Ainsi, une partie des États de l’UE [1] craint aujourd’hui de créer ainsi, en reconnaissant l’indépendance du Kosovo, un « précédent » géopolitique qui pourrait donner là des idées ’’séparatistes’’ à bien d’autres régions d’Europe elles aussi aujourd’hui travaillées par le nationalisme...
En effet, nous dit-on, comment refuser demain à la Catalogne et au Pays Basque (à la Galice et aux Canaries), aux populations musulmanes de Thrace et aux Turcs chypriotes, aux magyarophones de Slovaquie et de Roumanie, à l’Irlande du nord, au Pays de Galles ou à l’Écosse [2] ce que l’on aura finalement bien accepté en 2008 pour le Kosovo : cet ancien « berceau médiéval de la nation serbe » aujourd’hui très majoritairement peuplé d’Albanophones ?
Ainsi on pourrait imaginer une Europe sombrant dans les affres du séparatisme et dans la partition tous azimuts. Morcelée en - qui sait - pourquoi pas une centaine d’entités ’’micro-nationales’’ se constituant sur une étroite base ethno-linguistique. Cent futures ’’nations d’Europe’’, c’est en tout cas l’hypothèse retenue sur le site spécialisé www.eurominority.org (i. e : ’’Portail des Nations sans État et minorités européennes’’) dont nous avons ici, ci-dessus, emprunté l’un des posters...
Et les tenants du conservatisme à tout va de brandir alors, comme au tout début des années 1990 (lors des ’’guerres de sécession’’ yougoslaves), le spectre de cette désintégration territoriale (i. e : cette fameuse ’’matriochkite’’ dont nous avons précédemment parlé…) pour interdire - a priori - l’indépendance pourtant ardemment et massivement souhaitée d’une population albanophone du Kosovo lourdement persécutée lors de temps encore relativement proches.
Seulement voilà, entre ces situations extrêmement diverses les unes des autres, les amalgames sont décidément trop faciles. Et ce ’’paquet cadeau’’ des ’’séparatismes en marche’’ est - somme toute - assez peu pertinent. D’abord parce que nombre des exemples cités plus haut ne sont pas arrivés au même degrés de maturation politique et de revendication séparatiste des albanophones du Kosovo. Ensuite parce que tous les peuples cités plus haut n’ont certainement pas subi tout ce que les albanophones du Kosovo ont bel et bien vécu lors des deux siècles précédants.
Un rapide petit tour d’Europe des séparatismes
D’abord parce que les Ecossais ne demandent pas aujourd’hui l’indépendance au sens strict et étroit du terme, mais bel et bien un statut d’ ’’indépendance-association’’ et d’ ’’union personnelle’’ des deux couronnes d’Ecosse et d’Angleterre : dans le cadre d’un Royaume-Uni rénové et confédéralisé (le Souverain britannique devant toujours servir de trait d’union formel entre les deux ’’nouveaux’’ Etats).
De même que la Flandre aujourd’hui, se garde bien de demander l’indépendance pleine et entière, se contentant là d’une confédéralisation du Royaume (certes, menée tout à son avantage…) mais préservant là, en définitive, l’existence du label « Belgique ».
Pareillement pour une Catalogne et un Pays basque (et l’immense majorité de leurs populations…) se contentant aujourd’hui bien volontiers de leur actuel ’’statut d’autonomie rénové’’ dans le cadre d’une Espagne aujourd’hui plurielle et s’assumant comme telle…
Quant aux mouvements séparatistes ’’franco-français’’ de Bretagne, du Pays basque ou de Corse ou d’ailleurs encore [3]..., force est de constater qu’ils sont aujourd’hui numériquement très minoritaires (voire ultra-minoritaires...) et souvent d’audience ultraconfidentielle (hormis certains milieux somme toute politiquement très marginaux…).
Et, à l’heure des décentralisations administratives décidées depuis Rome [4] ou Paris (et malgré le carcan jacobin d’autrefois ou d’aujourd’hui…), ils ne mobilisent aujourd’hui guère les populations concernées sauf, peut-être (comme aujourd’hui encore dans le Nord de l’Italie), sur des questions d’égoïsme fiscal camouflées sous des oripeaux ’’régionalistes’’ prétenduement identitaires…
Les seuls vrais problèmes séparatistes restent très localisés
Bref, de tous les exemples brandis - ’’pour faire peur’’ - à propos d’une future désintégration territoriale des Etats européens, il n’y a finalement pas grand chose à retenir et les problèmes séparatistes vraiment délicats restent - somme toute - très localisés : dans le Caucase et dans les Balkans.
