Eva Joly dans la dernière semaine de campagne pour Europe-Ecologie

, par Pauline Gessant

Eva Joly dans la dernière semaine de campagne pour Europe-Ecologie

Après Daniel-Cohn Bendit, tête de liste en Ile de France pour Europe-Ecologie, c’est la n°2 de la liste, Eva Joly, qui répond aux questions du Taurillon dans la dernière ligne droite de la campagne pour les élections européennes.

Le Taurillon : Pour quelles raisons vous présentez-vous à ces élections européennes ?

Eva Joly : J’ai pensé pendant très longtemps que la politique ça n’était pas pour moi... Mais mon expérience dans la magistrature puis dans la coopération internationale m’a permis de comprendre un certain nombre de choses. Par exemple, les liens entre les flux financiers illicites, les paradis fiscaux et les problèmes de développement. J’ai fini par saisir quelques-uns des problèmes que pose la mondialisation telle qu’elle s’est faite jusque-là, et les outils qui permettraient, je crois, d’y remédier... J’ai aussi compris que malgré toute la bonne volonté du monde on risque bien souvent d’échouer quand on se heurte à la volonté politique (ou à son absence...).

Je me suis dit que c’est finalement à ce niveau que je pourrais vraiment changer les choses, et qu’un engagement politique était la suite logique de mes combats et de mon histoire. J’y vais avec sincérité et détermination, je suis consciente de ne pas pouvoir tout régler par moi-même mais je crois pouvoir apporter un petit plus.

Je me sens fondamentalement, culturellement européenne

Et je n’ai pas imaginé pouvoir le faire vraiment autrement qu’au niveau européen. J’ai exercé comme juge dans un pays et comme conseillère du gouvernement dans un autre pays, et à chaque fois mes activités m’ont entraînée bien au-delà des frontières nationales de l’endroit où je me trouvais. Et puis je me sens fondamentalement, culturellement européenne...

A partir de là, il était évident pour moi que le Parlement européen était celui où je me sentirais le plus à l’aise et le plus utile...

Je vis vraiment cette campagne à fond avec les autres candidats d’Europe Ecologie. Quand le rassemblement s’est créé, j’étais en plein dans cette réflexion dont je vous parlais à propos de l’engagement politique, et il m’est apparu comme le seul mouvement à même de porter cette vision globale dont l’Europe a besoin. Et j’ai l’impression que notre message ne reste pas tout à fait sans écho.

Le Taurillon : Êtes-vous favorable à la création d’un gouvernement économique européen qui remplacerait l’actuel Eurogroupe ?

Eva Joly : Naturellement. A Europe Ecologie nous voulons même aller plus loin que ce qu’on entend la plupart du temps à ce sujet. On voit bien que les réponses des uns et des autres à la crise ne sont pas à la hauteur. Elles n’attaquent en rien les causes profondes du mal ! Et elles pêchent par leur manque d’ampleur et leur caractère presque exclusivement national. Notre programme au contraire énonce longuement les mesures à même de mettre en place un nouveau modèle de société et les moyens d’y parvenir. La transformation écologique de l’économie, le grand emprunt européen, le bouclier social…

Et pour les réaliser, nous proposons de mettre en place un Conseil de Sécurité économique, sociale et financière, chargé de gérer l’ensemble du processus et son financement. Autrement dit : un véritable gouvernement économique et social (nous y tenons) de la zone euro. C’est une instance qui travaillerait avec la Commission, le Conseil et le Parlement, et qui serait responsable devant ce dernier. Par exemple il s’agit de coordonner les politiques de l’emploi (notamment pour la reconversion écologique) pour lesquelles nous proposons un “Bruxelles de l’emploi”, de coordonner la fiscalité et même de l’harmoniser pour les capitaux, d’introduire des normes socio-écologiques dans le tarif douanier pour décourager les délocalisations en dehors de l’Union…

Nous voulons introduire des normes socio-écologiques dans le tarif douanier européen

