langues vivantes...

[3« Oui, oui : pour bien voir, on peut baisser les volets... »

[4D’où l’intérêt de l’existence d’un site internet comme le « Taurillon.fr » ; ne serait-ce que pour les articles suivants vers lesquels on peut aisément orienter ceux d’entre nos élèves qui sont le plus demandeurs (puisqu’il y en a) :

 A propos de la Légende d’Europe (le texte d’Ovide).

 A propos de la Déclaration du 9 mai 1950.

 Sur le Traité de Rome de 1957.

 A propos du Drapeau européen.

 A propos du Bleu « européen ».

 A propos de l’Hymne européen.

 A propos de la Devise européenne, etc.

[5A ce titre, les différents Posters édités, ces dernières années, par le « Mouvement Européen » peuvent trouver une véritable utilité : ne serait-ce que pour décorer sa salle de cours (si seulement on dispose effectivement d’une salle de cours fixe...).

Vos commentaires
  • Le 17 juillet 2008 à 20:07, par Schams E. En réponse à : Enseigner l’Europe au Collège

    Merci pour cet article Ronan ! Lu avec attention, et un constat : tes étudiants en ont de la chance ! L’aspect « projet européen », liberté de circulation, Parlement européen, tout a été complètement baclé dans ma scolarité, et je pense que c’est le cas avec la majorité des profs...j’imagine que tu es celui qui a fait le plus d’interventions Europe a l’ecole, quand j’y pense !!

    Une question parmi tant d’autres : as-tu perçu une évolution dans les programmes, consacre-t-on plus d’importance au projet européen qu’en 2005 ou qu’en 2000 ? Quelle est l’importance des connaissances en la matière pour enseigner au college et en lycee ? Cela fera 2 questions en fait... ;)

  • Le 18 juillet 2008 à 14:07, par Ronan En réponse à : Enseigner l’Europe au Collège

    Merci pour le petit commentaire. D’abord juste préciser en ce qui concerne « l’Europe à l’école » que je n’ai sans doute pas tant que cela d’ "heures de vol" en la matière dans la mesure où je n’ai vraiment un cours "stable" sur la question (et une "vraie" palette d’exercices disponibles...) que depuis deux / trois ans. Notamment grâce à la "formation continue" que dispensent les « Jeunes-Européens / France »...

    Voilà un cours sur lequel je passe effectivement du temps (ce qui pourrait très bien m’être reproché par mes Collègues, certains parents d’élèves voire - pourquoi pas - l’Inspection...) dans la mesure où - effectivement - je n’ai vraiment pas envie de bâcler un sujet d’études qui me paraît fondamental. D’autant plus que - même si je sais que mes Elèves réapprofondiront sans doute tout ça plus tard (en Troisième, en Première, en Terminale...) - j’ai également le sentiment que la formation continue dispensée à mes Collègues "pêche" tout particulièrement sur ce sujet là.

    Les nouveaux programmes ?! Voilà une bonne question ! Juste préciser que les actuels "programmes" (dont il est question ci-dessus) datent de 1997 (publication au J.O du 13 février 1997...) et juste souligner que les dits "nouveaux programmes" (sur lesquels il faudrait effectivement que je me penche urgemment et dans le détail...) entreront en vigueur de façon échelonnée à partir de la rentrée de septembre 2009 pour les Sixièmes, etc (i. e : pour les Quatrièmes et les Troisièmes, cela nous conduit en septembre 2011- septembre 2012...).

    Pour l’évolution antérieure, je suis tout de même un petit peu trop jeune pour en témoigner. Mais il me semble - effectivement - qu’on parle de plus en plus d’Europe... Sauf qu’il me semble que - dans la nouvelle configuration à venir - l’Europe (en Géo comme en E.C.) bascule désormais (horizon 2011-2012) en classe de Troisième (les questions liées à la "mondialisation" et aux "grandes puissances" rebasculant alors en Quatrième...) ; ce qui sera sans doute plus cohérent avec le programme d’Histoire de Troisième (focalisé sur des questions d’Histoire contemporaine).

    Est-ce que l’étude de l’Europe en classe de Troisième - parce qu’il y a le « Brevet » en fin d’année - nous permettra de former de meilleurs Citoyens européens. ? That’s the question...

  • Le 12 septembre 2008 à 16:15, par ? En réponse à : Enseigner l’Europe au Collège

    bravo pour l’enseignement de l’Europe avec des quatrièmes attachants mais pas bosseurs. Pourquoi pas aussi disposer dans les centres de documentation de romans comme « Enquete d’Etoiles » que vous présentez dans une autre rubrique du Taurillon... Personnellement, je l’ai testé sur mes enfants ( super attachants mais pas bosseurs non plus !) eh, bien, ils ont dévoré ce bouquin et nous avons eu une discussion à table sur l’Europe qui changeait des poncifs et du scepticisme si souvent entendus dans les JT. Je le conseille à tous les lecteurs du Taurillon et aux profs solides décidés à enseigner l’Europe malgré tout...

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