Problèmes délicats parmi lesquels on citera notamment l’aventure ’’semi-mafieuse’’ de la Transdniestrie et, surtout, l’actuel imbroglio ’’géorgeo-caucasien’’ : deux ’’affaires’’ dans lesquelles la Russie ’’poutinienne’’ joue aujourd’hui, en attisant volontairement les conflits, un rôle ’’néo-impérial’’ complexe [5]...
Ainsi, le leader du parti politique russe ’’poutinien’’ « Russie Unie » (M. Boris Gryslov) a récent déclaré, lors de son premier discours devant la nouvelle Douma récemment élue (le 2 décembre dernier) que les Députés russes examineraient la possibilité de reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie (républiques séparatistes géorgiennes) si jamais le Kosovo obtenait la sienne.
Soit un message clair de la Russie à destination de l’Occident et pour réaffirmer ses intérêts dans le Caucase et dans les Balkans. Message comme quoi une présence euro-américaine en Transcaucasie est indésirable et comme quoi une amputation du territoire de l’allié serbe (par une indépendance du Kosovo...) n’est décidément pas souhaitable...
Avec le risque suivant, si jamais la Russie reconnaissait les républiques séparatistes géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud juste pour ’’punir’’ l’Occident de sa sympathie pour le Kosovo : le risque d’une guerre russo-géorgienne en Transcaucasie. Mais, alors, avec les complications que l’on imagine pour la Russie sur le flanc nord du Caucase, voire sur l’ensemble de son territoire : notamment à l’égard de certaines entités autonomes turbulentes comme le Tatarstan, le Daghestan et la Tchétchénie (que la Jordanie et l’Arabie Saoudite s’empresseraient alors trè certainement de traîter en Etats indépendants...).
Autre éventuel grave problème restant en suspend et risquant de dégénérer en conflit ouvert en cas d’indépendance du Kosovo : la question - il est vrai brûlante - de la « République serbe de Bosnie » ou « Republika Srpska » (région où la cohabitation inter-ethnique est là aussi difficile et région également sans doute tentée de demander son rattachement à la Serbie en cas d’accession à l’indépendance du Kosovo…). Un conflit à examiner dans toute sa complexité, avec ses corollaires ’’serbes’’ du Sandjak (de Novi Bazar) et de Voïvodine.
« Précédant historique » : un argument qui ne tient pas
Cependant on peut affirmer, sans véritablement faire trop de polémique, que l’argument du « précédent historique » aujourd’hui utilisé pour décrédibiliser les revendications kosovares ne tient pas. Et ceci au moins à cause de la singularité remarquable du cas ’’Kosovo’’.
En effet, le Kosovo est très certainement l’une des rares régions d’Europe (avec la Tchétchénie...) où - tout du moins depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale - une minorité ethnique et/ou culturelle (comme les Catholiques d’Irlande du nord, par exemple...) a ouvertement fait l’objet d’une politique délibérée d’exclusion, de négation de ses droits à l’autonomie politique (dès 1988-1989) et d’assimilation forcée sinon (en 1998-1999) d’une tentative de génocide [6] de la part de la puissance politique dominante.
Bref, s’il y a bien un peuple qui sait ce que le mot « persécution » veut objectivement dire (et donc les demandes de protection, voire de liberté et d’indépendance, sont parfaitement fondées...), ce sont précisément les Albanais du Kosovo. Alors, aux grands maux les grands remèdes : si Serbes et Albanophones ne peuvent décidément plus vivre ensemble en bonne intelligence au sein du même Etat [7], autant les séparer physiquement en obtenant au moins (sous contrôle international) que chacune des deux parties respecte scrupuleusement les droits de ses minorités.
