Bien sur, l’Histoire ne repasse pas les plats et les situations ne sont jamais vraiment comparables. Il n’empêche, avec l’Empire Ottoman, nous avons un magnifique exemple de pays qui ont connu une dette particulièrement massive, au premier rang desquels Égypte et la Tunisie.
L’Égypte et la Tunisie connaissent des difficultés dans la gestion de leur budget dès la première moitié du XIXème siècle. La situation se dégrade pendant quelques décennies (50 ans en Tunisie, de 1815 à 1869, et 15 ans pour Égypte, entre 1862 et 1876). La cause ? Un train de vie dépensier de l’appareil d’Etat, des dépenses publiques qui font tout simplement vivre les pays durant des années au dessus de leurs moyens, une administration peu efficace et la concurrence de producteurs étrangers, plus compétitifs pour la fabrication de produits industriels (concurrence du coton pour Égypte face aux États-Unis).
Le résultat ? Une dette publique multipliée par 30 en Égypte en l’espace de 15 ans (entre 1863 et 1874) et par deux en l’espace de deux ans en Tunisie (entre 1861 et 1863).
Comment désendetter l’Etat ? Le désendettement passe par la vente des biens de l’Etat (vente des actions de la compagnie du Canal de Suez pour l’Egypte). La deuxième action est une taxation massive de la population, une baisse des salaires des fonctionnaires et une réduction de leur nombre (l’armée égyptienne passe de 25000 à 7000 hommes et le salaire des officiers est réduit de moitié). La multiplication des impôts se traduit en Tunisie par une taxation d’une série impressionnante d’activités économiques, sans véritable cohérence : impôts sur les chevaux, voitures, ânes mulets à l’entrée des villes, sur les marchandises introduites...Tous ces produits ont en commun de représenter la richesse visible et entrainent des émeutes de plus en plus fréquentes (Tunisie en 1864, Égypte en 1848).
L’intervention étrangère : La banqueroute en Tunisie est en 1869, en Égypte en 1876. Dans un premier temps, le contrôle de la situation par les puissances étrangères passe par la mise en place de commissions financières composées de plusieurs pays (France, Italie, Angleterre), et d’une administration étrangère au côté de l’administration déjà en place. Dans un deuxième temps, lorsque les ministres autochtones chargés de faire passer les réformes imposées par les créanciers étrangers sont décrédibilisés politiquement (Khaznadar, puis Kheireddine Pacha en Tunisie, Tawfiq Pacha en Égypte), l’intervention étrangère se fait plus directe, notamment par le contrôle du ministère de l’économie et des finances et du ministère des affaires étrangères. Enfin la troisième phase est celle de l’intervention et du contrôle direct du pays par les puissances étrangères (France en Tunisie, Grande-Bretagne en Égypte), sous la forme du protectorat. Ces pays conservent une administration, largement fictive.
Et aujourd’hui ?...
Si tant est que la grille de lecture de la colonisation moderne s’applique à la situation présente en Grèce, on peut considérer que la Grèce est actuellement entre la fin de la première phase et le début de la deuxième. La classe politique est à bout de souffle, la rumeur de ventes d’îles (Mykonnos) a fait les choux gras de la presse l’an dernier, et une « Task force », une armée de fonctionnaires européens chargée de fournir à la Grèce « assistance technique », à côté de l’administration déjà existante a été créée et sa présidence confiée à Horst Reichenbach. Comme en Égypte entre 1876 et 1882 ou en Tunisie de 1869 à 1881, ces fonctionnaires étrangers tentent d’aider à mettre en œuvre des réformes structurelles, comme une administration fiscale plus efficace. Il est cependant évidemment très délicat de conclure que la Grèce basculera dans la troisième phase.
La France peut-elle rentrer dans la série d’engrenage décrit plus haut ? Tout d’abord, si la dette de la France est incroyablement élevée comparée à celle d’il y a trente ans, les chiffres de l’endettement du pays ne sont pas encore aussi spectaculaires que pour l’Egypte ou la Tunisie : dette publique multipliée « seulement » par cinq en vingt-cinq ans. D’autre part, si 65% de la dette appartient à des non-résidents français (32% en 1993), ce qui est particulièrement élevé, surtout au regard du Japon et des États-Unis (30% pour ces derniers), 52% de la dette de la France et de l’Allemagne reste détenue au sein de la zone euro, qui doit représenter une sécurité. Il reste 40 à 48% de la dette française détenue hors d’Europe, mais la loi ne permet pas de savoir quels sont les pays qui la possèdent particulièrement. Il reste que dans un monde de plus en plus complexe et multipolaire, les créanciers de la France sont sans doute moins faciles à identifier que les créanciers de l’Egypte et de la Tunisie au XIXème.
En tous les cas, les leçons du passé, et les chiffres de la répartition de la dette française rappellent plus que jamais la nécessité de l’unité au sein de l’Union européenne. La solution, serait de fermer les frontières, sortir de l’euro et dévaluer ou déprécier la monnaie ? En Tunisie et en Égypte, ces mesures n’ont fait qu’aggraver la fragilité de ces pays, et donc l’emprise étrangère. En taxant les importations en Tunisie et en baissant le cours de la piastre (une piastre valait 1,80 franc en 1815, à peine 50 centimes en 1860), le prix des importations augmente et leur volume diminue : celles-ci passent de 17 à 9 millions de francs par an, entre 1862 et 1864, ce qui diminue également les recettes fiscales et donc l’utilité de ces mesures. La baisse de la monnaie ne profite pas vraiment aux exportations, trop peu compétitives. Le salut n’est donc pas dans le renfermement sur soi.
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