Interview de Karima Delli : l’avenir du programme européen d’aide aux plus démunis.

, par Anne-Laure Maclot

Interview de Karima Delli : l'avenir du programme européen d'aide aux plus démunis.
Karima Delli, Députée européenne Verts/ALE

Suite à une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne du 13 avril 2011, le programme européen d’aide alimentaire aux plus démunis (PEAD) sera amputé de 400 millions d’euros en 2012. Les associations caritatives tirent la sonnette d’alarme. Karima Delli, Députée européenne Verts/ALE, nous donne son avis sur l’avenir du programme européen d’aide aux plus démunis.

Le PEAD est né suite à l’hiver 1986-1987 particulièrement rigoureux, et visait à permettre des mesures de distribution gratuite de nourriture aux personnes les plus démunies. Il s’agissait d’utiliser une partie des surplus européens de céréales, de lait, de beurre et de viande. A la suite des réformes de la PAC, les stocks ont progressivement baissé alors que les financements européens ont augmenté. L’Union européenne avait alors remplacé les stocks par une enveloppe financière représentant 1 % du budget de la politique agricole, soit 500 millions d’euros attribués aux Etats de l’UE, qui les répartissaient entre les associations distributrices.

Taurillon : L’Allemagne, soutenue par la Suède, a déposé une plainte devant la Cour européenne de justice au motif que les 500 millions d’euros émanant du budget de la PAC constituaient, selon elle, une aide financière purement sociale qui « aurait perdu tout lien avec la politique agricole commune », enfreignant les principes de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Quel est votre avis sur le jugement de la Cour qui a donné raison à Berlin ?

Karima Delli : Tout d’abord, on ne peut que regretter la volonté du gouvernement allemand de Mme Merkel de s’attaquer, pour des raisons politiciennes, à un des rares programmes européens en faveur des plus démunis de nos concitoyens, à l’heure où la pauvreté alimentaire menace près de 43 millions d’européens et où la crise économique et la hausse du prix des denrées alimentaires ne font qu’aggraver les choses. En ce qui concerne la décision de la Cour de justice, nous ne pouvons qu’en prendre acte. La Cour a dit le droit, c’est maintenant au tour de la Commission européenne, qui a l’initiative en matière législative, et aux Etats membres au sein du Conseil, de trouver rapidement une solution à ce problème. La Cour a considéré que l’aide alimentaire relevait de la politique sociale et non plus de la politique agricole. Il ne faut pas se résigner, mais plutôt saisir cette occasion pour faire avancer l’Europe sociale.

Taurillon : Quelles sont les conséquences directes et à plus long terme pour les acteurs caritatifs et surtout pour les populations démunies ?

Karima Delli : La conséquence immédiate, c’est que la Commission européenne, dans son projet de budget pour 2012, a réduit l’enveloppe consacrée à l’aide alimentaire de 500 millions d’euros à 113 millions d’euros. C’est autant d’argent en moins qui va manquer aux associations comme les Restos du cœur ou la Banque alimentaire pour venir en aide aux plus démunis l’année prochaine. Nous mettons tout en œuvre pour qu’une solution transitoire soit trouvée d’urgence afin de ne pas couper le budget jusqu’en 2013, lorsque la Politique Agricole Commune et la Politique de Cohésion seront redéfinies pour 7 ans. C’est d’ailleurs ce qu’a demandé le Parlement dans sa résolution adoptée le 7 juillet dernier. Le plus gros risque pèse sur certains réseaux d’aide alimentaire qui sont totalement dépendants du programme européen, lorsqu’il ne constitue qu’une partie du budget pour d’autres. Mais dans tous les cas, ce serait irresponsable de couper aussi brutalement le budget, sans solution de remplacement.

Taurillon : Le système mis en place avec les réformes successives de la PAC tient davantage compte de la situation des marchés, et fait donc beaucoup moins appel aux stocks d’intervention. Consciente du caractère problématique de cette évolution, la Commission a d’abord publié en 2008 une proposition visant à adapter le programme mais six États membres ont exprimé leur désaccord au Conseil, et la proposition a été enterrée. Quel a été votre rôle, en tant que parlementaire européenne, pour empêcher cette décision ?

Karima Delli : La Commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen a très tôt alerté la Commission européenne sur ce problème. La proposition de modification du règlement proposée par la Commission européenne n’est pas compatible avec la décision de la Cour de Justice, et nous lui avons donc demandé de présenter très rapidement une nouvelle proposition au Conseil, qui tienne compte de cette nouvelle donne. S’agissant du Conseil, il y a actuellement 19 Etats membres sur 27 qui utilisent effectivement le programme d’aide alimentaire. Les autres ont fait le choix de ne pas l’utiliser pour des raisons diverses. L’Allemagne et la Suède, qui sont à l’origine du recours devant la Cour de Justice, rejointes par le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas et la République Tchèque, sont les Etats qui s’opposent à la révision du règlement. Le risque est de voir l’aide alimentaire faire l’objet d’un marchandage dans les futures négociations sur l’avenir de la PAC. Dans un certain sens, c’est donc une bonne chose que de considérer que l’aide alimentaire est une politique sociale.

Taurillon : Que cela nous dit-il sur l’état de l’Europe sociale ?

Karima Delli : L’Europe sociale est en panne, c’est un fait. Mais avec l’initiative phare de la Commission européenne, dans le cadre de sa stratégie UE2020, pour une Plateforme Européenne de Lutte contre la Pauvreté et l’Exclusion sociale, il existe une possibilité de faire réellement avancer les choses. L’avenir du programme d’aide alimentaire, et des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale en général, passe nécessairement par un agenda social renouvelé au niveau européen, qui ne mette plus seulement l’accent sur l’emploi - même si cela est nécessaire -, mais aussi sur la solidarité, et notamment envers les plus démunis de nos concitoyens.

L’objectif de réduire le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté de 20 millions d’ici 2020 est louable, mais loin d’être suffisant. Et nous devons nous donner les outils pour y parvenir, en particulier par la mise en place au niveau européen d’un cadre législatif sur les systèmes de revenu minimum, afin d’assurer à chaque européen le droit à un revenu adéquat lui permettant de subvenir à ses besoins essentiels (nourriture, logement, chauffage, eau, accès aux services publics de base, etc.).

Taurillon : Serait-il envisageable de créer une nouvelle ligne budgétaire hors de la Politique agricole commune ?

Karima Delli : C’est la proposition qui a été faite par le Commissaire à l’agriculture, Dacian Ciolos, qui a déclaré dans sa présentation du futur budget pour l’agriculture : « Quant au programme d’aide alimentaire au plus démunis (2,5 milliards), il sera durablement pérennisé dans le cadre du Fonds social européen, les stocks d’intervention venant s’ajouter au budget disponible dans le cadre de ce fonds. » Là encore, ce n’est que la conséquence logique de la décision de la Cour de Justice. S’il s’agit d’une politique sociale, elle doit être prise sur le budget social. Mais attention, cela ne doit pas se faire au détriment des autres politiques sociales, et le budget consacré à l’aide alimentaire devra intégralement être reversé au FSE. Il faudra également s’assurer que les Etats membres, qui gèrent le FSE, attribuent réellement les moyens du FSE à l’aide alimentaire. Nous y veillerons lorsque la révision des règlements arrivera devant le Parlement, à l’automne prochain.

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