Le Taurillon : Quelles doivent être les priorités du budget communautaire pour les 5 prochaines années ?
Catherine Trautmann : Les marges de manœuvre ne sont pas énormes, car le (faible) budget européen est déjà découpé de façon assez claire pour 2007-2013 :
– la PAC, dont il faudra anticiper la révision, mais qu’il ne s’agit certainement pas de démanteler (ce qui n’aurait pour conséquence que de « renationaliser » les politiques agricoles) ;
– les dépenses en croissance/emploi (dont les nombreux programmes européens qui touchent à la compétitivité et à l’innovation, tels que le 7e PCRD) ;
– les aides au développement ;
– le financement du troisième pilier (sécurité/justice) ;
– les dépenses de fonctionnement.
De fait, une re-prioritarisation immédiate passerait surtout par de nouvelles ressources pour un investissement européen massif (industries de réseaux : rail, télécoms, énergie ; économie verte…). C’est pourquoi nous proposons un emprunt européen pour financer un plan de relance vraiment européen à hauteur de 100 milliards d’euros.
Le Taurillon : Êtes-vous favorable à la création d’un gouvernement économique européen qui remplacerait l’actuel Eurogroupe ?
Catherine Trautmann : L’enjeu étant de donner une orientation politique à la politique économique à l’échelle de l’Europe, la constitution d’un gouvernement économique européen, si ce dernier venait à remplacer l’Eurogroupe, poserait la question de ses orientations politico-économiques (car il y a bien sur ces sujets des différences entre la gauche et la droite) : de plus, ne partageant pas la même zone de légitimité que le Parlement européen (zone euro/ensemble de l’UE), il serait difficile de le connecter à la tendance majoritaire du PE.
Pour autant, ces difficultés ne doivent pas cacher les autres enjeux connexes : la question ici posée est indirectement celle des compétences et de l’indépendance de la BCE. Celle-ci n’a semble-t-il pas trop mal négocié au plus fort de la crise, comme le souligne parfois Pervenche Bérès, et c’est un bon point pour la monnaie unique. Pour autant, nous Socialistes souhaiterions vois ajouter le soutien à la croissance et à l’emploi à celui de stabilité des prix qui est actuellement l’alpha et l’oméga de la Banque centrale.
Le Taurillon : Quelles sont d’après vous les priorités européennes en matière énergétique ?
Catherine Trautmann :
Lutte contre le changement climatique Le soutien aux énergies « vertes » est à présent devenu une « tarte à la crème » ; tant mieux ! La vraie question sous-jacente est la manière de coordonner les technologies en concurrence : captage de carbone, éolien (terrestre et offshore), hydraulique (et marémoteur), biocarburants (dits de « 2e génération » qui sont moins en concurrence avec la production agricole nourricière), biomasse, solaire…
Le nucléaire est aussi appelé à jouer un rôle non-négligeable au moins à moyen-terme. A ce titre la question se posera de savoir s’il est tenable de se contenter de débats nationaux sur cette question qui impacte en réalité l’ensemble de l’Europe, tant en termes de bénéfices (une grande partie de l’électricité « nucléaire » produite en France par exemple est consommée par nos voisins) que de coûts (question des déchets, immensité des besoins en matière de recherche : ITER), voire de risques. C’est probablement cette question qui représente le point d’achoppement le plus délicat en vue de l’élaboration d’une politique énergétique commune.
Sécurité d’approvisionnement et solidarité intra-européenne La crise russo-ukrainienne de l’hiver dernier a eu des conséquences graves pour l’approvisionnement d’un grand nombre d’Etat-membres, et tout porte à croire que des épisodes de ce type risquent de se répéter à l’avenir. C’est pourquoi la question de la sécurité d’approvisionnement, voire de la « diplomatie énergétique », se pose de manière urgente et impose que nous la traitions ensemble à l’échelle continentale. En matière de gaz, trois projets de gazoducs sont en concurrence, qui auront pour vocation de contourner ce goulot d’étranglement ; mais au-delà de l’acheminement, se posera in fine la question de la capacité maximale de production par rapport à la demande, comme c’est déjà le cas pour le pétrole.
Au sein même de l’Union, la crise de l’hiver dernier à mis en lumière de façon criante la faiblesse de notre grille énergétique à l’est (par exemple, la Bulgarie n’est alimentée en gaz que par sa frontière orientale, mais n’a aucune solution de complément voire de remplacement par l’ouest). De même les solutions de stockage sont insuffisantes.
Sobriété énergétique On sait qu’un moyen important de limiter le changement climatique revient tout simplement à consommer moins d’énergie ou dans tous les cas à mieux la consommer, en évitant le gaspillage énergétique. En particulier, l’Europe joue un rôle ambitieux en matière d’efficacité énergétique des bâtiments, ou encore d’étiquetage énergétique des produits électroménagers.
La question de l’énergie pour les consommateurs Européens Le 3e paquet « énergie » adopté en fin de mandature oblige tous les Etats européens à qualifier le concept de pauvreté énergétique et à prévoir des mécanismes adaptés permettant aux citoyens se trouvant dans ce cas, d’avoir accès à cette commodité de base. Le nouveau Parlement pourrait par exemple faire en sorte, lors de la prochaine révision, que les critères de pauvreté énergétique soient harmonisés.
Le Taurillon : Pour vous le Président de la Commission européenne doit-il être issu de la majorité politique du Parlement européen ?