J’ajoute qu’en plus de ce Conseil il est indispensable de mettre en place une structure capable de lutter au niveau européen contre la criminalité financière, la corruption, l’évasion fiscale… C’est un véritable fléau dont les conséquences dépassent l’imagination. En France seule par exemple on estime que 45 millions d’euros disparaissent vers les paradis fiscaux chaque année – soit l’équivalent de ce que permet de dégager l’impôt sur les sociétés ! Et c’est évidemment pire encore dans les pays dits “en voie de développement”. Vous avez des chefs d’Etat qui encouragent la surexploitation des ressources et des hommes et s’enrichissent par ce biais avec la complicité de grandes entreprises, notamment européennes. Ils pratiquent des détournements de fonds, déposent des fortunes sur des comptes off shore et disposent d’un patrimoine absolument considérable, y compris en France.

Ce n’est que tout récemment et grâce à leur constitution en partie civile devant un juge d’instruction que les associations Sherpa et Transparency International ont pu obtenir l’ouverture d’une enquête à Paris sur plusieurs faits de cette nature. Mais le parquet continue de s’y opposer ; ce qui prouve bien qu’à l’échelle nationale comme dans l’ensemble de l’Europe il faudrait instaurer une vraie indépendance des enquêteurs…

Or il est tout à fait possible de mettre en place un parquet européen qui agisse de sa propre autorité. C’est possible, et c’est nécessaire. Il faut créer un parquet européen indépendant, spécialement en charge de ce genre de dossiers (au moins pour commencer), et renforcer les moyens de l’OLAF en conséquence. Et évidemment il faut aussi supprimer les paradis fiscaux au sein de l’UE, imposer la transparence et la taxation à la source de tous les flux financiers, sur le principe de la taxe Tobin et enfin obliger les sociétés mères à assumer les activités de leurs filiales (et leurs dégâts sur le plan social ou écologique).

La gouvernance économique nécessite aussi une transparence financière. On ne pourra pas transformer le système en profondeur sans s’attaquer aussi à cet aspect du problème.

Le Taurillon : Soutenez vous la mise en place d’une carte Bleu & Or sur le modèle de la carte Verte américaine, qui permettrait aux citoyens extérieurs à l’Union Européenne de s’installer et de travailler légalement dans l’espace communautaire sans besoin de visa ?

Eva Joly : La plupart des discours tenus sur l’immigration et des mesures prises récemment à ce sujet sont scandaleuses et totalement irresponsables. Je pense à la directive “retour” votée l’an dernier par la droite et une bonne partie des libéraux et des socialistes européens, je pense aussi aux lois Sarkozy, ou à ce qui se passe aujourd’hui en Italie avec ses camps (!) en Libye…

J’ai bien peur que cette carte ne change rien aux politiques sécuritaires et inhumaines que mènent les pays européens à l’égard de l’immigration.S’il s’agit seulement de copier le modèle américain en la matière, ou pire d’avaliser cette soi-disant politique “d’immigration choisie”, c’est inutile, voire dangereux.

À qui cette carte serait-elle donnée, selon quels critères ? On ne peut pas éternellement prétendre « gérer » les flux migratoires à coup de durcissement des sanctions et de plus grande fermeture des frontières ! Cela revient trop souvent à jouer avec les droits de l’Homme et la dignité humaine ; ça va à l’encontre de tout ce qui est censé faire les valeurs de l’Europe, et ça ne marche pas.

On ne peut pas rester plus longtemps dans cette vision strictement économique ou répressive de l’immigration qu’on cherche à nous imposer. Si l’on veut vraiment agir dans le domaine des migrations internationales, il y a des réalités dont il faut tenir compte et il y a des grands principes à respecter. La politique européenne doit être basée sur le respect du droit international. Elle doit vraiment, totalement, intégrer les objectifs de solidarité et de coopération avec les pays tiers. Et elle doit s’attacher en priorité à la protection des demandeurs d’asile et des migrants. Il faut reconnaître leurs droits politiques, leurs droits économiques, leurs droits sociaux : le droit de vote, le droit à travailler, le droit à percevoir des indemnités en cas de problèmes…

Tout cela nécessite en premier lieu de revenir complètement sur la Directive Retour (qui, entre autres choses, autorise l’enfermement des mineurs !) et de garantir le droit d’asile, déjà inscrit dans plusieurs textes internationaux mais très mal appliqué dans les faits.

