Et maintenant, des primaires européennes ? Les enseignements d’un scrutin hors norme

, par Aymeric Lorthiois

Et maintenant, des primaires européennes ? Les enseignements d'un scrutin hors norme
Intervention de François Hollande - Chourka Glogowski, certains droits réservés

Voulues par les militants et sympathisants de gauche en 2009, les primaires du PS et du PRG ont été un réel succès, quelle que soit l’issue des prochaines présidentielles. Six candidats, quatre débats télévisés, une véritable confrontation d’idées et de projets, et une légitimité sans précédent pour le candidat désigné François Hollande. Avant elles, les expériences italiennes et grecques ont ouvert la voie aux primaires à l’américaine sur le vieux continent.

Et pourtant, après un Congrès de Reims en novembre 2008 marqué par des accusations de fraude, la préparation des primaires a été particulièrement houleuse. Alliances, jeux de dupes, valses-hésitations… dans l’ombre de l’ultra-favori Dominique Strauss-Kahn, retenu à Washington, le parti a dû surmonter des tractations difficiles, que ce soit sur le calendrier, sur les règles de parrainage, ou même sur le format des débats télévisés. Et l’arrestation du directeur du FMI en mai 2011 a failli faire dérailler l’ensemble du processus, les appels à annuler les primaires se multipliant.

Le succès d’un modèle

Mais après un second tour qui a mobilisé près de 3 millions d’électeurs, les résultats sont là : La primaire a fait bouger les lignes comme les scores de François Hollande et Arnaud Montebourg le montrent, eux qui faisaient encore figure d’outsiders en mai dernier.

Malgré un second tour qui aurait pu paraître joué d’avance, l’ensemble des candidats défaits ayant soutenu François Hollande, c’est par un nouveau sursaut de participation que les votants sont venus désigner comme candidat celui qui n’a longtemps été que secrétaire général du parti.

Le processus n’a pas amoindri le rôle des militants, qui ont désigné les candidats éligibles et joué un rôle de premier plan dans la campagne.

Les primaires ont permis à l’opposition d’exposer et d’arbitrer ses divisions internes tout en rendant possible son rassemblement autour d’un candidat. La dramatisation du débat entre les deux tours est bien loin des déchirements auxquels les socialistes nous ont habitués par le passé.

Surtout, pour la première fois depuis bien longtemps, on a vu le PS déterminer lui-même l’agenda médiatique, et focaliser toute l’attention sur ses propositions. Presse, télé, internet, le débat des primaires a donné le la, et les membres de la majorité ont semblés relégués au rang de commentateurs. À tel point que la majorité présidentielle a dédié sa première convention de l’après-primaire aux propositions socialistes.

Huit Français sur dix sont désormais acquis à l’idée de primaires ouvertes ; neuf sur dix parmi les sympathisants UMP, selon un sondage TNS Sofres pour Canal+ réalisé les 12 et 13 octobre. Après avoir cherché à caricaturer le processus et dénoncer les risques d’abus, nombreux sont les poids lourds de la majorité qui demandent désormais des primaires ouvertes à droite… à compter de 2017.

Feu vert pour le parti socialiste européen ?

Ce succès des primaires citoyennes n’est pas passé inaperçu rue du Trône à Bruxelles, au siège du parti socialiste européen (PSE).

Pour laver l’échec des élections européennes de 2009, le PSE s’est engagé, dès fin 2009, à investir un candidat à la présidence de la Commission lors des prochaines élections européennes, qui auront lieu au printemps 2014. Mais cette décision a ouvert une autre question : comment désigner ce candidat ?

Fin juillet 2010, une campagne pour une primaire présidentielle au PSE a été lancée par deux militants du PSE, Desmond O’Toole, membre du conseil central du parti travailliste irlandais, et José Reis Santos, conseiller municipal de Lisbonne. Militant pour un processus démocratique qui permettrait d’éviter qu’un candidat de second rang ne soit désigné à huis clos, l’initiative a recueilli plus de 2 000 soutiens en seulement quelques mois.

Cette campagne est rapidement parvenue à peser dans la balance. Réunis en Conseil à Varsovie fin 2010, les socialistes, socio-démocrates et travaillistes européens s’engageaient à « désigner leur candidat par un processus démocratique et transparent », fondé sur le principe de « démocratie interne », et « incluant tous les partis membres, à tous les niveaux », et demandait au président du PSE, Poul Nyrup Rasmussen, de faire une proposition concrète pour novembre 2011.

