à savoir ses modalités et les cadences à suivre pour « fermer le robinet » des politiques fiscales et monétaires qui ont soutenu le système économique dans les jours les plus sombres de l’effondrement financier, d’abord, et de l’économie réelle dans la foulée. Reste donc encore à savoir quand la « main visible » nationale redeviendra « invisible », laissant derrière elle une immense quantité de dette publique.
Tout s’est il terminé en classique end ? La dure leçon des deux dernières années a-t-elle été tirée par les politiques, industriels, acteurs des hautes sphères de la finance et citoyens lambda ? Pas tout à fait. Si les choix de politique économique se sont révélés efficaces, les causes sous-jacentes de la crise restent encore présentes. Effectivement, à la différence de la fin des années vingt, dites années « rugissantes », où les politiques restrictives ont accompagné, au lieu de limiter, la descente dans la Grande Dépression, l’actuelle réponse à la crise a été immédiate : politique de relance et injection sans précédent de liquidité dans le circuit économique de la part des autorités monétaires nous ont démontré que la leçon du début du XXeme siècle a été comprise et retenue, faisant au passage gagner à Ben Bernanke, chef de la réserve fédéral américaine, le titre d’ « homme de l’année » attribué par le magasine Time.
Un plan de relance européen à trop court-terme
D’un autre coté, si les erreurs du passé ne se sont pas répétées et si le système économique s’est maintenu artificiellement à la surface, le résultat a été accompagné par d’énormes coûts économiques, politiques et sociaux et les causes structurelles de la crise n’ont été envisagées que de façon minimes. Le plan européen de réponse à la crise représente un cas d’école : orienté sur le court terme, sur le soutien à la consommation et au rétablissement de la confiance, ce dernier n’est rien d’autre qu’une rationalisation des plans de sauvetage nationaux (si l’on exclue les 0,3 % des ressources totales fournis par le budget communautaire). On attendait un plan supranational, financé avec les ressources propres de l’UE, donc à travers une réforme du budget communautaire, de la fiscalité continentale ou par le truchement de l’émission d’ obligations communautaires, et capable de mettre à profit les économies d’échelle européennes. Au lieu de ça c’est la voie inefficace de la coordination intergouvernementale qui a été choisie Les raisons de l’inefficacité de ce choix, du point de vue non seulement de l’analyse économique mais aussi des possibilités politiques, sont évidentes..
La recherche de ressources avec lesquelles redresser les banques insolvables, financer les stabilisateurs sociaux et les interventions de politique fiscale a déjà commencé à faire exploser les dettes publiques. L’augmentation de la dette provoquera une confiscation ultérieure des ressources nationales disponibles pour le système déjà éprouvé de prestations sociales, au soutien à l’innovation, à la recherche et au « verdissement » de l’économie, en fait, à tous les piliers de ce que devrait être, selon la Stratégie de Lisbonne à la veille du dépôt de bilan, l’économie fondée sur la connaissance la plus compétitive du monde.
Des incitations au laisser-aller
Le plan intergouvernemental augure déjà de l’absence d‘économies d’échelle. Cela est d’autant plus regrettable que si l’on considère les très haut degrés d’intégration commerciale des pays européens, en particulier ceux de l’Eurogroupe, l’effet multiplicateur d’un plan anti-crise unique supranational aurait été plus important.
Ce sont d’autant d’incitations au laisser aller pour des pays qui, liés par le pacte de stabilité ou incapables de pousser au delà de leur propre endettement, peuvent décider de ne pas se contraindre et jouir passivement des bénéfices de « l’effet de ruissellement », dûs aux externalités positives générées par l’engagement des plus vertueux. Lesquels ne devraient plus être incités à payer seuls pour les autres, configurant ainsi le cas typique de faillite d’une action collective.
Le paradoxe de l’intergouvernementalisme
En somme, l’incapacité d’aller au-delà du problème structurel que représente l’intergouvernementalité de l’Union a généré une situation paradoxale : alors que chaque gouvernement est conscient des avantages d’un plan unique supranational anti-crise, le choix de la coordination pure et ses conséquences inefficaces en termes de coûts/avantages et de motivations a rendu attractif le réflexe national.
