L’Europe comme puissance économique : Quel présent, quel avenir ?

Une ambition : gouverner la mondialisation.

, par Marina Henke

L'Europe comme puissance économique : Quel présent, quel avenir ?

L’idée que l’Europe militaire est faible s’est ancrée dans les têtes des européens au cours des débats pendant la crise en Iraq.

Il est vrai que même s’il y a eu des avancées considérables après le désastre dans les Balkans (comme, par exemple, la création d’une structure militaire européenne indépendante de l’OTAN...), l’Europe reste militairement faible.

Pourtant persiste la volonté et la nécessité d’influencer le monde dans lequel nous vivons. La grande question qui se pose est donc : comment ?

La puissance du marché européen

A la recherche de cette nouvelle forme de puissance l’Europe est tombée sur sa raison d’être elle-même : le marché européen qui, en termes de PIB global, est le plus grand du monde et doté de la 3ème population du monde, après la Chine et l’Inde. En plus, il occupe désormais en matière des biens et des services presque ¼ du marché mondial.

Nous jouons donc avec l’accès sur notre marché : celui qui collabore, qui accepte les règles européennes y aura accès. Celui qui refuse est désavantagé ou même exclu. L’Europe utilise donc son marché pour « normer » le jeu économique selon des règles qu’elle même émet. Cette politique de « normation » est menée par les deux politiques les plus fédéralisées de l’intégration européenne : la politique commerciale et la politique de concurrence.

Surtout en matière de concurrence, la Commission est totalement indépendante et ne doit tenir de comptes qu’à la Cour de justice des Communautés européennes dans les quatre volets desquels elle est en charge : les fusions, les abus de positions dominante, la libéralisation des marchés et le contrôle des aides d’Etat. Par rapport à la politique commerciale, les EM ont encore une voix considérable dans la définition du mandat de négociation. Néanmoins, la négociation - au niveau multilatéral ou bilatéral - est faite par un seul négociateur européen.

Cette puissance se fonde sur deux motivations collectives européennes différentes.

Premièrement, il y a l’idée que le monde devrait apprendre de l’exemple européen : l’Europe est convaincue que le commerce adoucit les mœurs, cette idée étant déjà portée par les Pères fondateurs comme Monnet. Plus les relations économiques se densifieront, et moindre sera le risque de guerre. Et le meilleur exemple pour cette stratégie est l’Europe elle-même.

D’autre part, la politique de concurrence comprend aussi une dimension sociale : la volonté de donner une voix aux consommateurs et ne pas laisser les grandes entreprises dominer sans contrôle le marché, ce qui ne conduit qu’aux comportements monopolistiques, etc.

Néanmoins, l’Europe est aussi favorable au commerce et à la libre concurrence, car ces deux choses conditionnent le bien-être des ses habitants. Les économies de la plupart des EM dépendent fortement sur les échanges internationaux. N’oublions pas que l’UE est en effet le 1er exportateur du monde et que l’économie européenne est considérablement dépendante des marchés étrangers.

En plus du sens strictement économique, « normer » les échanges commerciaux est peut-être aussi la seule solution que l’UE a trouvé pour protéger son modèle de société qui inclut par exemple une attention collective à l’égard de l’environnement ainsi que sa préoccupation sociale.

L’Europe, puissance normative

La relation entre l’UE et la Chine donne par exemple une illustration parfaite de l’intérêt pour l’Europe de normer la mondialisation. Etant donné qu’avec la mondialisation, il sera de plus en plus difficile de rester compétitif sur le marché mondial avec des salaires si élevés qui comprennent néanmoins une protection sociale considérable, l’Europe ne peut qu’à travers son poids de marché veiller à ce qu’elle reste compétitive. C’est-à-dire soumettre l’accès à son marché au respect de certaines normes et inciter ainsi ses concurrents à adopter les mêmes standards qu’elle ou les exclure du marché (standards environnementaux, alimentaires, etc).