Ce calendrier n’a pas été choisi par hasard, et le succès de la primaire ouverte en France met désormais les leaders socialistes européens au pied du mur.

Une tendance à la démocratisation dans toute l’Europe

Par ailleurs, la France n’est pas un cas unique. Avant elle, en 2005, une vaste coalition de partis du centre-gauche italien avait mobilisé 4,3 millions d’électeurs pour la désignation d’un candidat au poste de président du Conseil lors de la toute première primaire ouverte d’Europe, débouchant sur la désignation puis la victoire de Romano Prodi. Depuis 2004, le principe de primaires ouvertes est également acquis au sein du PASOK grec.

Parmi les autres partis socialistes européens, neuf d’entre eux désignent leur candidat au poste de chef de l’exécutif par le biais de primaires internes impliquant la totalité ou la quasi-totalité des militants. De ce point de vue, le Labour britannique sort du lot. Pour investir leur leader, les travaillistes s’en remettent en effet à trois collèges électoraux détenant chacun un tiers des voix : les députés et eurodéputés ; les militants ; et les syndicalistes et autres membres d’organisations affiliées.

Les autres partis socialistes délèguent cette décision essentielle au congrès du parti, avec différents degrés d’ouverture. Certains, comme le PSOE espagnol, le PSD roumain, réunissent pour cela des congrès de plus de mille délégués et organisent de véritables compétitions. D’autres, comme en Allemagne, laissent au cercle restreint du présidium du SPD le soin de nommer le candidat à la chancellerie. Un archaïsme que Sigmar Gabriel, l’actuel président du SPD bien tenté par l’idée de primaires ouvertes, voudrait bien réformer.

Un choix trop précoce ?

Mais un mouvement pan-européen qui n’a même pas été capable de se doter d’un candidat propre à la précédente échéance est-il prêt pour des primaires ? Si juridiquement, rien n’empêche un parti européen d’organiser une primaire interne ou citoyenne, politiquement, la question est plus complexe.

Des primaires apporteraient une bouffée d’air frais à Bruxelles, et permettraient pour une fois de penser l’intégration européenne par les peuples plutôt que par les institutions. Mais ne risqueraient-elles pas de faire éclater le parti socialiste européen ? Ce risque était aussi présent dans tous les débats en France ; il ne s’est pas matérialisé. Pourtant, le fossé entre un Valls et un Montebourg est béant, et la capacité des socialistes français à s’étriper est légendaire.

En réalité, ce ne sont pas les primaires qui divisent. Aucun candidat à une primaire n’a intérêt à attiser des différends idéologiques ou nationaux, à moins de vouloir apparaître comme responsable de l’échec collectif. Tous les candidats savent qu’ils ne peuvent s’imposer et mener leur parti à la victoire qu’en rassemblant. Et cette logique prévaudra aussi lors de primaires européennes

Pas de primaires centralisées

Cependant, l’Europe n’est pas la France. Si le parti socialiste a opté pour un scrutin direct et centralisé, à l’image de l’élection présidentielle, un tel modèle ne conviendrait en rien à une primaire européenne.

Pour éviter que le candidat élu ne soit perçu comme le candidat des grands États, une pondération des voix sera bien sûr indispensable. Mais surtout, comme aux États-Unis, une primaire européenne devra permettre de faire cohabiter différents modes de scrutins d’un État à l’autre : primaire ouverte en France, consultation des militants en Allemagne, votes par collèges électoraux en Grande-Bretagne, etc. Pour cela, à l’image des primaires américaines, une primaire pan-européen devra être un scrutin indirect avec désignation de délégués dans chaque État. En un mot, le processus devra laisser toute sa place à l’idée de subsidiarité.

Reste la question des autres partis européens, au premier rang desquels le parti populaire européen (PPE). Le PPE a été le premier parti européen de l’Histoire, et le premier à désigner un candidat à la présidence de la Commission, José Manuel Barroso. Mais cette fédération de centre-droit n’a jusqu’ici accordé aucun statut à ses membres individuels, et ne semble pas vouloir les impliquer davantage en 2014.

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