Traité de Lisbonne

Jean-Luc Sauron : « un rééquilibrage entre l’Union européenne et les États membres »

, par Fabien Cazenave

Jean-Luc Sauron : « un rééquilibrage entre l'Union européenne et les États membres »

Alors que le processus de ratification parlementaire du traité de Lisbonne suit son cours, le Taurillon ouvre ses colonnes à plusieurs personnalités, politiques ou de la société civile. Aujourd’hui, Jean-Luc Sauron, qui est notamment l’auteur du livre « Comprendre le traité de Lisbonne ».

Le Taurillon : Est-ce que le traité de Lisbonne va changer beaucoup de choses ?

Jean-Luc Sauron : Je me contenterai d’insister sur certaines modifications plutôt que sur d’autres.

- Le retour à un mécanisme traditionnel.

Le traité de Lisbonne se présente comme une modification des traités en vigueur, et non comme un texte appelé à se substituer à eux. Le traité sur l’Union européenne (TUE) conserve son intitulé ; celui du traité instituant la Communauté européenne est modifié pour devenir : « traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (TFUE). Le traité de Lisbonne se place ainsi dans la continuité de l’évolution des traités depuis le traité de Rome. Il ne revendique plus un caractère « constitutionnel ». Ce changement se traduit dans son intitulé comme dans la terminologie employée : le « ministre des Affaires étrangères » devient « haut représentant », les termes de « loi » et « loi-cadre » disparaissent au profit d’un maintien des termes actuels de « règlement » et « directive », et par l’abandon de la mention des symboles de l’Union : drapeau, hymne, devise.

- En matière de droits fondamentaux.

La Charte des droits fondamentaux ne figure plus dans le texte même des traités, mais se trouve inscrite par le biais d’un renvoi. Le nouvel article 6 du TUE précise que « l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux (...) laquelle a la même valeur juridique que les traités ». Une déclaration (n° 29) rappelle que la Charte « confirme » les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et résultant des « traditions constitutionnelles communes aux États membres » ; elle précise que « la Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités ». La nouvelle présentation de la Charte s’accompagne d’un changement beaucoup plus important, qui est que celle-ci n’est pas applicable au Royaume-Uni et à la Pologne. Enfin, si le traité de Lisbonne continue de prescrire l’adhésion de l’Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), les règles de décision pour rendre cette adhésion effective sont modifiées ; le Conseil statue à l’unanimité et non à la majorité qualifiée, et la décision doit être approuvée par les États membres « conformément à leurs règles constitutionnelles respectives », ce qui signifie, pour la France, qu’une loi autorisant la ratification devra être adoptée par les assemblées.

- La reprise d’un certain nombre de demandes françaises.

La définition des objectifs de l’Union diffère de celle qu’avait retenue le traité constitutionnel sur trois points :la mention de la « concurrence libre et non faussée » disparaît ; le nouveau texte précise que l’« Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l’euro » ; il précise également que « dans ses relations avec le reste du monde, l’Union (...) contribue à la protection de ses citoyens ».

La « protection » de ses citoyens a été introduit, pour tenir compte des inquiétudes qui s’étaient exprimées lors du débat référendaire au sujet des délocalisations et, plus généralement, de la concurrence exercée par des pays appliquant des normes sociales et environnementales sans rapport avec les standards en vigueur dans l’Union.

Le traité de Lisbonne marque également une évolution concernant la garantie des services d’intérêt général. Si l’article de principe concernant ceux-ci reprend sans changement les dispositions prévues par le traité constitutionnel, il est complété par un protocole interprétatif qui en développe la portée.

- Une nouvelle appréhension de la répartition des compétences entre l’UE et les Etats membres.

Par rapport au traité constitutionnel, le traité de Lisbonne souligne davantage, soit par une nouvelle rédaction, soit par des déclarations interprétatives, que les compétences de l’Union doivent être interprétées strictement, et que l’évolution du partage des compétences n’est pas à sens unique, mais peut se traduire par la restitution de compétences aux États membres.

- Le traité de Lisbonne modifie peu les dispositions institutionnelles générales prévues par le traité constitutionnel.

