Intégration européenne, crise, budget : et la jeunesse dans tout ça ?

, par Fanny Dubray

Intégration européenne, crise, budget : et la jeunesse dans tout ça ?
Androulla Vassiliou, membre de la CE chargée de l’Education, de la Culture, du Multilinguisme et de la Jeunesse © Services audiovisuels de la Commission européenne

Fin novembre, les Chefs d’Etat et de gouvernements européens examinaient le projet de budget préparé par la Commission européenne et amendé par le Parlement européen. Sans surprise, le sommet s’est soldé par un échec : un budget européen ne se négocie pas comme on cuisine un cup cake. A vrai dire, nos dirigeants se sont retrouvés sur deux points : la réduction de leur contribution et la défense de leur pré carré. Plébiscités par les jeunes, incontestable réussite de l’Union, les programmes de mobilité sont aujourd’hui sur la sellette. Une question se pose : 25 ans après le lancement d’Erasmus, que fera, demain, l’Europe pour ses jeunes ?

Dire que la situation des jeunes en Europe est préoccupante est un lieu commun. Leur taux de chômage est particulièrement élevé : de 23% en moyenne européenne, il atteint jusqu’à 53% en Espagne et 55% en Grèce. Dans de nombreux pays, ces jeunes manifestent leur mécontentement dans la rue, prenant pour cible des politiques nationales d’austérité à laquelle ils associent désormais l’Europe : c’est le cas en Grèce, mais aussi en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne. Le mouvement des Indignés regroupent des jeunes qui récusent tout ancrage politique, et ne se reconnaissent plus dans nos systèmes de démocratie indirecte, sans pour autant proposer de véritable alternative. Si l’on met ces actualités en regard du faible taux de participation des moins de 25 ans aux élections européennes de 2009 (28%), le divorce des jeunes avec leurs institutions – nationales et européennes - est alarmant.

L’Europe en est consciente, qui a fait de la jeunesse l’une de ses grandes priorités politiques. Celle-ci se manifeste notamment par le biais des programmes de mobilité qui sont plébiscités par les jeunes eux-mêmes. Mais ces programmes sont-ils suffisants ? Nombreux sont ceux, à la Commission comme au Parlement, qui voudraient aller plus loin. Mais pourquoi la jeunesse serait-elle un enjeu européen ? Les Etats n’investissent-ils pas suffisamment dans ce domaine ?

Erasmus et compagnie : une histoire à succès

Malgré des compétences juridiques limitées, l’Union européenne est parvenue, au cours des trente dernières années, à développer une action efficace dans le domaine de l’éducation, basée sur l’encouragement à la mobilité et sur la reconnaissance mutuelle des enseignements et des compétences. Cette action est mise en œuvre par le biais d’un large éventail de programmes, parmi lesquels Comenius (enseignement secondaire), Léonardo (enseignement professionnel), Jeunesse en action (pour l’éducation non formelle) et bien sûr, Erasmus.

De tous les programmes européens alliant éducation et mobilité, Erasmus est sans conteste le plus emblématique. Il est en tout cas le plus connu et le plus populaire, même s’il n’est pas le seul. C’est un programme qui parie sur le volontarisme des acteurs de l’enseignement supérieur, et qui fonctionne de manière particulièrement souple. Basé sur une logique de partenariats entre les Universités, il permet aux étudiants de bénéficier de bourses d’études pendant leur période de mobilité.

  • Depuis sa mise en place en 1987, le programme a ainsi permis à plus de 2 millions de jeunes, représentant 3% des étudiants européens, de faire l’expérience du séjour d’études à l’étranger.
  • Fixé à 950 millions d’euros pour la période 2000-2006, le budget du programme Erasmus s’est élevé à plus de 3 milliards d’euros en 2006-2013, prenant ainsi la mesure des derniers élargissements.
  • Le programme est aujourd’hui mis en œuvre dans 33 pays, parmi lesquels les destinations phares restent l’Espagne, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne.
  • Chaque année, ce sont 30 000 étudiants et 3000 enseignants et personnels administratifs qui en bénéficient, pour des périodes de 3 à 12 mois et depuis quelques années, le programme permet aux étudiants de réaliser des stages en entreprises, dans le cadre de leurs études.

