Interview de Béatrice Ouin, conseillère au Comité Economique et Social Européen

, par Alexandre Fongaro

Interview de Béatrice Ouin, conseillère au Comité Economique et Social Européen
CC BY-NC-SA 2.0 HatM

Créé par les Traités de Rome (1957), le Comité économique et social européen est « un organe consultatif de l’Union Européenne ». Son objectif est de permettre à des représentants de la société civile d’exprimer leur avis au niveau européen et, par la même, d’influencer les politiques mises en œuvre par les institutions de l’Union.

Le CESE est actuellement composé de 353 conseillers. Ces derniers sont « proposés par les gouvernements nationaux et nommés à titre personnel par le Conseil de l’Union européenne pour une période de 5 ans renouvelable. » On distingue trois groupes au sein du CESE, à savoir les employeurs, les travailleurs, et les représentants d’activité diverses. Pour plus d’information, vous pouvez consulter le site du Comité économique et social européen

Le Taurillon dans l’Arène : Le Comité économique et social européen est une assemblée consultative dont les avis ne sont de jure pas contraignants. En ce sens, est-il vraiment en mesure d’orienter les décisions de la Commission ou du Conseil ? Savez-vous que c’est une grande liberté de n’avoir qu’un rôle consultatif ?

Béatrice Ouin : Nous n’avons pas les « mains dans le cambouis », et parce que nous ne prenons pas de décision, nous pouvons lever le nez du guidon, faire des recommandations que les décideurs n’oseraient pas formuler. Et pourquoi ne serions-nous pas écoutés ? Le processus de décision européen est long. La Commission lance une consultation, un livre vert, puis demande à ses fonctionnaires de rédiger un projet de directive ou de recommandation, que le collège des 28 Commissaires doit adopter. Puis ce texte est soumis au CESE et au Comité des Régions, qui chacun doivent se mettre d’accord pour voter leurs avis. Puis il est discuté au Parlement, qui lui aussi rédige un rapport et vote. Enfin il est adopté, après de longues discussions entre les représentants des gouvernements nationaux, au Conseil européen. Cela prend des mois…. Tout au long de ce processus, chacun peut apporter sa pierre, et si une contribution est intelligente, innovante, et que personne n’y avait pensé avant, elle est évidemment reprise. Ce serait d’ailleurs bien bête de financer le Comité et de ne pas tenir compte de son travail !

Le Taurillon dans l’Arène : Bien qu’il ait pour ambition d’incarner la société civile européenne dans sa diversité, le CESE ne se résume-t-il pas à une assemblée des élites ?

Béatrice Ouin : Si vous voulez dire que les organisations patronales, syndicales, ONG représentées au Comité envoient pour y siéger les meilleurs d’entre eux, alors oui, c’est une élite, une assemblée exceptionnelle composée de fortes personnalités, qui pour beaucoup ont vécu des destins hors du commun. Le choix se porte sur des personnes capables d’autonomie, dont les organisations sont sures qu’elles les représenteront dignement, sans avoir besoin de leur demander sans cesse ce qu’elles doivent dire – car les agendas des organisations nationales et européennes correspondent rarement, quand ici on discute de la réforme ferroviaire, là on parle transition énergétique, etc… Mais si vous parlez de ces élites tant décriées qui seraient coupées de leur base, alors non. Déjà pour une raison institutionnelle : le mandat au CESE n’est pas rémunéré, les membres doivent donc être salariés des organisations qui les désignent… Ensuite parce que, à la différence des fonctionnaires européens, il n’y a pas d’exigence linguistique, un syndicaliste grec, un pharmacien polonais doivent pouvoir s’exprimer dans leur langue, il n’y a pas de sélection préalable sur ce critère. Cela a un coût, en interprétation, en traductions, mais c’est le prix de la démocratie.

Le Taurillon dans l’Arène : Observez-vous au sein du CESE davantage d’alliances nationales que d’alliances d’idées ? Autrement dit, les membres défendent-ils en priorité les intérêts de leurs Etats ?