Ce pouvoir d’influencer la mondialisation à travers des normes a donc conduit à ce qu’on parle, aujourd’hui, de l’UE comme une puissance « normative » : c’est à dire une puissance qui a la capacité à produire et mettre en place à l’échelle du monde un dispositif aussi large que possible de normes capables d’organiser le monde, de discipliner le jeu de ses acteurs et d’introduire de la prévisibilité dans leurs comportements.

Et nous savons tous que celui qui émet des règles du jeu a un avantage considérable par rapport aux autres, car il sait, dès le début, comment le jeu marche.

Pour légitimer ses règles, l’UE fait désormais souvent recours à l’OMC. Premièrement, parce que de façon générale, l’OMC donne largement raison à l’Europe lorsqu’elle porte plainte ou qu’elle est attaquée. Entre 1999 et 2004, elle a gagné treize panels et n’en a perdu que quatre. Ensuite l’UE ne dispose pas de réelles alternatives au système multilatéral pour faire avancer sa vision normative.

Quel avenir pour l’Europe comme « puissance normative » ?

Cette question est une question clé qui touche à l’avenir de la construction européenne, dans son ensemble.

Car, vouloir poursuivre avec une Europe comme « puissance normative » implique la poursuite de l’élargissement : des élargissements qui agrandiront encore le marché européen et sa population, et qui feront de l’Europe un acteur encore plus puissant sur la scène économique internationale.

Néanmoins, en matière de politique économique faut-il aussi réussir à avoir une position commune : une Europe de Dublin à Erevan rassemblerait pourtant une multitude d’économies et de niveaux de vie différents. Et trouver une position commune au moins avec les mécanismes institutionnels européens actuels sera - nous semble-t-il - presque impossible.

L’approfondissement nécessaire

Ensuite, cette vision du grand marché européen rend un approfondissement d’une Europe politique et démocratique d’autant plus difficile.

Or, selon Pascal Lamy, c’est exactement cette légitimité démocratique qui confèrerait encore plus de poids à l’UE dans les négociations commerciales. Ainsi il écrit dans son livre « l’Europe en première ligne » : « Si, dans une négociation, mes adversaires savent que je bénéficie de l’appui total des représentants directement élus de 350 à bientôt 450 millions d’habitants, ma position s’en trouve clairement renforcée, et ce que je dis ou demande n’en a que plus de poids » De plus, regardons le monde tel qu’il est dans son ensemble : La Chine, l’Inde, les Etats-Unis, la Russie - tous ces pays encore fortement centrés sur le militaire - prendront-ils l’Europe au sérieux tant qu’elle ne s’imposera pas comme une puissance militaire ?

Ou encore, étant donné que les préférences collectives puisent leur source dans l’histoire politique européenne : son niveau de développement, les contraintes de son environnement, les attentes de ses citoyens et les intérêts de ses habitants - est-il possible de les transposer durablement aux autres pays ?

Face à tous ces doutes l’UE ne devrait-elle pas retourner à la ’’Realpolitik’’, c’est-à-dire à une ’’vision réaliste’’ du monde qui implique par définition des hard powers ? Mais là aussi, nous constatons de nombreuses contradictions, car la Realpolitik elle-même repose sur des propositions avec lesquelles l’UE est en total désaccord : l’UE n’est pas un Etat, elle n’a pas d’ennemi, il n’y a pas de demos européen. Selon Habermas, il faudrait donc créer un « autre ». Mais qui serait cet autre ? Les Etats-Unis, la Chine ? N’y a-t-il donc des conflits inévitables ?

Finalement, il y a cinquante ans, l’Europe était en ruines, dévastée par la guerre et dévorée par la haine qu’elle avait engendrée. Peut-on alors retourner au système qui n’a que provoqué des guerres ?

Et n’est il donc pas dans l’obligation de l’Europe de démontrer au monde qu’il y a aussi une façon différente d’être et d’agir dans les relations internationales ?

Illustration :

 Le globe terrestre (Source : wikimedia ; document original créé par Noldoaran, en Décembre 2003).

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom