L’Europe nous soigne !

, par Mathilde Marmier

L'Europe nous soigne !

Marché du médicament ? Libre circulation des patients et accès aux soins de chaque citoyen européen ? Création d’un grand système de santé européen ? Chacune de ces notions relatives à une « Europe de la santé » pose son lot de questions.

Aujourd’hui, la création d’un système de santé européen n’est pas d’actualité... il n’est d’ailleurs pas certain qu’elle soit souhaitable ! Il n’empêche, la prise en compte des questions de santé au sein de l’Union européenne s’avère de plus en plus nécessaire. Premier acte de l’Europe de la santé lancé depuis près de 50 ans, le marché européen du médicament est aujourd’hui sur les rails.

Il n’a échappé à personne que la France était en proie à une véritable remise en question de son système d’évaluation du médicament suite à l’affaire du Mediator, molécule dont les effets secondaires disproportionnés ont engendré un retrait du marché trop tardif en dépit de diverses alertes, causant ainsi la mort de plus de 2000 personnes. Les instances françaises sont en cause. Une fois n’est pas coutume, rares sont les voix qui se sont élevées pour brocarder l’Union européenne dans ce scandale. La question semblerait pourtant légitime, l’Europe occupant une place centrale dans l’accès au marché des médicaments. La plus-value de l’échelon européen dans la commercialisation du médicament est-elle réelle ?

L’Europe du médicament : premier acte de l’Europe de la santé

Initialement considéré comme un marché comme les autres, la spécificité du marché du médicament a été prise en compte dans les années 1960. L’Europe du médicament s’est alors mise en place progressivement, débutant par un recensement unique de la pharmacopée et la mise en place de normes européennes, partant du postulat qu’un Etat n’avait pas à craindre qu’un médicament fabriqué dans un autre Etat européen ne respecte pas les mêmes normes de qualité, d’efficacité et de sécurité que lui.

L’agence européenne du médicament – l’EMEA, a vu le jour en 1995. Etablie à Londres, cette sorte de « superviseur » des agences nationales – son homologue français étant l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS - est en charge de délivrer les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments et d’en assurer ensuite la pharmacovigilance, soit leur surveillance une fois ceux-ci commercialisés. Il existe donc une agence du médicament européenne qui coexiste avec des agences nationales.

Désormais, pour certaines familles de molécules, les laboratoires pharmaceutiques sont dans l’obligation de déposer leur demande d’AMM directement auprès de l’agence européenne. Cette obligation concerne principalement des molécules dérivées des biotechnologies ainsi que des molécules intervenant dans le traitement du diabète, du cancer, du SIDA ou autres maladies virales, et des maladies neurodégénératives (telle que la maladie d’Alzheimer). L’autorisation délivrée sur décision de la Commission européenne s’impose ensuite à l’ensemble des Etats européens.

Pour les molécules plus anciennes ou n’entrant pas dans ces catégories, l’autorisation à l’échelle européenne est facultative. Les laboratoires ont alors la possibilité de déposer des demandes d’AMM auprès des agences nationales, les autorisations délivrées n’étant valables que pour le pays concerné. Une procédure européenne dite « de reconnaissance mutuelle » permet d’harmoniser au niveau européen des autorisations nationales obtenues dans différents pays de l’Union. Cette procédure plus longue et facultative s’avère également moins exigeante quant aux critères d’efficacité des molécules.

Aujourd’hui, au total, ce sont plus de 80 % des autorisations de mise sur le marché qui sont délivrées par l’agence européenne du médicament. Son ampleur croissante en fait un acteur central de la mise sur le marché des médicaments en Europe.

Une faille dans le système ?

Cet acteur crucial qu’est l’Agence européenne du médicament aurait-il failli à sa mission dans le scandale du Mediator ? C’est ce que cherchent à savoir les Eurodéputées françaises Michèle Rivasi et Eva Joly, appartenant toutes deux au parti Europe-Ecologie-les Verts, dans leur demande d’enquête spécifique visant à rechercher d’eventuels conflits d’intérêts au sein de l’ agence.

Soyons clair ! Le Mediator ne disposait que d’une autorisation de mise sur le marché nationale délivrée en France par l’AFSSAPS. C’est donc bien à cette dernière qu’il revenait d’imposer le retrait du marché de la molécule et non à l’EMEA.

L’agence européenne conservait toutefois la possibilité d’émettre des avis et pouvait ainsi recommander aux agences nationales de ne plus l’autoriser après qu’il ait été retiré du marché de certains pays.

Le médicament est certes retiré du marché en Italie et en Espagne dans les années 2000. Il s’agit en réalité d’un choix délibéré du laboratoire lui-même devant le constat d’effets indésirables graves, choix visant à détourner la procédure d’interdiction qui alerterait l’agence européenne.

Dès 1999, l’EMEA demande le retrait du marché de l’ensemble des molécules coupe-faim...excepté le Mediator, contrairement à son homologue américain, la Food and Drugs Administration. L’agence demande alors un protocole d’enquête sur les effets pulmonaires et cardiaques du produit en 2000. Le travail du laboratoire ne débute qu’en 2006...pour s’achever en 2009. L’agence européenne aurait été négligente quant aux délais.

Le rapport français de l’IGAS enquêtant sur l’affaire du Mediator parle d’ "enlisement européen". Selon les auteurs, la procédure de pharmacovigilance européenne n’aurait pas fonctionné de façon optimale. Des Etats ayant déposé une demande d’arbitrage sur ce sujet auprès de l’agence européenne, les auteurs se disent étonnés qu’une décision n’ait pas été prise de façon plus rapide, compte-tenu des informations disponibles.

Comme au niveau français, la réactivité ne semble pas avoir été de mise au sein de l’EMEA dans le cas du Mediator et les raisons devront être élucidées. Mais n’oublions pas que dans ce cas précis, le suivi de la molécule en France relevait avant tout de l’agence française !

Continuons à mutualiser nos expertises !

Des dysfonctionnements – a priori minimes au regard des dysfonctionnements constatés dans le système français à la suite de ce scandale - ne doivent en aucun cas remettre en cause l’intérêt de l’échelon européen dans l’évaluation du médicament. La mutualisation des expertises nationales accroît indéniablement la qualité de l’évaluation en Europe. L’harmonisation permet également de mettre fin aux pratiques d’agences nationales opérant pour certaines au moyen de critères obscurs.

Enfin, un suivi des médicaments commercialisés à plus grande échelle permet un repérage plus rapide des effets indésirables rares.

Le médicament est un bel exemple de l’intégration européenne. L’étape de la commercialisation doit toutefois être dissociée de la question de son accès. Si les autorisations de mise sur le marché sont en majorité délivrées au niveau européen, chaque Etat est ensuite libre de rembourser -ou non ! - les médicaments à hauteur de ce qu’il souhaite,

L’Europe du médicament ne garantit pas l’accès au médicament pour tous les européens mais elle garantit l’accès à des médicaments de qualité identique....c’est déjà pas mal !

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