Et pour être cohérent jusqu’au bout, Europe Ecologie propose l’instauration d’une citoyenneté de résidence, acquise dès lors que quelqu’un résiderait depuis plus de cinq ans sur le territoire de l’UE. Il est incroyable que des gens qui ont une famille ici, qui vivent et travaillent ici, et qui paient des impôts sur le territoire européen ne disposent pas des mêmes droits que nos résidents nationaux.

Illustration : portrait d’Eva Joly

Source : Xavier Cantat, pour Europe Ecologie

Vos commentaires
  • Le 26 juin 2009 à 21:21, par pastor dominique En réponse à : Eva Joly dans la dernière semaine de campagne pour Europe-Ecologie

    Madame Eva JOLY

    J’aurais vraiment aimé vous écrire directement mais je n’ai pas trouvé d’adresse mail se rapportant à vous ou à votre position dans génération écologie. Ceci étant, j’espère que ce texte vous parviendra.

    Mais tout d’abord, félicitations pour l’excellent score de « Génération Ecologie » aux élections européennes. Je souhaite assister à l’émergence réelle d’une nouvelle façon de concevoir notre vie en société.

    Ceci étant, et à l’instar d’un nombre toujours plus grand de personnes, la situation de ce monde ne laisse pas de m’inquiéter quant à notre legs.

    Nous avons hérité du XIXème siècle et de son ère industrielle, une des pires dérives qui se puisse concevoir : la croyance totalement éronnée et archaïque que les ressources de la Terre sont inépuisables, que la Nature doit être totalement asservie par l’homme, lui être entièrement assujetie et qu’il est possible à chacun de s’enrichir matériellement pour peu qu’il y travaille.

    Cette « religion » est savamment entretenue depuis par des idéologies dévoyées, telles le marxisme qui avec ses épouvantables cortèges de malheurs, a commis les crimes les plus atroces contre l’Humanité et contre l’Environnement (Mer d’Aral). Plus récemment la mondialisation néo-libérale avec ses méthodes maffieuses voire facistes et corrompues provoquent des drames et des dommages irréversibles, non seulement à notre environnement mais encore aux peuples et à leurs cultures.

    Personne ne prend en compte la loi de conservation de l’énergie et les quelques individus en possédant la plus grande partie lèsent nécessairement et très durablement l’immense majorité de l’humanité. En effet, la quantité d’énergie contenue dans l’univers et par conséquent sur Terre est unique. Si son utilisation ne la fait pas disparaître, elle la transforme radicalement en provoquant du désordre dans tous les systèmes dynamiques impliqués. Ainsi transformée, elle est quasiment inutilisable : c’est l’entropie.

    La cupidité, la rapacité avec laquelle notre modèle occidental exploite la Terre et les océans est sans précédent dans l’Histoire de cette planète.

    Le pire dans tout cela, c’est que l’on en redemande. On croit que vouloir sa part de richesse, de préférence plus grosse que celle du voisin, vivre de manière hédoniste est totalement naturel, bienfaisant et inhérent à la nature humaine. Il s’en suit donc une compétition d’une férocité jamais atteinte.

    Or, si de mon point de vue il n’est pas question d’interdire une saine compétition nécessaire à notre évolution, il faudrait par contre la brider rigoureusement.

    Je m’étonne (mais peut-être ne me suis-je pas suffisamment documenté) de n’avoir jamais entendu proposer par quiconque la création d’un véritable « Code Pénal de l’Environnement ». Il s’agirait d’encadrer strictement nos activités par toute une batterie de dispositifs législatifs et réglementaires calqués sur notre actuel Code Pénal. De définir, ainsi qu’il existe en droit pénal général, les notions de crime et de délit contre l’Environnement, les aggravations et les atténuations, les peines complémentaires, ainsi que la prescription des faits et des peines qui en découleraient.

