Europe, Afrique : l’avenir est-il dans l’intégration régionale ?

, par Charles Nonne

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Europe, Afrique : l'avenir est-il dans l'intégration régionale ?
Jean Ping, président de la commission de l’Union africaine et Herman van rompuy http://www.flickr.com

Depuis la crise financière de 2008 et ses conséquences en Europe, le continent africain a été relégué au second plan des préoccupations des gouvernements européens. Bien que les révolutions arabes de 2011 aient causé un regain d’intérêt du Vieux continent pour le Maghreb, l’Afrique en son ensemble n’est pas aujourd’hui considérée comme un enjeu de taille. Pourtant, l’Europe et l’Afrique, chacune à sa manière, illustrent le formidable potentiel et le puissant levier d’action que constitue l’intégration régionale.

Depuis les années 1990, la coopération régionale a connu un renouveau dans chacun des deux continents bordant la Méditerranée. Alors que l’Europe ratifiait l’un des traités majeurs de son histoire à Maastricht, les dirigeants africains s’engageaient à créer un marché commun à l’Afrique entière avant 2025. Bien que l’intégration économique et la création d’une zone de libre-échange aient constitué l’un des objectifs majeurs en Europe et en Afrique, l’Union européenne et la future Union africaine ont étendu leurs objectifs à bien d’autres domaines.

Il est certain que la régionalisation n’a pas atteint le même niveau d’achèvement dans les deux continents. L’Union européenne dispose d’une monnaie commune, émet des lois applicables à l’ensemble de ses citoyens et manifeste sa présence dans la plupart des organisations internationales. L’Union africaine, née en 2002, doit encore mettre en place une grande partie de ses institutions, tout en cohabitant avec huit organisations sous-régionales aux ambitions diverses et aux succès inégaux. Toutefois, force est de constater que ces institutions continentales sont un élément incontournable si l’on souhaite comprendre les logiques et les dynamiques propres aux deux continents.

Deux modèles d’intégration progressifs, conscients des réalités nationales

Les critiques du fédéralisme européen et du panafricanisme ont accusé leurs défendeurs de ne pas prendre en compte les réalités locales et nationales propres à chaque Etat. Il n’a pourtant jamais été question d’ignorer ces réalités : l’Union européenne s’est attachée en permanence à tenir compte des cultures et des particularismes nationaux, sans chercher à les effacer. De leur côté, les dirigeants de l’Union africaine sont parfaitement conscients que de nombreux problèmes ne seront réglés qu’entre Etats.

L’Union européenne et l’Union africaine n’ont eu et n’auront jamais pour autre objectif que de traiter les enjeux qui dépassent les frontières étatiques. Or, à l’avenir, nombreuses seront les questions qui nécessiteront d’agir au-delà des disparités locales traditionnelles sans les occulter.

Ainsi, le succès de l’Europe et de l’Afrique en tant qu’entités unies dépendra également de leur capacité à comprendre et à appréhender les particularismes locaux. En Afrique, des centaines d’ethnies et de groupes minoritaires cohabitent pour le meilleur et pour le pire. Dans de nombreuses régions ayant connu des conflits majeurs – Rwanda, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud –, la réconciliation nationale n’est parfois qu’une chimère, au mieux un objectif lointain. Sur l’autre rive de la Méditerranée, l’émergence d’un peuple européen semble s’éloigner au fur et à mesure que les tensions nationales s’exacerbent. Cela doit-il pour autant freiner les velléités fédéralistes en Afrique comme en Europe ?

L’intégration régionale, une nécessité pour le XXIe siècle ?

A l’heure où l’Europe et l’Afrique ne comportent plus que des puissances moyennes, les gouvernements nationaux prennent peu à peu conscience de l’étendue des questions qui pourraient être traitées avec succès à l’échelle continentale. Si l’Europe souhaite concurrencer l’Amérique et l’Asie par son potentiel d’innovation, de recherche et de production, seule une politique européenne d’industrie et de recherche peut réaliser de telles ambitions. Quant à l’Afrique, la plupart des conflits ethniques et armés sont totalement indépendants des frontières, comme en témoigne la situation humanitaire désastreuse en République démocratique du Congo ou au Mali.

Dans ce cadre, il semble que la relation entre l’Union européenne et l’Union africaine sera cruciale dans le traitement de ces enjeux, bien plus que les traditionnelles relations bilatérales entre Etats. Nombreuses sont les questions qui gagneraient à être réglées sur le plan transcontinental : migration, paix et sécurité intérieure, piraterie, environnement, ne sont que quelques uns des chantiers qui ne devraient pas souffrir d’un blocage par quelques entités étatiques ou d’un règlement unilatéral et contreproductif par un petit nombre d’Etats.

L’Afrique compte désormais un milliard d’habitants ; elle est encore rongée par des conflits armés ou politiques, une situation humanitaire parfois précaire, en plus des traditionnels problèmes que constituent la gouvernance, l’éducation, l’accès à l’eau, la santé. L’Europe a un rôle à jouer dans la structuration future du continent africain ; non pas en imposant des décisions ou en distribuant une traditionnelle aide au développement, mais par une impulsion politique et ambitieuse.

Pour ce faire, certains Etats d’Europe devront abandonner leurs politiques traditionnelles à l’égard de l’Afrique pour se soumettre à un dialogue intercontinental. La France est, à cet égard, l’exemple le plus révélateur. Le paternalisme des gouvernements français, incarné à travers la Françafrique, a probablement causé plus de dommages qu’il n’a apporté de bienfaits à l’Afrique francophone et au continent tout entier. Au contraire, les relations entre l’Union africaine et l’Union européenne ne sont pas viciées par plusieurs décennies de colonialisme et pourraient constituer, à long terme, les bases d’un dialogue réciproque et fructueux.

Certes, les Etats-Unis d’Europe souhaités par Jean Monnet, ou les Etats-Unis d’Afrique prônés en son temps par le colonel Kadhafi, ne verront pas le jour avant plusieurs longues années. Cependant, si l’Europe peut établir une coopération égalitaire, basée sur la reconnaissance d’intérêts biens compris, le renforcement de relations diplomatiques ambitieuses et le partage de valeurs universellement reconnues, c’est bien avec l’Afrique.

Les prochaines décennies permettront de déterminer si l’Europe se saisira de cette opportunité unique. Il sera alors possible, à terme, que l’Europe et l’Afrique ne soient plus seulement des partenaires, mais également des alliés politiques. Si le pragmatisme doit aujourd’hui prévaloir, l’espérance, elle, est vitale, pour les Européens comme pour les Africains.

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