Nous sommes pourtant loin des objectifs initiaux de 1987 qui prévoyaient la mobilité de 10% des étudiants européens. Chaque année, la presse économique nous informe que dans certains établissements l’ensemble des bourses disponibles n’est pas utilisé, alors que dans d’autres, l’obtention d’une bourse Erasmus fait l’objet d’une véritable sélection. Par ailleurs, le programme Erasmus ne concerne que les étudiants, laissant de côté nombres de jeunes qui n’ont pas accès à l’enseignement supérieur. C’est surtout une mobilité qui intervient relativement tard dans la vie dans jeunes, alors que celle-ci pourrait être envisagée dès l’école primaire. Il faut en convenir : le programme Erasmus, qui représente environs 1% du budget européen, ne bénéficie qu’à une minorité de jeunes, dont on peut parier qu’ils cumulent déjà un certain nombre d’atouts : diplôme universitaire, maîtrise d’une langue étrangère, accès à l’information et ressources familiales permettant de compléter une bourse souvent insuffisante.

En octobre dernier, alors que l’idée d’une cure d’austérité planait dans les esprits, le Premier Ministre français Jean-Marc Ayrault se prononçait clairement devant l’Assemblée nationale en faveur d’un renforcement des programmes européens de mobilité. « La France veut que soit offerte à tous les Européens, quel que soit leur niveau de qualification, la possibilité de se former dans un autre pays de l’Union. Aujourd’hui, l’Europe consacre 1 % de son budget à cette action. Mon gouvernement demandera une augmentation sensible de cette part. Et c’est aussi le programme Erasmus qui doit monter en puissance et bénéficier à un nombre plus important d’étudiants, et notamment issus des familles modestes. » Ce discours fait écho à l’Initiative citoyenne Fraternité 2020, qui défend une hausse conséquente de la part du budget consacrée aux mobilités éducatives en Europe.

Il n’est pourtant pas absurde de poser la question : la mobilité des jeunes est-elle vraiment une priorité dans le contexte économique actuel ? Pourquoi une action à l’échelle européenne reste-t-elle pertinente ?

« Europe 2020 » : les jeunes au cœur de notre stratégie économique

Si les programmes européens à destination des jeunes ont d’abord été conçus comme un moyen de renforcer le sentiment d’appartenance européenne chez les jeunes, d’en faire de véritables « citoyens européens », c’est aujourd’hui sur l’idée d’un accès plus facile à de meilleurs emplois que ces programmes mettent l’accent à travers le néologisme d’« employabilité ». La mobilité est aujourd’hui clairement devenue un enjeu économique pour l’avenir.

Ce faisant, l’Europe entend répondre aux inquiétudes manifestées par les jeunes face à un avenir qui leur semble bouché, dans un monde en crise. Récemment invitée à débattre avec de tout jeunes étudiants de Sciences po Paris, j’ai été questionnée sur les « enjeux que cette jeunesse européenne [devrait] affronter dans les décennies futures ». L’un des étudiants m’a même demandé si son avenir se réduirait au chômage. Cette anecdote, et en particulier l’emploi du verbe « affronter », en dit long sur la façon dont de jeunes étudiants, pourtant loin d’être les moins favorisés, peinent à concevoir leur avenir, se nourrissant d’inquiétudes plutôt que de projets. Le site internet consacré à la stratégie « Europe 2020 » cible clairement ces inquiétudes. Il propose ainsi de nombreuses vidéos diffusant en plusieurs langues le même message : l’Europe peut t’aider à trouver du travail, car l’Europe à besoin de tes compétences, l’Europe à besoin de toi ! Ainsi, la Stratégie économique « Europe 2020 » accorde aux jeunes une place accrue. Savoir parler plusieurs langues, être capable de s’adapter sans difficulté à un environnement étranger, être prêt à travailler hors des frontières nationales sont désormais moins vus comme des garanties de paix entre les peuples européens que comme des atouts distinctifs sur le marché du travail. Or, ces atouts ne prennent tout leur sens que s’ils sont développés à l’échelle européenne.

D’abord parce que les jeunes qui cherchent un emploi, montent un projet d’études ou se lancent dans la création d’une entreprise doivent pouvoir faire fi des frontières. Encore aujourd’hui, 65 ans après l’adoption du Traité de Rome, celles-ci constituent trop souvent un frein à la créativité, à l’audace et à l’imagination de nos concitoyens européens. Donner aux futures générations les moyens psychologiques, sociaux et financiers de se mouvoir professionnellement dans une Europe sans frontière, c’est donner un sens à cette construction dont on regrette souvent l’aspect purement économique.