    Je pense par exemple au déversement de substances toxiques et radioactives dans l’environnement pour ne pas avoir à s’acquitter des droits à entreposer sur un site agréé (afin bien sûr d’empocher la somme due). Une telle infraction serait immédiatement sanctionnée d’une peine de prison ferme pour le donneur d’ordre, et d’une forte amende pour l’exécutant.

    Je pense aussi aux innombrables méfaits commis à travers le monde par l’entreprise Monsanto (pour ne pas la citer) et aux poisons qu’elle disperse dans les sols pour son seul profit pécuniaire sans aucune considération pour l’Environnement (Gaucho, Régent...).

    De fait, il m’apparaît indispensable de dégager certains faits criminels commis contre l’Environnement comme pouvant relever de la Cour Pénale Internationale et se trouver imprescriptibles au même titre que les crimes contre l’Humanité, le génocide et les crimes de guerre.

    Je pense notamment à telle ou telle entreprise engagée dans la recherche d’énergies fossiles ou alternatives, n’hésitant pas, en Afrique notamment, à déplacer et à affamer des populations entières pour piller les ressources naturelles et empoisonner les sols pour l’éternité. Le tout avec l’assistance active et bienveillante de quelque satrape local grassement installé par ces grosses compagnies.

    Je n’oublie pas non plus Union Carbide et les dizaines de milliers de morts et de blessés de Bhopal, pour lesquels à ma connaissance, la firme n’a jamais eu aucun compte à rendre ou si peu (mais je me trompe peut-être).

    Si la prise de conscience des problèmes environnementaux est désormais prégnante, il m’apparaît plus que souhaitable d’« enfoncer le clou » et de profiter de ce qui s’annonce comme un véritable besoin de changer de société pour poser les bases de l’encadrement légal de nos activités.

    La plupart de nos dirigeants, de nos élites n’ont pas encore saisi l’enjeu de ce qui s’annonce et s’évertuent à gouverner le monde comme une gigantesque épicerie, avec un archaïsme total. A nous de faire le travail, à nous de faire entendre ce que nous voulons pour cette Terre. Après tout, il ne s’agit que de continuer à vivre. Donc, ça doit marcher.

    Je n’ignore pas la difficulté de cette entreprise, pas plus que je n’ignore les bouleversements qui l’accompagneront. Je ne méconnais pas non plus le cancer de la corruption qui ronge nos sociétés et interdit toute modification de fonctionnement de notre système.

    Il s’agit d’un travail de longue haleine, un peu comme au Moyen Age, quand un compagnon posait la première pierre d’une cathédrale et n’assistait jamais à son inauguration. Mais nous ne pouvons pas attendre aussi longtemps.

    Je vous remercie Madame JOLY d’avoir prêté attention à ce texte. Je ne doute pas que vous y serez sensible et je vous souhaite tous les succès possibles au sein de votre mouvement.

    PASTOR Dominique.

  • Le 19 octobre 2010 à 11:51, par Mathieu En réponse à : un exemple concret : des Camerounais en grave danger pour avoir refusé de magouiller pour les Gouvernants.

    Bonjour, chère Eva ! Je connais vos convictions en matière des Droits de l’homme et en suis très heureux. Vous savez sans doute que le Cameroun est peut-être le pays Africain où la corruption gangrène toute la vies. J’ai à Yaounde, siège des gouvernants et de tous les ministères, et haut lieu de la corruption et du détounrnement de l’argent de l’État, un couple ami qui a refusé de collaborer avec ces magouilleurs puisants. Ils sont désormais sous la menace de prison à vie ou même de mort. Je voudrais témoigner pour eux, sinon vous donner leurs coordonnées pour que vous puissiez entrer en contact avec eux vous-même. Je serais heureux si vous pouviez prendre connaissance de leur problème soit par eux directement, soit par moi. Merci !

    Mes coordonnées : Mathieu Opdenacker - Résidence Le Globe / 3031 Avenue d’Uriage / 38410 Vaulnaveys-le-Haut, tél. 04 57 93 78 22 / mathieu.opdenacker chez gmail.com}}

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