“Europe monétaire” ? “Europe politique” ? Moi je dis : Europe littéraire

, par Madeleine Le Gal

“Europe monétaire” ? “Europe politique” ? Moi je dis : Europe littéraire
Alexandre Dumas

Connaissez-­‐vous l’Europe littéraire ? Elle a existé pourtant, elle existe, enfouie dans notre mémoire. Et elle ne demande qu’à ressusciter. “La littérature est le noeud intellectuel qui lie une nation à une autre.” Voilà ce que l’on peut lire, dans ce qui sert de prologue ou d’éditorial à la revue qui a pour titre …”‘L’EUROPE LITTÉRAIRE”. Car oui, l’Europe littéraire a donné naissance à une revue hebdomadaire parue en 1833 dont elle est le titre éponyme.

Hélas, longtemps les génies des nations européennes sont restés inconnus, et ce à cause des barrières non encore franchies des Alpes ou du Rhin. Bien souvent, les auteurs n’étaient reconnus qu’à titre posthume. Mais rappelons-­‐nous qu’au XIXème siècle, c’est la langue française qui unit les arts : “la langue française, que sa clarté concise et le talent de nos écrivains ont imposé à l’univers comme la langue d’Athènes et de Rome, pouvait seule former la base de ce temple élevé à l’universalité des arts ; (…) elle seule pouvait permettre de réduire en un seul idiome ce mouvement européen de la pensée qui éclate sous mille formes, qui emprunte vingt langages.” Ainsi, même si les barrières naturelles n’étaient pas encore abolies, l’Europe littéraire était déjà consciente d’un lien tacite qui l’unifiait. Ce “mouvement européen” de la pensée, Victor Hugo le rappelle lui aussi dans la préface des Burgraves, en 1843 : «  […] il y a aujourd’hui une nationalité européenne […]. Quelles que soient les antipathies momentanées et les jalousies de frontières, toutes les nations policées appartiennent au même centre et sont indissolublement liées entre elles par une secrète et profonde unité. La civilisation nous fait à tous les mêmes entrailles, le même esprit, le même but, le même avenir.  »

Voilà la mission que se fixe le journal L’EUROPE LITTÉRAIRE : mettre en exergue cette universalité européenne, qu’on l’appelle “mouvement européen de la pensée” ou “nationalité européenne”. Pour ce faire, ladite revue a une grande et belle ambition : tisser un lien entre les différentes académies européenne et ce faisant, mettre en contact tous les artistes et les personnalités littéraires d’Europe. Cette initiative est accueillie avec grand enthousiasme par le monde littéraire européen. Et voici comment est né le “journal universel de la littérature”. Ici, point de place à la politique : la littérature, reine des arts, est souveraine. Ici, point de prise de parti ni de crêpage de chignon : la neutralité est de mise.

Mais alors, en quoi consiste concrètement L’EUROPE LITTÉRAIRE ? La première partie de la revue se dit critique ou théorique. En effet, dès la première page apparaît un article critique sur un ouvrage nouveau paru en France ou à l’étranger. L’analyse du livre en question se fait toujours d’après la version originale et non d’après la version traduite. Il s’agit aussi de comparer les textes des différentes nations.

La deuxième partie du journal est remplie d’ “ouvrages d’imagination”, prose ou vers, nouvelle inédite, conte ou chapitre de roman, provenant des plus grands noms de la littérature européenne.

Vraiment, cette revue vaut le détour : vitrine des nouveautés littéraires européennes, elle réunit en son sein parutions, événements littéraires, solennités, séances académiques, cours publics et tant d’autres textes. Elle met de plus un point d’honneur à respecter la langue originale des oeuvres : “la traduction des ouvrages étrangers sera soumise aux auteurs avant d’être publiée”. Et le fondateur du journal d’insister : “le progrès sera en toutes choses le seul et unique but où tendront constamment nos efforts. Nous nous ferons une loi invariable d’observer, dans les jugements que nous porterons sur les ouvrages isolés, la plus entière impartialité.”

Il ne faut pas négliger l’importance de ces publications. Cette revue a en effet un “partenariat” avec les libraires-­‐éditeurs, selon lequel ceux-­‐ci livrent parfois à la revue les chapitres les plus inédits d’un ouvrage étranger, le jour même où celui-­‐ci sera publié, à quelques centaines de lieues de la capitale.

Chers lecteurs, nous le voyons, à travers l’avènement de cette revue, en 1833, c’est un fil unificateur qu’il nous faut voir, un fil qui unissait déjà le peuple européen et qui l’a toujours uni, de façon sous-­‐jacente : la littérature et les arts. Si donc l’Europe peine à s’unir aujourd’hui, alors revenons au XIXème siècle le temps d’une lecture, laissons-­‐nous pour une fois porter par cet agréable sentiment que l’on appelle la nostalgie. Souvenons-­‐ nous qu’artistiquement du moins, l’Europe est solidement soudée, que nous le voulions ou non. Cette “bibliothèque universelle de toutes les littératures”, que je m’efforce ici de vous présenter, en est la preuve. C’est ainsi que pour le prix de 60 francs par an, le lecteur abonné du XIXème siècle pouvait se rendre compte de l’insatiable vie littéraire qui le liait à ses voisins Européens.

En attendant de vous en dire plus sur cette revue lors d’un prochain article, je ne peux résister au plaisir de vous retranscrire ici quelques “lettres de MM. les collaborateurs de l’Europe littéraire”.

“Messieurs, je suis au nombre de ceux qui applaudissent à votre vaste et nationale entreprise. Non seulement j’y applaudis, mais encore je serai heureux si je puis contribuer pour ma part à son succès”. Alex. DUMAS

“ Voici encore quelques lettres d’ “adhésion de MM. les rédacteurs en chef”.

“Messieurs, j’accepte avec un grand empressement la proposition que vous avez bien voulu me faire d’être l’un des membres de la commission de l’Europe littéraire. Cette grande entreprise, conçue dans une haute pensée d’intelligence, d’union et de progrès, me semble satisfaire l’un des besoins les plus universellement sentis et exprimés par tous les esprits éclairés. Je crois que les hommes de nos jours ne sont divisés que parce qu’ils s’ignorent trop, et que tout ce qui tend à les rapprocher et à les aider à s’entendre et se connaître donne au pays un juste espoir du triomphe des principes qui concilient le mieux ses intérêts avec ses besoins, ses lumières ; les ramener à une pensée commune, c’est assurer l’avenir. BERRYER, fils.

“Messieurs, c’est avec empressement que j’accepte la participation que vous avez la bonté de m’offrir à la grande et noble entreprise que vous avez conçue. Tout ce qui tend à rapprocher les hommes doit contribuer à les éclairer davantage, les mettre à même de mieux s’apprécier, et bien souvent à détruire les préventions qui les divisaient. Votre projet d’association ne présentât-­‐il que ce seul avantage, je m’estimerais heureux de m’associer à vos efforts. Veuillez donc, messieurs, m’inscrire au nombre de vos fondateurs ; mes voeux pour votre réussite sont ceux que je forme toujours pour la prospérité et la gloire de mon pays.” H. PELLAPRAT.

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