Hongrie et liberté de la presse

Rapport « Goodbye to Freedom 2008 »

, par József Martin, Traduit par Emmanuelle Gardan

Hongrie et liberté de la presse

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail. Aujourd’hui, voici la situation en Hongrie.

En journalisme, il ne peut y avoir de loi plus élevée que celle d’humilier le diable en disant la vérité — Walter Lippmann

Présentation générale

Thomas Jefferson, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis d’Amérique, affirmait à la fin du 18ème siècle que s’il devait choisir entre un gouvernement sans journaux et des journaux sans gouvernement, il opterait sans hésiter pour la seconde alternative. De nombreux hommes politiques doivent être en désaccord avec les propos de Jefferson, parce que l’histoire des deux siècles passés repose en grande partie sur des affrontements entre le pouvoir politique et la presse.

De ce point de vue, la Hongrie ne fait pas exception. La revendication de la liberté de la presse figurait au cœur du conflit qui a opposé le pays à l’empire des Habsbourg au milieu du 19e siècle. A chacun des huit changements qu’a connus le système politique hongrois au cours du siècle passé, les conditions d’exercice de la presse, au sens large, ont toujours représenté un sujet d’âpre discussion. Le dernier changement - pour nous, le plus important - la transition du régime communiste à la démocratie, a également été marqué par une modification essentielle du rôle de la presse. Serviteur du parti communiste à l’époque de la dictature, elle est devenue l’un des acteurs les plus dynamiques de la scène politique quand le communisme a été renversé en 1989-1990.

Beaucoup d’obstacles ont été levés, mais..., il ne suffit pas d’écrire, il faut aussi vendre ses journaux

Pour certains chercheurs sur les médias, ce fut un bref âge d’or des médias hongrois : l’ancien pouvoir en place était déjà trop faible pour les contrôler, et les nouveaux dirigeants et responsables n’étaient pas encore arrivés. Mais cette période n’a pas duré, et les journalistes et autres acteurs du secteur ont dû s’adapter à un système nouveau. Péter Esterházy, l’un des écrivains hongrois les plus éminents, a fait remarquer qu’avant, la presse était en grande partie soumise à l’influence du pouvoir politique, et qu’aujourd’hui, elle était en grande partie soumise au pouvoir de l’argent.

Beaucoup d’obstacles ont été levés, mais selon lui, même dans le nouveau contexte de la liberté de la presse, il ne suffit pas d’écrire, il faut aussi vendre ses journaux. Esterházy avait tout à fait raison et, comme dans les autres jeunes démocraties européennes, il est rapidement apparu que la liberté avait fait disparaître les anciens problèmes pour les remplacer par de nouveaux. Cela dit, aux yeux des analystes experts du sujet, dont la prestigieuse organisation Freedom House, la presse est libre en Hongrie et il n’y a, au moins en théorie, aucun tabou.

Etudes de cas : cinq points faibles entachent la sphère de liberté des médias hongrois

1. Le cadre judiciaire du reportage d’actualité et du journalisme d’investigation présente des faiblesses. Dans le code pénal, les journalistes sont non seulement tenus responsables de leurs propres mots, mais aussi de la publication de propos diffamatoires tenus par d’autres. Autrement dit, les hommes politiques bénéficient d’une immunité, là où les journalistes qui les citent n’en bénéficient pas. Un journaliste peut-il être incarcéré pour diffamation dans ce type de situation ? En dix-sept ans, cela n’est arrivé qu’une seule fois. C’était en 2001 et il s’agissait d’un rédacteur qui avait cité un membre du Parlement d’après un document datant de près de 45 ans, donc de l’ère communiste, pour l’accuser d’avoir joué un rôle dans l’exécution de quatre personnes après la révolution manquée de 1956. Le journaliste en question avait été condamné à une peine de 10 mois de prison avec sursis, mais la Cour Suprême avait ensuite annulé sa condamnation. L’affaire de diffamation avait été montée par le député, qui avait été lui-même incarcéré par le régime communiste hongrois après les événements de 1956 et libéré seulement en 1963.

La liberté des médias est également infléchie par la législation pénale hongroise en matière de secrets d’Etat, les journalistes pouvant engager leur responsabilité s’ils publient des secrets qui leur ont été communiqués par des employés d’Etat ou du gouvernement. Les journalistes de deux rédactions, Népszava et Heti Világgazdaságs, furent ainsi accusés d’avoir violé des secrets d’Etat, puis présentés devant les tribunaux, où de longues batailles juridiques furent menées.

2. Le paysage médiatique hongrois se caractérise par le pluralisme et la diversité des opinions qui y sont exprimées, mais il reflète aussi les profondes divisions de la classe politique – non seulement dans les pages d’opinion et les éditos mais aussi dans la couverture de l’actualité. Hormis quelques exceptions, le journalisme en Hongrie est généralement profondément influencé – voire déterminé - par la politique politicienne.

3. L’avenir de la télévision et de la radio publiques est incertain. Un débat intense est en cours en Hongrie, comme ailleurs en Europe de l’Est et de l’Ouest, sur la manière d’organiser la télévision et la radio publiques pour qu’elles puissent survivre à la concurrence des chaînes privées. En Hongrie, la proportion de spectateurs qui regardent régulièrement la télévision publique ne dépasse pas les 15%, un chiffre beaucoup plus faible que ceux enregistrés par la BBC, ARD, ZDF ou France 2. Les détracteurs se plaignent du fait que la télévision publique coûte trop cher au contribuable.

