Il faut tuer la rubrique Europe

, par Laurent Nicolas

Il faut tuer la rubrique Europe

L’espace public européen n’est, aujourd’hui tout le monde en convient, qu’une fiction. Quoi de plus normal ? Avec autant de langues à faire cohabiter, seul le Parlement européen —et encore— peut se payer le luxe du multilinguisme. La Commission, quoi qu’elle en dise, y a renoncé depuis longtemps. Alors pour des médias, et a fortiori des vieux médias comme la télévision ou la presse, le multilinguisme, ce n’est pas vraiment à leur agenda.

Pourquoi, d’ailleurs, trouverait-t-on dans nos kiosques, ailleurs que dans les gares et les aéroports, un choix de journaux en langue étrangère ? Ou un journal multilingue ? Ca n’aurait en fait aucun sens. Le pourcentage de lecteurs multilingue est infime en France. Et sans public, pas d’avenir. Les francophones veulent recevoir leurs informations en français, point. L’enjeu n’est pas donc de réussir à faire coïncider plusieurs langues sur un même média.

L’agenda politique, en revanche, pose problème, plus que la langue. Comment se fait-il que les mêmes défis économiques, sociétaux, environnementaux, touchent les Européens, et que pendant ce temps les sphères médiatiques traditionnelles perpétuent le cadrage national dans le traitement de ces informations ?

Question de génération ? Certains déplorent l’incapacité de ces vieux journalistes de presse à s’inscrire dans l’européanisation —la mondialisation ?— de l’information. Mais le mal est plus profond que ça. Les rédactions web des grands quotidiens, qui fourmillent de jeunes journalistes talentueux placés dans l’antichambre du papier, ont strictement le même regard national sur l’actualité que leurs aînés. Preuve que ça les dépasse.

Pas d’espace public européen sans médias européens !

Question d’échelle, surtout. Se plaindre du traitement local ou national de l’information est une vieille rengaine européiste. Râler sur le journaliste de la presse régionale parce qu’il fait son travail de journaliste de presse régionale, parce qu’il parle à ses lecteurs, leur rapporte les faits qui les entoure, c’est un peu facile. Chacun son métier !

Le constat que nous devons nous faire, nous grands rêveurs fédéralistes, c’est qu’il y a des médias régionaux, il y a des médias nationaux. Partout, dans chacun des Etats d’Europe. Mais de média européen, il n’y en a point. La subsidiarité médiatique, ça n’existe tout simplement pas !

Des expériences comme Euronews ou en France, l’éphémère magazine L’Européen, qui n’a malheureusement pas réussi à survivre une année, touchent un public très restreint et souvent déjà acquis à la cause européenne.

Même la blogosphère ne parvient pas à installer cet échelon transversal, supranational. Même si des sites comme le notre, dont les principes de fonctionnement baignent dans la subsidiarité, voient leur lectorat grandir régulièrement, aucun des blogs ou webzines existants ne peut se prévaloir d’une audience comparable à celle d’un média grand public, télé ou papier. Et ce même en France où la blogosphère citoyenne est l’une des plus actives d’Europe.

Révolutionner le paradigme de la « rubrique Europe »

Le drame médiatique qui touche l’Europe, c’est celui de la rubrique. Dans les rédactions, le raisonnement est encore trop cloisonné. Aujourd’hui l’Europe, c’est une rubrique, ce sont des faits catalogués « européens », généralement bruxellois, impliquant parfois Paris, de temps en temps Berlin.

Alors que ce qui se décide entre Bruxelles et les 27 capitales nationales infuse depuis plusieurs décennies à tous les niveaux de société, de l’individu à l’Etat, la perception médiatique de l’Europe reste éternellement celle des institutions et des disputes entre Etats membres. La transversalité de l’Europe est niée par la rubrique, qui traduit toute la résistance, consciente ou non, des journalistes et des rédacteurs en chef à concevoir la dimension fondamentalement européenne de nombreux faits rapportés et compris aujourd’hui dans un cadre uniquement national, régional, local.

