François Hollande se veut un président "normal", et pourtant il risque d’être tout le contraire. Au niveau européen, son élection a basculé tous les logiques. Fini le directoire "Merkozy", entrez "Homère" ! L’avenir promet plus de dissentiments, plus de différends manifestes, mais peut-être aussi plus de solutions valables, car plus représentatives du peuple européen.
Le couple franco-allemand est encore au sein de l’Eurogroupe ce qu’il était au sein de l’Union avant les élargissements après la chute du mur : moteur économique tant que politique, d’autant plus qu’aujourd’hui les autres grandes économies de l’Euro sont en difficulté (l’Italie, l’Espagne, même les Pays-Bas). Le couple franco-allemand a joué, ces derniers mois, le rôle d’un comité de pilotage politique, malgré l’indépendance nominale de la Banque centrale européenne et malgré l’implication des autres Etats et de la Commission européenne. Rien n’a été possible sans ce couple franco-allemand, et presque toute initiative conjointement menée par ce couple a réussi. Seulement, l’équilibre au sein même de ce couple était déréglé.
Les déséquilibres de "Merkozy"
Non seulement le président Sarkozy n’a jamais su faire pencher la balance entre lui et la chancelière en sa faveur – par exemple par rapport aux Euro-obligations ou au fonctionnement du Fond européen de stabilité financière – mais aussi un déséquilibre politique structurel était manifeste dans le couple « Merkozy ». En effet, pour les standards français, le gouvernement Fillon et le président Sarkozy étaient très libéraux au niveau économique. C’est ce qui démarque la présidence de Sarkozy notamment de celles de Jacques Chirac, conservateur certes, mais pas forcément libéral au sens économique du terme. Sarkozy et son gouvernement rejoignaient là assez étroitement un gouvernement allemand formé depuis fin 2009 des conservateurs de la CDU/CSU et des libéraux du FDP.
Le déséquilibre au sein du couple franco-allemand était moins un déséquilibre national entre la France et l’Allemagne qu’un déséquilibre politique entre une droite libérale UMP/CDU/CSU/FDP et une gauche PS/SPD/Grüne/EELV/autres qui auraient pu faire contrepoids. C’est ce déséquilibre politique qui a finalement amené à des réponses à la crise de l’Euro uniquement basées sur l’austérité budgétaire, et par là a suscité tant de colère, tant de déception au sein des populations concernées, d’abord grecques. Le hasard historique a voulu que ce comité de pilotage informel qu’est le couple franco-allemand a été plus libéral que jamais, entre le départ du SPD du gouvernement Merkel en octobre 2009 et l’élection de François Hollande en mai 2012. Ironiquement, c’étaient là les années de pleine crise financière, monétaire et économique de l’Europe.
Avec "Homère", un jeu politique plus classique reprend
Avec l’investiture de François Hollande, l’austérité pure et dure est finie. Angela Merkel pour le moment tient encore son cap contre tous, Barack Obama compris, lors du sommet du G8 ; mais cela fait partie du jeu. Ce jeu est un jeu ancien en Europe : à un problème donné, les gouvernements français et allemand favorisent des solutions divergentes, voire opposées, mais en fin de compte ils sont contraints de trouver un compromis entre leurs visions. Ce compromis sera valable par la suite pour tous les Européens ou presque, car il contiendra des éléments des deux côtés opposés. Jusqu’à ce que ce compromis soit trouvé, chaque camp gardera son intransigeance apparente ; le refus de Hollande de voir Wolfgang Schäuble, pourtant un pro-européen certifié, à la tête de l’Eurogroupe en témoigne. Une fois le compromis trouvé, tout le monde sera très heureux et s’embrassera beaucoup ; c’est la règle du jeu. Jusqu’à ce qu’une nouvelle pomme de désaccord apparaisse et que le jeu recommence.
C’est ce jeu politique qui est homérique au sens épique. Il insère un vrai débat, acharné et parfois mesquin, dans les discussions au niveau européen, un débat qui fait vivre la démocratie européenne en tant que dispute institutionnalisée, représentative des grands courants de la pensée du peuple européen. Ce jeu ne peut fonctionner si les institutions – formelles et informelles – de l’Europe sont dominées par un seul de ces grands courants, en l’occurrence par le courant libéral ces dernières années.
Au milieu de la crise de l’Euro, l’arrivée du nouveau président français, socialiste, promet donc une politique européenne plus intéressante, moins consensuelle, plus représentative des Européens, de ceux du sud et de ceux du nord, de ceux de la gauche et de ceux de la droite. – Au nom de la démocratie européenne : Vive(nt) "Homère" !
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