Un autre problème, que la Hongrie partage avec certains systèmes de rediffusion publique d’Europe de l’Ouest, est sa dépendance envers les partis politiques. Une erreur majeure semble avoir été commise en 1996, lors de la création par la loi sur les médias (1996), du Conseil National de Radio et Télévision Publiques (ORTT), un organe de régulation et de contrôle dont les membres sont en majeure partie choisis par les partis politiques. Un grand nombre de professionnels considère que cette loi sur les Médias est obsolète, et des appels ont été lancés en faveur de la réforme de l’ORTT ou de son remplacement par une structure plus indépendante et plus responsable en matière de régulation de la radio et de la télévision publiques.

4. Le divertissement a fortement envahi les médias, au détriment de l’information de qualité et de l’analyse. La Hongrie compte plus de 200 stations de radio de différentes sortes - locales et régionales, publiques ou à but non lucratif et commerciales, par câble- et un grand nombre d’entre elles proposent une programmation réduite à du divertissement, sans véritable contenu d’information quel qu’il soit. De la même façon, la presse écrite et la télévision semblent être largement esclaves du divertissement.

La Hongrie n’a pas seulement cédé au phénomène bien connu de l’information divertissante (ou « infotainment ») ; les journalistes font aussi bien souvent ce qui pourrait être appelé de l’infopub. Dans les deux cas, la frontière entre l’information factuelle et la

publicité ou le divertissement est assez floue, et dans les deux cas il est porté atteinte à la qualité même du journalisme. Un des facteurs explicatifs à l’origine de ces deux grandes tendances réside dans la diminution constante du taux de circulation de la presse écrite de qualité (quotidiens et hebdomadaires) au cours de la dernière décennie, tandis que la presse à sensation (« tabloïd ») a sur la même période, soit maintenu, soit augmenté son taux de circulation déjà relativement important.

5. Au sein des jeunes générations, l’Internet est extrêmement populaire – dans la majorité des cas au détriment de tous les autres médias. Au niveau de la population adulte dans son ensemble néanmoins, la proportion d’internautes s’élève à peine à 30%. L’Association hongroise des fournisseurs de contenu a rédigé un code de conduite volontaire visant à normaliser les contenus publiés sur l’Internet, et une nouvelle proposition de loi sur les médias est en cours pour réglementer l’Internet au regard de la protection des droits et libertés fondamentaux des personnes par un cadre légal. Les libéraux et les partis de gauche travaillent ensemble à renforcer la législation à l’encontre des contenus d’extrême-droite et néo-Nazis.

Conclusion et action future :

La santé des médias hongrois, comme celle de ses voisins européens, requiert un équilibre entre les forces du marché et une législation étatique raisonnée. Des efforts doivent encore être mis en œuvre pour créer un environnement propice à l’épanouissement de médias libres, d’un niveau de qualité élevé et solides financièrement, qui soient indépendants des orientations suivies par quelque parti politique que ce soit. Walter Cronkite indiquait la voie à suivre lorsqu’il affirmait : “Nous sommes fidèles à notre profession quand nous disons la vérité. C’est la seule croyance à laquelle les journalistes ont besoin d’adhérer”. Il relève de la responsabilité conjointe des journalistes eux-mêmes et de l’ensemble de la classe politique de faire que ce "petit" conseil de Walter Cronkite soit concrètement suivi dans les faits.

Mise à jour février 2008

Comme le soulignait le rapport national de l’AJE sur la Hongrie dans l’Enquête sur la Liberté des Médias de novembre 2007, les journalistes hongrois sont injustement mis en danger par le cadre légal, à cause du maintien de l’existence d’une loi nationale qui qualifie d’infraction la divulgation de secrets d’Etat par les journalistes, alors que les agents de l’Etat qui sont à l’origine de ces fuites bénéficient de la protection de la loi.

La prolongation sans fin de l’enquête sur Antonia Radi, une journaliste de presse accusée depuis 2003 d’avoir rendu publics les détails d’un procès de la mafia dans la ville de Székesfehérvár, en a fait un cas d’école. En décembre 2007 enfin, Antonia Radi a été libérée et le procès à son égard a été clos. Les pressions en faveur de la révision de la loi sont soutenues sur la scène internationale par Miklós Haraszti, le représentant de l’OSCE pour la Liberté des Médias.

Les associations hongroises de journalistes et d’autres ONGS ont également accentué leurs requêtes en faveur d’une modification de la loi visant à protéger les journalistes des arrestations et des mauvais traitements de la part de la police lorsqu’ils couvrent des manifestations de rue. Deux journalistes ont été interpellés alors qu’ils exerçaient leur métier, en assurant la couverture d’une manifestation à Budapest en novembre dernier. Les protestations qui s’en sont suivies ont conduit à des négociations directes entre les représentants des medias et de la police pour éviter que ne se reproduisent les conflits qui avaient alors émergé.

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.
Illustrations :

 le drapeau de la Hongrie ; source wikipedia

 le logo de l’AEJ

 le logo du rapport « Goodbye to freedom »

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