Le chercheur, ici, demandera « mais pourquoi ? », tandis que le militant dirait « que faire ? ». Les deux voies sont nécessaires et, je crois, indissociables. Alors au travail.

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Vos commentaires
  • Le 7 novembre 2010 à 16:49, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Il y a une grande confusion en effet dans la presse sur les affaires européennes : bien souvent il n’y a précisément pas de rubrique « Europe » mais seulement une rubrique « international » où les affaires communautaires sont étrangement traitées.

    Lorsqu’il y a une telle rubrique on y trouve pêle-mêle les informations sur la politique intérieure ou les faits divers d’autres pays européens et les informations sur l’Union européenne.

    La politique communautaire, c’est de la politique intérieure. Même si c’est un portugais qui l’incarne (mal) et même, et surtout, si notre gouvernement tente de maintenir l’omerta sur son action de législateur au sein du Conseil.

  • Le 7 novembre 2010 à 16:49, par Stéphane En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Exactement, les décisions et débats concernant une directive européenne sur les transports ferroviaires doivent atterrir dans la rubrique concernée du journal, et non dans un fourre tout Europe.

    Pour autant, une rubrique Europe est symboliquement importante, et surtout dans la mesure où les débats sur les Traités, la gouvernance and co sont loin d’être clos, elle a encore du sens. Mais limitée à ces questions.

  • Le 7 novembre 2010 à 17:24, par Manuel A En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Excuse moi Laurent mais il me semble qu’Euronews touche un public beaucoup plus large que tu ne l’imagines. Je trouve d’ailleurs que cette chaine fait un travail extraordinaire meme si elle devrait sans doute etre moins focalisée sur les questions economiques.

  • Le 7 novembre 2010 à 18:50, par Cédric En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    A priori, assez d’accord. L’Europe devrait pouvoir se retrouver dans toutes les rubriques : International, Politique, Economie, Sport, Santé, Environnement...

    De manière plus générale, je ne trouve pas que la presse maltraite l’UE, du moins en France. Les rares fois où elle ne parle pas d’Europe, c’est souvent... qu’il ne se passe rien de passionnant à Bruxelles. Notre José Manuel et les partis européens, on le sait, ne sont pas des pros de l’action. Certains se sont plaint que les média n’aient pas relayé l’investiture de la Commission par le Parlement en février. Oui, bof... qui peut honnêtement prétendre que le théâtre autour de Rumiana Jeleva avait un quelconque intérêt ?

    Le problème, je pense, ce n’est pas forcément le regard national des journalistes de presse écrite. C’est plutôt que nombre d’entre eux voient la politique par le prisme des antagonismes entre politiciens. Or, la politique européenne ne fonctionne pas (encore) comme ça.

    Cela explique aussi pourquoi la télé accorde peu de place à l’Europe. Mais vous imaginez messieurs Pujadas ou JP Pernaut parler d’Europe ? http://www.lemonde.fr/tele-zapping/?id=1435099

  • Le 7 novembre 2010 à 20:15, par Manuel A En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Pour information á propos d’Euronews.

    "Selon ces études, euronews serait la première chaîne d’information en Europe, puisque suivie quotidiennement par près de 2,9 millions de foyers européens via le câble et satellite, et par près de 3,7 millions via les réseaux hertziens. Ainsi quotidiennement euronews rassemblerait le double de téléspectateurs de CNN internationale, et cinq fois plus de téléspectateurs que la BBC internationale.

    Enfin, le profil type du téléspectateur d’Euronews serait un homme (73 %), aux revenus annuels élevés (55 200 €/an)." Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Euronews

    Dossier de presse de Euronews

    http://www.euronews.net/media/the-station/mediapackpress_FR.pdf

  • Le 8 novembre 2010 à 06:30, par Martina Latina En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Voilà un titre bien provocateur, et sans doute salutaire !