Le principal changement concerne le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil. L’entrée en vigueur de la nouvelle définition de la majorité qualifiée est repoussée au 1er novembre 2014 (au lieu du 1er novembre 2009). En outre, jusqu’au 31 mars 2017, tout État membre peut demander, au cas par cas, que ce soient les règles en vigueur avant le 1er novembre 2014 (c’est-à-dire celles du traité du Nice) qui s’appliquent. Par ailleurs, le traité de Lisbonne consacre le « compromis de Ioannina » qui prévoit que, lorsqu’un groupe d’États n’est pas loin de constituer une minorité de blocage, la discussion doit se poursuivre, malgré l’existence d’une majorité qualifiée, afin de parvenir à une solution satisfaisante pour les deux parties dans un délai raisonnable (et en respectant, le cas échéant, les limites obligatoires de temps fixées par le droit de l’Union). Des règles définissent ce qu’il faut entendre par le fait d’être proche de constituer une minorité de blocage.

- Un nouvel acteur du processus communautaire : les parlements nationaux

Le traité de Lisbonne consacre un article spécifique au rôle des parlements nationaux. C’est la première fois que la contribution des parlements nationaux au « bon fonctionnement » de l’Union se trouve mentionnée dans le corps même des traités. Le traité de Lisbonne introduit une modalité nouvelle pour la mise en oeuvre du contrôle de subsidiarité par les parlements nationaux. Si un projet d’acte législatif est contesté, sur le terrain de la subsidiarité, par une majorité simple des parlements nationaux et si la Commission décide de le maintenir, le Conseil et le Parlement européen doivent se prononcer sur la compatibilité de ce projet avec le principe de subsidiarité. Si le Conseil (à la majorité de 55 % de ses membres) ou le Parlement européen (à la majorité simple) donne une réponse négative, le projet est écarté.

Le Taurillon : Pourriez-vous nous décrire l’esprit de ce texte au-delà de ses aspects techniques ?

Jean-Luc Sauron : Le traité de Lisbonne conforte un rééquilibrage entre l’Union européenne et les Etats membres qui la composent. Il concrétise en quelque sorte la deuxième partie de la formule de Jacques Delors sur l’UE : une fédération d’Etats nations. Ce mouvement est à mettre en relation avec les craintes de nos concitoyens face à la globalisation et avec leurs exigences de voir réaffirmer la capacité d’agir des politiques qu’ils « contrôlent et sanctionnent » par leurs votes : leurs représentants nationaux.

Le Taurillon : Quel est votre avis personnel sur le traité de Lisbonne ? La France doit-elle le ratifier ?

Jean-Luc Sauron : Le traité de Lisbonne est le meilleur compromis possible dans l’état actuel de l’Union européenne. Il assure le retour de la France dans le jeu européen, ou plutôt il amorce ce retour qui devra se concrétiser lors de la présidence française de l’Union européenne au second semestre 2008.

Le Taurillon : Vous êtes président de l’Association des Juristes Européens. Pourriez-vous nous présenter votre association ?

Jean-Luc Sauron : L’Association des juristes européens (AJE) a pour objet de rapprocher et de grouper les juristes attachés à la construction européenne pour l’étude en commun des problèmes de droit que posent la situation actuelle et les perspectives d’avenir de l’Union européenne.

Elle compte notamment parmi les membres de son comité directeur, Monsieur Marco DARMON, ancien Avocat Général à la CJCE, Madame Jacqueline DUTHEIL DE LA ROCHERE, ancienne Présidente de l’Université de PARIS II, Panthéon-Assas, M.Bruno Genevois, Président de Section au Conseil d’Etat. Monsieur Guy CANIVET, ancien Premier président de la Cour de cassation, et membre du Conseil constitutionnel est son vice-président. L’AJE organise des conférences ou des colloques, seule ou en partenariat avec d’autres associations (Institut du Droit de Dauphine, CEDECE, etc.).

En sa qualité de membre de la FIDE (Fédération Internationale de Droit Européen), l’AJE participe à ses congrès dont le prochain se tiendra à Linz en mai 2007. Au cours de ces congrès, des sujets de droit communautaire sont développés par des rapporteurs nationaux et synthétisés dans le cadre d’un rapport général. L’AJE invite ses membres à participer activement à la rédaction des rapports nationaux.

Illustration : photographie du livre « Comprendre le Traité de Lisbonne » de Jean-Luc Sauron, issue du site de Jean Quatremer

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