Finalement la réponse à la crise est insuffisante mais, au vu du contexte et de l’optique nationale, reste électoralement rentable ; cela revient à dire qu’il est préférable de sauver la face à court terme plutôt que de favoriser la reprise à moyen et long terme. Voilà un exemple parfait de la philosophie court-termiste peu courageuse qui règne au sein des gouvernements d’Europe.
Revenant à la leçon de la crise et à ses causes structurelles, il y a cependant un revers de la médaille par rapport au succès partiel obtenu par les réponses de politique économique : si l’expansion monétaire a sauvé le système économique mondial, en même temps elle a permis à tous ceux qui ont favorisé avec leur propre choix l’explosion de la bulle spéculative des prêts dits des subprimes (la goutte qui a fait déborder le vase de l’instabilité économique mondiale), c’est à dire les gourous de la haute finance, les banques internationales et les gestionnaires de fonds d’investissement, de se réapproprier des ressources perdues en peu de temps sans sanction particulière et sans avoir à changer leur comportement économique.
Une onde de destruction créatrice
Le tremblement de terre financier est donc apparu comme une onde de « destruction créatrice » [1] , qui a nettoyé le marché chassant les agents incapables et récompensant les survivants ; le système peut se remettre à fonctionner tel quel et même mieux qu’auparavant. En réalité, la véritable leçon de la crise est celle-ci : la bulle spéculative était seulement une des bulles qui peuvent éclater quand le système économique souffre de profondes asymétries entre les pouvoirs politiques, de manque de contrôle institutionnel au niveau global, d’un équilibre de puissance entre les forces en présence sur l’échiquier mondial.
La bulle est l’aspect contingent d’un problème structurel, un des signes d’une maladie plus profonde. La métaphore médicale nous rappelle que guérir un symptôme n’équivaut pas à vaincre la maladie ; jusqu’à ce que puissent émerger de nouveaux symptômes. D’autres bulles peuvent exploser (Déjà l’on parle de bulles semblables dans l’exercice commercial, de spéculation sur les valeurs à bon marché, comme le dollar défaillant post-crise) si les déséquilibres globaux ne s’ajustent pas.
Liés en particulier au déficit monstre de la balance commercial des États-Unis vis à vis de la Chine, ces grands déséquilibres ont cependant une dimension et un sens politique, et non pas seulement économique. Le récent débat sur la demande américaine de réévaluation du Yen chinois [2] clarifie la situation : d’un coté émerge une présence chinoise renouvelée dans les questions mondiales ; de l’autre, la conscience des effets marginaux d’une telle mesure économique, l’avantage chinois dépendant surtout du coût bas de la main d’œuvre. L’écart de prix entre les biens occidentaux et orientaux est désormais tellement important que la réévaluation ne pèserait pas vraiment sur les mécanismes et les choix de la demande globale. Cela nous montrent que la requête américaine est seulement une tentative de confirmation de sa suprématie mondiale, suprématie toujours plus remise en cause.
Europe, réveille toi
Tant que cette situation périlleuse ne sera pas résolue, parler de reprise ou encore de stratégie de sortie sera seulement un sympathique leurre intellectuel. Seul est nécessaire un équilibre renouvelé de la balance et de l’économie mondiale, et pour ceci seule une Europe à caractère fédéral aurait le « poids » requis pour faire bouger les lignes.
Mais l’Union et les gouvernements nationaux -comme nous avons pu le constater dans l’exemple du plan de sauvetage européen- vivent dans un piège fait de vues à court terme, d’ancrage national et de manque de courage politique. Nous n’avons donc pas du tout appris la leçon de la crise, mais dans la progressive « somnolence de civilisation » qui accompagne notre époque complexe il ne nous reste plus beaucoup de tentatives pour y remédier. Nous pouvons nous unir politiquement et donner notre contribution d’européen pour que soient destituées définitivement les asymétries de puissance qui alimentent et alimenteront la crise globale, ou bien nous pouvons nous bercer d’illusions et s’en remettre aux mythes du vieux système de l’Europe des Nations, pendant que d’autres écrivent -sans nous- les nouvelles règles du jeu de la politique et de l’économie mondiale globalisée.
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