Catherine Trautmann : Ce serait le cas si nous étions déjà sous le régime du Traité de Lisbonne. Dans la situation un peu bancale que nous connaissons actuellement, il serait effectivement logique que la Commission reflète davantage l’équilibre politique du PE, et pas seulement le jeu intergouvernemental. Pour autant cela nécessiterait une configuration parlementaire donnant l’occasion à la gauche du Parlement Européen de bloquer M. Barroso, ce qui provoquerait du même coup, il faut en être conscient, un changement abrupt du mode de fonctionnement interne de notre institution (par exemple, pour la désignation de son président, de ses vice-présidents, des présidences de commissions, etc…).
Bloquer Barroso provoquerait un changement abrupt du fonctionnement de notre institution
Le Taurillon : Êtes-vous favorable à l’instauration d’un 9 mai férié dans toute l’Europe, à la place du 8 mai, pour célébrer à la fois la fin de la guerre et les débuts de la construction européenne ?
Catherine Trautmann : C’est une belle idée, que vous portez de longue date, dans la symbolique de respect pour ceux tombés dans la guerre qui a déchiré notre continent, mais aussi de réconciliation au travers de la construction européenne. Pour autant, les questions mémorielles à l’échelle de l’Union peuvent se heurter à quelques difficultés : par exemple, difficile de demander aux Roumains de ne pas célébrer « leur » 9 mai (fête de l’indépendance) au profit du 9 mai « européen ».
Par ailleurs, en France la portée symbolique serait peut-être plus importante qu’en Allemagne, dans la mesure où nous « troquerions » un jour férié, le 8, en faveur d’un autre, le 9. Les Allemands pour leur part ne célèbrent pas le 8, donc il ne s’agirait chez eux que d’un jour férié nouveau.
Le Taurillon : Le Traité de Lisbonne a été ratifié par la quasi totalité des pays de l’Union. Son application est conditionnée par le résultat du second referendum en Irlande. Cette impasse montre les limites du processus actuel de modification et de ratification des traités, où un Etat, quelque soit sa taille, peut faire échec à la volonté générale européenne. Quelles sont vos propositions pour résoudre ce problème ?
Catherine Trautmann : Le respect de tous les Etats-membres (quelle que soit leur taille) pour modifier les Traités, c’est-à-dire le pacte fondamental, me semble être une garantie de légitimité dont il serait difficile de se passer.
Pour autant, les révisions institutionnelles, comme les grands rendez-vous électoraux d’ailleurs, mériteraient sans doute mieux que des procédures totalement nationales, déconnectées les unes des autres, et donc logiquement souvent focalisées sur des enjeux non-européens. Se pose alors la question des traditions nationales (l’Allemagne par exemple est assez réfractaire à la pratique référendaire), même si partout les choses peuvent évoluer.
Le Taurillon : Quelles sont selon les vous les priorités en matière de politique européenne de défense ?
Catherine Trautmann : Il y a d’abord des idées déjà avancées mais jamais vraiment creusées, comme par exemple une meilleure coordination des commandes militaires, c’est-à-dire une évaluation à l’échelle de l’Union des besoins militaires, en particulier sur les grands projets (porte-avions, sous-marins nucléaires) et donc in fine de possibles économies budgétaires. Le PSE propose également le renforcement du code de conduite européen sur les exportations d’armes.
Le Taurillon : L’Union européenne doit-elle se doter d’une structure propre de défense ?
Catherine Trautmann : Je suis en faveur d’une Europe de la Défense. Pour autant ce domaine est à juste titre un concentré de difficultés décisionnelles, puisque ce qui a trait aux opérations militaires est de l’ordre du régalien « par excellence », donc soumis à la plus grande prudence de la part de l’ensemble des Etats-membres, et des opinions publiques. En effet, rappelons-nous que lors du déclenchement de la guerre en Irak, la position française d’opposition ferme était minoritaire en Europe ; difficile d’imaginer ce qu’aurait été la conséquence à ce moment d’une organisation de défense plus intégrée qu’elle ne l’a été.
Il y a aujourd’hui un embryon de structure de défense « européenne », c’est l’Eurocorps (que je connais bien puisque son QG est situé à Strasbourg), qui peut mobiliser jusqu’à 60 000 hommes, sur demande de l’UE, de l’ONU ou de l’OTAN. C’est une bonne base, qui a sans doute vocation à s’élargir (puisque son Etat-major n’est pas représentatif de l’ensemble des Etats de l’UE).
L’Union dispose également d’une Agence européenne de Défense qui a vocation à identifier et anticiper les difficultés opérationnelles de déploiement dans le cadre de la PESD.
1. Le 5 juin 2009 à 08:38, par Martine Hiebel En réponse à : Interview de Catherine Trautmann tête de liste socialiste dans l’Est
Merci, chère Catherine, pour ces propos clairs et constructifs. Certes, le sujet mérite sérieux et gravité. Mais L’EUROPE ne sortira de la crise qu’avec humour et confiance, comme tout un chacun le sait dans sa vie personnelle. Ne penses-tu pas que les dates des 8 et 9 mai puissent, ou plutôt doivent, susciter un large, profond et joyeux débat ? Il me semble qu’il contribuerait :
à mettre en lumière la trajectoire de l’Europe, dont les sources antiques et proche-orientales continuent de l’irriguer,
à rendre les EUROPEENS plus conscients, donc plus responsables, de la mutualisation qui tend à répartir équitablement leur BIEN COMMUN,
à faire enfin circuler dans les articulations les plus discrètes, mais aussi les plus vitales, de notre Europe une énergie digne du TAURILLON, à la fois fondateur de son histoire et porte-parole de ses projets !
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