Car (et n’importe quel médecin vous le dira...) il vaut mieux une amputation proprement réalisée - ne serait-ce que pour ’’calmer le jeu’’ - que laisser pourrir une situation délicate au risque de voir gonfler l’abcès et la gangrène se généraliser, au risque de la septicémie. Une séparation toute provisoire : en attendant l’appaisement de la fiêvre et une prompte cicatrisation, bien entendu…
Momentanément séparer les belligérants pour, par la suite, mieux les réunir
Soit, quand la cohabitation inter-ethnique n’est décidément pas (plus ?) possible - plutôt que de laisser les gens s’entretuer - momentanément les séparer. Le tout pour, bien entendu, appaiser les tensions entre peuples et tenter, par la suite, de mieux les réunir. Un schéma similaire pouvant effectivement - en toute équité à l’égard des populations serbes de l’ex-Yougoslavie - se reproduire par la suite en leur faveur en Bosnie-Herzégovine (mais aussi, en leur défaveur, au Sandjak de Novibazar ou en Voïvodine : suivant le libre choix des populations concernées, bien évidemment...).
Une situation paradoxale où historiquement, façon ’’arroseur arrosé’’, ce sera donc finalement la Serbie - autrefois Etat le plus puissant (mais également Etat le plus multiculturel des Balkans…) - qui, à la suite de son aventure nationaliste de la fin du XXe siècles aura finalement perdu le plus de territoires… Effet ’’boomerang’’ pour une Nation serbe qui, à trop vouloir user de la carte ’’nationaliste’’, aura finalement tant perdu…
Où les Serbes finiront pas se rendre compte et découvrir que leur aventure nationaliste était une impasse destructrice : destructrice pour autrui et destructrice d’eux-mêmes. Pour ouvrir les yeux, il n’est jamais trop tard. Et quand les peuples des Balkans auront enfin ouvert les yeux sur la tragédie de leur mutuelle autodestruction ’’nationaliste’’ des années 1990, ils seront alors mûrs pour renouer entre eux leurs relations aujourd’hui distendues et pour, enfin, entrer dans l’Union européenne...
Quant à la menace de la ’’désintégration territoriale’’ - brandie par certains ’’tempéraments conservateurs’’ pour rejeter d’avance tout processus de recomposition territoriale dans les seuls Balkans - comme on l’a très bien vu précédemment, c’est en grande partie un fantasme, tant les problèmes sont divers et d’accuité variable...
Et il n’est certes pas normal que le seul fantasme des uns bloque le libre droit à l’autodétermination des autres (et à la Liberté de tout un peuple). Surtout s’il s’agit d’un préalable dans la difficile marche vers la Paix (et vers l’Europe...) de tout un peuple, sinon de toute une région…
1. Le 20 janvier 2008 à 12:36, par Ronan En réponse à : Kosovo : L’Europe atteinte de « matriochkite » ?
Complément d’informations :
Plus haut on parlait des aspirations écossaises à plus d’indépendance.
Et - récemment, le 13 novembre dernier - le PM de l’Ecosse autonome Alex Salmond, nationaliste du « SNP / Scottish National Party » (au pouvoir depuis mai dernier) affirmait, en présentant sa stratégie économique, que d’ici à dix ans (2017-2018) l’Ecosse autonome disposerait des leviers économiques (fiscalité autonome et gestion propre de ses ressources naturelles pétrolières) lui permettant d’assumer une indépendance enfin recouvrée.
Seulement voilà, il s’avère que - pour le Royaume-Uni et, donc, plus singulièrement encore pour l’Ecosse - la grande époque du pétrole de la mer du Nord touche aujourd’hui à sa fin : aujourd’hui le pétrole se raréfie, devenant plus difficile à extraire (et, ces dernières années, sa production chutant de 08 à 09%...).
Alors, l’Ecosse « indépendante » à l’horizon 2015-2020 ? Pas si sûr... En revanche, si cette ’’fin du pétrole de la mer du Nord’’ devait se confirmer (avec les problèmes sociaux que l’on peut imaginer, notamment en seuls termes d’équilibre budgétaire et de financement de l’état providence...), ce qu’on peut raisonnablement envisager pour l’UE du début des années 2020, c’est rien de moins qu’une demande d’adhésion de la Norvège...
– Sources : « En mer du Nord, l’ère du pétrole s’achève », un article du « Guardian » (quotidien britannique de référence de gauche, proche des travaillistes tout en restant critique...), document publié dans le « Courrier International » n°890 du 22 novembre 2007 (p. 20).
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