Coupe du monde 2006

Football et nationalisme

ou comment concilier l’amour pour son équipe nationale et l’esprit européen.

, par David Soldini

Football et nationalisme

À chaque Coupe du monde, les antinationalistes se retrouvent dans une situation inconfortable. S’ils sont amateurs de foot, ils vivent honteusement les moments d’euphorie qu’ils ne peuvent réprimer et les considèrent comme une petite faiblesse coupable, mais pardonnable.

S’ils n’aiment pas le foot, ils déplorent la recrudescence des drapeaux nationaux, des hymnes nationaux, du chauvinisme forcément national, et constatent amèrement à quel point ils sont minoritaires. Et pourtant, l’amour exacerbé des supporters pour leur patrie peut également être compris différemment.

Faut-il nécessairement y voir les relents d’un nationalisme moribond et qui fait pourtant encore vibrer les masses incultes avachies sur leur canapé, insultant leurs adversaires d’un soir ?

Faut-il apercevoir, au fond de l’âme de chaque supporter, l’ombre inquiétante du nationalisme brutal, de la xénophobie primaire pour comprendre l’origine du beuglement animal que le fan(atique) laisse échapper dès que son équipe marque un but ?

Comprendre la nature de cet attachement viscéral, irrationnel à sa patrie est primordial dans la mesure où il a toujours existé : ’’Panem et circenses’’ disaient ainsi les romains pour souligner l’importance des jeux pour une société organisée...

Les jeux et les supporters : un phénomène universel.

O esplendor de Portugal...

Contrairement à certaines idées reçus, le sport, ou plutôt les jeux, n’ont jamais été l’apanage d’une classe sociale déterminée.

Nobles, esclaves, serfs, bourgeois, prolétaires, classes moyennes : toutes les classes sociales de toutes les époques ont connus ce phénomène.

L’amour du jeu mais aussi, et surtout, l’amour pour une équipe, un champion, un ou plusieurs êtres surdoués auxquels il est possible de s’identifier, pour une raison ou une autre.

Comment expliquer ce processus d’identification entre le Zidane, fils d’immigré ayant grandi à Marseille, et le jeune versaillais, fils, petit-fils, arrière-petit-fils de français, élevé dans le luxe et le raffinement, et dont les pupilles se mettent à briller lorsqu’il voit Zidane, de bleu vêtu, enflammer un stade ?

La réponse n’est pas simple. Du moins pas aussi évidente qu’il n’y paraissait à première vu, lorsque l’analyse se cantonnait à des sujets plus rudimentaires de notre belle France, des potentiels électeurs lepénistes, tout de survéts vêtus et de bière rassasiés. Certes, le nationalisme aveugle peut faire des ravages, dans toutes les classes sociales, et l’histoire européenne en est la preuve. Mais s’agit il vraiment de cela ?

Nationalisme politique et nationalisme footballistique : du bon usage du sentiment national

Blueh im Glanzes, dieses Gluekkes...

Oui sans doute, si le nationalisme est définit simplement comme l’amour irrationnel pour sa nation.

Mais faut il pour autant établir un lien entre le nationalisme du « footeux » et le nationalisme qui a ravagé l’Europe et qui alimente encore aujourd’hui l’idéologie de nos partis politiques rétrogrades et réactionnaires.

En somme, nationalisme politique et nationalisme footballistique sont-ils de même nature ?

Probablement pas.

Du moins, la manifestation bestiale constituée par les gesticulations idiotes et les hurlements sauvages des supporters révèle une autre face du nationalisme, la seule que paradoxalement l’homme devrait accepter.

Ces manifestations d’émotions témoignent de la réalité de l’attachement à la collectivité, la nécessité de se sentir appartenir, inclus, partie d’un tout. Ce sentiment est le propre de l’homme, animal à la fois solitaire et grégaire, individuel et collectif. Le nier revient à nier une partie de la nature de l’homme.

En revanche, ce sentiment d’appartenance, qui peut se développer à différents niveaux géographiques : auparavant c’était la ville ou le quartier, aujourd’hui c’est un ensemble généralement plus grand appelé Nation qui devient destructeur d’humanité lorsqu’il sert de fondement à l’action politique.

En effet, le nationalisme politique n’est pas la reconnaissance de la réalité des collectivités humaines constituées mais la construction d’un mythe grotesque et irrationnel comme fondement de l’action politique. Ce mythe grotesque qu’il faut dénoncer sans cesse, c’est la croyance béate que seul le sentiment d’appartenance grégaire peut être à l’origine d’une action collective. La communauté est prius, la politique posterius.

Lutter contre le nationalisme politique et faire vivre le sentiment d’appartenance

Fratelli d’Italia

Cela est évidemment une sottise. La communauté, au sens politique, ne préexiste pas à l’action politique.

C’est cette action qui forme la communauté, et celle-ci est amenée à évoluer en fonction des nécessités de la politique.

Ces nécessités, qui sont le véritable moteur de la politique, se ramènent à l’homme, quelque soit son appartenance communautaire. Et elles obligent aujourd’hui à penser la politique de façon globale, mondiale.

Les communautés politiques pertinentes aujourd’hui sont soit plus petites : c’est le cas de nos villes, de nos quartiers, où le renouveau de l’action politique locale doit encore se faire, soit plus grande : l’Europe, souvent, le monde, l’humanité.

Nos petits Etats nationaux ont certes crée un sentiment d’appartenance fort. Et cela est une nouvelle fois démontré par cette coupe du monde. Mais ce sentiment d’appartenance n’est en aucun cas un gage de réussite de l’action publique au sein de cette communauté pourtant si soudée et solidaire devant la télé. Il est, du point de vue politique, superflu.

La lutte contre le nationalisme c’est donc reconnaître cette inutilité de la notion de Nation en politique. Ce n’est pas lutter contre les sentiments d’appartenance, naturels et inéluctables chez l’homme, mais bien se battre contre le paradigme politique alimenté par ce sentiment d’appartenance, transformé en mythe : une nation, un peuple, un gouvernement.

La formule : une nation, un peuple, une équipe de football est sans doute moins dangereuse. Et pour la politique ? Le paradigme moderne est sans doute : une Terre, une Humanité, une Fédération mondiale.

- Illustrations :

Photo d’introduction : Allez les Bleus !

Toutes les autres photographies utilisées pour illustrer cet article sont elles aussi tirées de la galerie flickr du site officiel de la Coupe du monde 2006.

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Vos commentaires
  • Le 7 juillet 2006 à 18:06, par Valéry-Xavier En réponse à : Football et nationalisme

    Excellent papier David !

    Le sentiment d’appartenance a une communauté n’a en effet rien de honteux : il est même un élément important de l’identité de chacun à condition que la dite communauté ne prétende pas que celui-ci soit exclusif et surtout que l’on n’imagine pas en faire la base de toute construction politique ce qui mène au désastre.

  • Le 11 juillet 2006 à 23:09, par Fabien En réponse à : Football et nationalisme

    En fait, les « événements » liés à ’affaire des caricatures de Mahomet ont montré que beaucoup d’Européens ont eu le sentiment d’appartenance dont tu parles vis-à-vis des réactions d’intégristes (alors que nous avons eu les mêmes chez nous, bref).

    Néanmoins, comme tu le dis, notre fédéralisme n’est pas de remplacer le nationalisme par le continentalisme, mas bien de trouver une voie vers la Paix.

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