    Regardons cependant les chaînes et les radios françaises multiplier les émissions sur l’Europe : je pense particulièrement à France 3 et France-Inter. Suivons surtout la trajectoire exemplaire, bilingue, mais surtout interculturelle, quotidienne et chaque jour plus porteuse, d’ARTE : cette chaîne franco-allemande qui fête ses vingt ans complète, ou plutôt élargit, la lucarne d’une télévision de qualité par un site inventif et foisonnant de dialogue multilingue.

    Oui, L’EUROPE est en mesure et en droit d’incarner enfin la vocation inscrite dans son nom de VASTE-VUE, et elle a notamment besoin d’un TAURILLON dynamique pour se réaliser, plus encore que la mythique EUROPE qui la fit naître, en Crète il y a trois millénaires, de l’aurore orientale !

  • Le 8 novembre 2010 à 10:50, par Sylvain En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Pour ceux qui veulent que l’on consulte les français sur la révision du traité de Lisbonne, signez la pétition :

    http://goo.gl/whh3

  • Le 8 novembre 2010 à 10:59, par Krokodilo En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Bravo, enfin du parler vrai ! Je m’étonne toujours que la Commission ne mette jamais à l’étude un média européen public, une télévision européenne bâtie pourquoi pas à partir d’Euronews ou d’Arte (maintenant anachronique avec ses deux langues), ou un échange gratuit d’émissions entre pays, à charge pour chacun de doubler (ou sous-titrer dans sa langue). Il est urgent de fermer ce gaspillage de la télé French 24 dont les 100m/an seraient mieux employés dans de tels projets européens. Probablement que l’obstacle réside dans la conviction ultralibérale de la Commission et dans son peu d’intérêt pour la notion de service public.

  • Le 8 novembre 2010 à 11:28, par Laurent Nicolas En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    on se contenterait déjà, dans un premier temps, d’un « service d’intérêt général » !

  • Le 8 novembre 2010 à 12:49, par Emmanuel En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    “Même la blogosphère ne parvient pas à installer cet échelon transversal, supranational.”

    C’est tellement vrai que pour profiter pleinement du Taurillon, il faut savoir parler quatre langues, puisque depuis quelques temps maintenant, les traductions entre articles de différentes versions linguistiques se font de plus en plus rares....

  • Le 8 novembre 2010 à 12:55, par Laurent Nicolas En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Les traductions ne sont pas la règle, je te l’accorde. Mais nous essayons d’en faire un maximum. Sur les 7 derniers articles postés, 5 sont des traductions d’articles publiés précédemment dans les autres versions linguistiques du Taurillon.

    J’en profite pour rajouter ton adresse dans la mailing list des traducteurs disponibles, si je comprends bien ? ;)

  • Le 8 novembre 2010 à 14:08, par Krokodilo En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    « Même la blogosphère ne parvient pas à installer cet échelon transversal, supranational. » Sauf, naturellement, la blogosphère espérantophone, aussi bien associative qu’informative, par exemple ces deux : Libera folio, qui traite majoritairement du mouvement lui-même, mais sur lequel je me suis basé pour parler des député(e)s européens espérantophones http://www.liberafolio.org/ et Eventeo qui s’oriente davantage vers l’information http://www.eventeo.net/web/ Sans oublier les très nombreux forums. Etonnant comme on oublie facilement l’efficacité de l’espéranto dans la communication transnationale...

  • Le 8 novembre 2010 à 14:15, par Laurent Nicolas En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Non, je ne suis pas d’accord. Ces communautés existent, mais sont loin de constituer un espace conséquent du débat public européen. Le support, la langue esperanto, ne suffit pas pour faire émerger, à elle seule, un échelon médiatique transnational. Elles sont tout aussi confinées que d’autres communautés présentes sur le web, comme la notre, celle des fédéralistes, par exemple.