D’autre part, l’Europe, même si elle a tendance à l’oublier, ne se meut pas en apesanteur dans un monde vide, mais dans un espace globalisé où les exigences en termes de niveau d’études et de qualification sont nettement plus élevées que par le passé. Dans un tel contexte, il est indispensable d’aider tous les jeunes européens à développer une plus grande aisance dans leur mobilité, une plus grande fluidité dans la pratique des langues étrangères ainsi qu’une plus grande ouverture d’esprit face au monde qui les entoure. Car si l’Europe entend encore défendre un modèle propre fondé sur la solidarité, alors elle ne doit pas réserver l’accès au monde à une minorité d’élus. Peu importe que l’on parle d’ « économie de la connaissance » ou de « croissance intelligente » : c’est bel et bien notre modèle qui est en cause, et la défense de nos valeurs.

L’augmentation des fonds réservés aux programmes de mobilité n’a donc rien d’un caprice à l’heure des restrictions budgétaires : c’est un investissement pour l’avenir, un investissement qui doit être fait à l’échelon européen.

Quelles perspectives budgétaires pour la jeunesse ?

Mais dans un contexte économique tendu, la difficulté consiste à transformer les promesses politiques de la Commission, des parlementaires et des gouvernements en engagements budgétaires. Alors que le Parlement et le Conseil s’apprêtent à définir le Cadre Financier Pluriannuel pour la période 2014-2020, le risque me semble double.

D’une part, la tentation est grande de restreindre les investissements de long terme afin de parer au plus pressé. Il est portant clair qu’une réduction des dettes publiques ne saurait se faire au prix des investissements, sous peine de désarmer l’Europe pour plusieurs décennies.

En termes d’investissements dans les programmes européens d’éducation, le risque doit être pris au sérieux. D’après le député bulgare Ivailo Kalfin, rapporteur pour le CFP 2014-2020 au Parlement européen, la Présidence chypriote a récemment avancé une nouvelle proposition suggérant une diminution du budget de 50 milliards, qui viserait notamment les intitulés sur la jeunesse. L’empressement de nos gouvernements à faire passer la part du budget de l’UE sous les 1% du PIB européen témoigne du sérieux de la menace qui pèse sur les programmes de mobilité.

C’est également dans ce contexte que l’eurodéputé Alain Lamassoure, Président de la commission des finances du Parlement européen, a tiré la sonnette d’alarme en annonçant au mois d’octobre dernier que le programme Erasmus serait en cessation de paiement. En réduisant de 133 à 129 milliards d’euros le budget européen 2012, les Etats membres mettaient en difficulté l’Union dans la réalisation de ses engagements. Largement relayé par les médias en raison de la popularité du programme Erasmus, l’appel d’Alain Lamassoure a provoqué une réaction rapide du gouvernement français, en particulier de Geneviève Fioraso et Bernard Cazeneuve, soucieux de rassurer les familles bénéficiaires des aides Erasmus. Mais la situation risque fort de se reposer en 2013, le Royaume-Uni ayant pris la tête d’une coalition d’Etats regroupant la France, l’Allemagne, la Finlande, la Suède, les Pays-Bas et l’Autriche, qui refuse le projet de budget 2013, évalué par la Commission à 139 milliards d’euros.

Le second risque, de nature plus philosophique, nous invite à réfléchir sur ce que nous voulons pour l’Europe. En plaçant les programmes éducatifs européens au cœur de la stratégie économique pour les dix ans à venir, la Commission entend les promouvoir, et affirmer ainsi sa légitimité à agir pour la jeunesse au niveau européen. Mais ne court-elle pas le risque de vider ces programmes de leur objectif premier : « faire ciment » entre les Européens ? Les craintes formulées autour de l’avenir du programme « Jeunesse en action » qui met l’accent sur le volontariat et s’adresse à tous les jeunes, y compris les non diplômés, soulignent cette tendance. Ainsi, bien qu’elle soit une vraie réussite des programmes européens d’éducation, l’émergence d’une génération profondément cosmopolite tend à être éclipsée derrière les enjeux de plus en plus prégnants d’ « employabilité ». Or, dans un contexte de montée des égoïsmes et de défiance à l’égard des institutions démocratiques, cette construction de la citoyenneté européenne reste un enjeu majeur.

La politique européenne en faveur de la jeunesse serait-elle un luxe ? Une question qui se pose avec une acuité particulière alors que les 2% du CFP consacrés à l’initiative « youth on the move » sont menacés, et que la jeunesse est au cœur du bras de fer qui se joue actuellement entre le Parlement et le Conseil. Les Etats membres se réuniront à nouveau en janvier pour débattre du futur budget. Mais il n’est pas certain qu’ils soient prêts à donner à l’Union les moyens de sa politique. Face à la crise, c’est pourtant la mutualisation de nos moyens dans ce domaine comme dans d’autres qui nous permettra de dessiner un meilleur futur pour l’Europe.

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