Béatrice Ouin : Évidemment, les Polonais défendent leurs mineurs de charbon, les Français leurs agriculteurs… mais en dehors de quelques sujets sensibles, la réponse est non. Au Comité, ce sont plutôt les groupes d’intérêts qui parlent d’une seule voix : les syndicats, britanniques, grecs, portugais ou bulgares, sont tous membres de la Confédération européenne des syndicats, les employeurs de Business Europe, les agriculteurs, les associations familiales, de consommateurs, de défense de l’environnement ou des droits des femmes sont aussi regroupées dans leurs associations européennes. Mais la règle au Comité, c’est la recherche du consensus. Un bon avis est voté à 100 %. Notre rôle est de dire aux politiques qui vont prendre la décision « sur tel sujet, voilà jusqu’où la société civile dans sa diversité, tant nationale que par les différents intérêts qu’elle représente, est d’accord »

Le Taurillon dans l’Arène : Le CESE a t-il un rôle similaire au Conseil économique, social et environnemental français ? Quel atout du second devrait inspirer le premier, et réciproquement ?

Béatrice Ouin : Pour avoir siégé dans les deux (j’ai été membre du Conseil économique et social français entre 1989 et 1995), j’ai constaté que le rôle du Comité économique et social européen est plus important dans les institutions européennes que ne l’est le Conseil économique et social français, peu écouté, pour trois raisons : la première, c’est qu’il est consulté sur TOUS les projets législatifs ayant une dimension économique et sociale (et il n’existe pas tellement de sujets qui n’en ait pas !) ; la seconde est que ses avis sont limités à 12 pages - pour des raisons de coût de traduction, mais cela en fait des documents lisibles, ce qui n’est pas toujours le cas pour des rapports de 100 pages ; la troisième, qu’il n’est composé que de représentants d’organisations de la société civile, alors qu’en France, le gouvernement nomme des personnes qualifiées qui ne tirent leur légitimité que de cette nomination par l’Etat ; cependant, il est une nouvelle règle du CESE français dont le CES européen devrait s’inspirer, c’est celle de la parité entre les hommes et les femmes, elles ne sont que 30% au CES européen

Le Taurillon dans l’Arène : Nul ne peut prédire l’avenir, mais quelle place devrait, selon vous, occuper le CESE dans l’Europe de demain ?

Béatrice Ouin : L’avenir, ça ne se prédit pas, mais ça se prépare ! Il me semble que pour cela, il faut regarder le temps long. Notre génération vit des mutations formidables. En plus de la mondialisation et du réchauffement climatique dont tout le monde parle, j’en vois trois autres. Un : il a fallu 40 000 ans pour compter un milliard d’êtres humains et 150 ans pour passer à 8 milliards ! Deux : pour la première fois, la planète est explorée et les ressources sont limitées. Trois : Michel Serres explique qu’il y a eu pour l’humanité trois grands tournants, le passage de l’oral à l’écrit, puis de l’écrit à l’imprimerie et maintenant Internet. Qui bouleverse le rapport entre les jeunes et les vieux, entre les citoyens et leurs élus, entre les médias et leurs usagers… mais qui met les connaissances à la portée de tous, et les cerveaux en réseau… Nous avons le nez sur ces bouleversements et nous ne savons pas encore ce qui va en sortir ! L’Europe comme nous tous souffre de ces changements mais peut en tirer parti pour promouvoir dans le monde ce qu’elle a d’unique, les valeurs sur lesquelles elle s’est bâtie. Ces valeurs, en réponse à la tragédie nazie, de paix, de tolérance, de solidarité, de respect de la dignité humaine et donc de lutte contre le racisme et les inégalités entre hommes et femmes, contre la pauvreté… elle les a imposées institutionnellement, à tous les Etats qui ont voulu la rejoindre, mais elle n’a pas su encore les faire partager par ses peuples. C’est cela le défi de l’avenir, et de ce point de vue, l’Assemblée qui représente la société civile est particulièrement bien placée pour faire le lien avec les peuples. Alors qu’Internet contribue au discrédit des politiques, en changeant la nature de leur travail, et les motifs personnels de leur engagement, les citoyens engagés dans les organisations de la société civile, syndicats ou associations, peuvent jouer un rôle plus important pour des décisions mieux discutées, plus partagées et donc mieux appliquées.

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