  • Le 8 novembre 2010 à 15:45, par Krokodilo En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Je parlais d’une blogosphère supranationale en général, mais sur le plan européen et d’une surface importante, d’accord que ça n’existe pas. C’est une des causes de la fragilité d’une identité européenne.

  • Le 10 novembre 2010 à 11:11, par Emmanuel En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    exactement ! Cela fait une éternité que personne ne m’a sollicité pour des traductions (de DE et EN), alors que j’avais toujours indiqué ma disponibilité.

    Quant à la statistique que tu donnes, j’ai bien peur qu’elle ne soit pas du tout représentative de la tendance des derniers mois (années ?), mais je ne demande qu’à être convaincu du contraire (car c’est un ressenti, pas une analyse chiffrée).

  • Le 11 novembre 2010 à 09:23, par Stéphane En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Certes, l’investiture de Jeleva avait un intérêt limité, mais c’est aussi ce qu’on en fait. Les débats sur Borloo et Fillon, ont-ils un intérêt extraordinaire ? Non, et pourtant ça se crée l’intérêt. Les débats entre Schulz et Daul ou Cohn-Bendit ne sont pas inintéressants en soi.

  • Le 12 novembre 2010 à 13:22, par Laurent Leylekian En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Un « SIG » !! Quelle horreur ! De quoi passer pour un crypto-bolchévique aux yeux de la Commission :-))

    Plus sérieusement, la question du multilinguisme n’est pas qu’une vieille marotte chère à des Français passéistes et tournés vers le passé de leur ancienne gloire.

    C’est aussi une question d’égalité. La Commission qui est si sourcilleuse dès lors qu’est en jeu la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée » serait bien inspirée de balayer devant sa porte à ce sujet.

    Quand on voit que le site de la DG Recherche est exclusivement anglophone (de même que celui de Relex par exemple), on peut s’interroger sur les chances des PMEs non britanniques de décrocher un financement européen ...

  • Le 13 novembre 2010 à 10:06, par AA En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    J’ai écrit quelque chose la dessus : une chaîne publique européenne comme premier pas de l’espace public européen : http://insights-politics.tumblr.com/post/1545201257/why-tv-could-be-the-1st-step-to-the-european-public

  • Le 13 novembre 2010 à 18:30, par Laurent Nicolas En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Très bien, mais pour nos lecteurs, peux-tu nous résumer ce dont tu parles dans cet article ?

  • Le 16 novembre 2010 à 08:49, par AA En réponse à : Il faut tuer la rubrique Europe

    Bien sur,

    En gros, la Commission finance déjà largement Euronews, chaine d’information européenne diffusée en 10 langues.

    Je crois que pour ma part, la télévision joue un rôle énorme en matière de construction d’espace public européen, car à un même moment, elle diffuse sur un canal présent chez (presque) tout le monde, le même événement. Cette diffusion simultanée, cette expérience partagée entre tous les téléspectateurs produit un sentiment d’appartenance à une foule unique. Il n’y a qu’à voir l’ampleur de la coupe du monde de football.

    Sauf que ce média top-down qu’est la télévision peut désormais être augmenté d’u feeback, via le partage sur les réseaux sociaux.

    Je pense donc, que pour participer à la construction de l’espace européen, la Commission doit transformer euronews, avec l’aide de toutes les chaînes publiques européennes. L’idée est de créer une chaine de télévision généraliste, proposant de l’information européenne, mais aussi des films ou des séries, présente sur toutes les TNT européennes sur le même canal et avec les mêmes programmes. Je pense par exemple qu’en matière de sport, toutes les compétitions européennes (champion’s league, Hcup en rugby, championnat d’europe d’athlétisme, etc.), trouveraient parfaitement leur place sur ce canal. Pour assurer ses recettes, elle pourrait vendre de l’espace via une régie pub, à la manière de France télé.

    En diffusant le même programme à tous les européens, elle enrichirait leur expérience et leur volonté de partager. En réunissant une audience significative, elle attirerait ensuite l’attention des autres médias, etc.

    Voilà en gros.  ;)

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