L’OHADA : un espoir pour le fédéralisme africain ?

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, par Louise Ferry

L'OHADA : un espoir pour le fédéralisme africain ?

L’Afrique est composée de sociétés humaines dont les conditions d’évolution sont aujourd’hui particulièrement déterminées par la pénétration de la mondialisation et des nouveaux équilibres, parfois instables, qui en résultent.

Pour s’adapter à ce contexte mouvant qui pourrait constituer une entrave au bon développement économique de la région, il lui est donc nécessaire de sceller des pactes régionaux afin de mettre en place des coopérations interétatiques renforcées, comme c’est le cas ailleurs dans le monde, en Amérique latine ou en Asie du sud-est, par exemple.

L’Ohada, késako ?

En réalité, les Africains ont de tout temps cherché à promouvoir la coopération tant politique qu’économique, à l’instar des autres continents qui ont entrepris des regroupements.

Les chantres du panafricanisme ont ainsi déjà pu voir certaines de leurs idées concrétisées par la naissance d’une multiplicité d’organisations, créées sur des bases géographiques, comme l’Organisation pour l’Union Africaine (OUA) ou encore la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC). Ou par l’intermédiaire d’organisations spécialisées, telle que l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA).

Cette dernière mérite que l’on s’y arrête : première organisation africaine régionale du genre en matière d’harmonisation du droit des affaires, elle est perçue en Afrique comme une véritable révolution juridique par son caractère régional, son modèle intégrationniste ainsi que par l’étendue du potentiel de développement futur de ses activités.

L’OHADA : Pour vaincre l’insécurité juridico-judiciaire

Historiquement, l’OHADA est née de la volonté des Etats membres de la zone franc, avec l’appui soutenu de la France, de vaincre l’insécurité juridico-judiciaire qui condamne aujourd’hui le continent africain à rester l’une des zones les moins courtisées par les investisseurs étrangers.

Le projet remonte en fait à avril 1991, date à laquelle ces Etats décidèrent d’organiser une réflexion sur la faisabilité d’un projet de mise en place progressive d’un droit harmonisé des affaires afin de rationaliser l’environnement juridique des entreprises.

Le traité OHADA fut ensuite signé à Port Louis (Ile Maurice) le 17 octobre 1993 par quatorze Etats africains membres de la zone franc (Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, République centrafricaine, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée équatoriale, Gabon, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo).

La question de l’abandon de souveraineté a été, comme on peut l’imaginer, au cœur des procédures de ratification. Malgré cela, le traité a été ratifié par tous les Etats signataires et est entré en vigueur le 18 septembre 1995.

En juillet 2002, les Comores et la Guinée ont rejoint l’OHADA qui reste, aujourd’hui, ouverte à tous les pays du continent pourvu qu’ils aient l’accord des Etats membres.

Ainsi, la République Démocratique du Congo (RDC) devrait rejoindre l’OHADA très bientôt, conformément à la décision du Conseil des Ministres de RDC du 10 février 2006. Les déclarations de la présidente du Liberia, Hélène Johnson-Sirleaf, vont également dans ce sens, tandis que des pourparlers en vue d’une future adhésion ont été engagés avec le Ghana, le Nigeria et Madagascar.

L’OHADA : sa raison d’être, ses missions, ses moyens d’agir

Concrètement, l’OHADA a pour objet l’harmonisation du droit des affaires par le truchement d’un « droit communautaire » et l’institution d’un système unique de contrôle et de règlement des différends.

Trois institutions principales ont été créées pour atteindre ces objectifs :

 le législatif : un Conseil des Ministres, composé des Ministres de la justice et des finances des Etats membres, adopte les lois OHADA (dénommée « Actes Uniformes », qui doivent être intégrées immédiatement au système juridique interne de chaque Etat.

 le judiciaire : la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) est supposée régler les différends concernant l’application des lois OHADA en s’assurant que les textes sont appliqués de façon uniforme dans toute la région concernée.

 l’ exécutif : il est représenté par un Secrétariat Permanent et sert le Conseil des Ministres.

De plus, une Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature a été mise en place afin d’assurer la formation des magistrats et auxiliaires de justice au droit OHADA.

Une ambition véritable mais une mise en pratique difficile

Cependant, onze ans après la mise en place de cette organisation, qu’en est-il réellement de l’intégration juridique de l’Afrique centrale et de l’Ouest ?

A en juger par les critiques des avocats, notaires, ministres et dirigeants de banques internationales des Etats membres, on s’aperçoit que le droit communautaire OHADA est généralement considéré comme un droit foncièrement bon, mais peu adapté aux réalités du terrain.

Aussi le traité supranational n’est-il pas respecté dans ses dispositions : la CCJA est la plupart du temps court-circuitée par les Cours de justices nationales qui n’entendent pas se défaire de leurs compétences si facilement. Les problèmes de formation persistent, dans la mesure où peu de juristes sont familiarisés avec un droit souvent méconnu, créé par une organisation qui n’est pas médiatisée et qui reste très éloignée des populations.

De plus, les textes juridiques sont souvent mal ou non traduits dans les langues officielles parlées dans les Etats parties (à savoir le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais). Le système n’est donc pas assez compréhensible pour les Africains, ce qui constitue aux yeux de Henri Job, avocat au barreau du Cameroun, une entrave réelle au développement économique de la région : depuis la constitution de l’OHADA, les investissements étrangers sont en chute libre... et les nationalismes sont plus forts que jamais.

Néanmoins, un sujet d’encouragement et d’optimisme

Pourtant, l’OHADA reste un sujet d’encouragement et d’optimisme, que vient actuellement favoriser la Banque Mondiale.

Celle-ci finance en effet, depuis mars 2005, une mission d’évaluation globale de l’application du droit OHADA dans les seize Etats parties afin de permettre à l’organisation africaine de pallier aux manques et défauts des Actes Uniformes et de porter le projet des Africains à maturité. Cette dernière est menée par un consultant international senior, chargé de rencontrer tous les acteurs principaux des milieux juridico-judiciaire, économique et universitaire des seize Etats et d’établir un plan d’action à l’échelle de l’OHADA, prévu pour mars 2007.

L’OHADA constituant un mode d’association original, dans lequel l’idéal panafricain a un rôle à jouer. Selon Abdoullah Cissé, professeur de droit à l’Université Gaston Berger (Saint-Louis, Sénégal), le fédéralisme est l’avenir de l’Afrique.

L’OHADA ne peut donc se contenter de favoriser l’essor économique de la région - bien que cela soit essentiel - mais doit également œuvrer à la construction de l’unité africaine dans son ensemble, et être ainsi la clef de voûte de son unification politique.

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est ni plus ni moins que le logo officiel de l’OHADA. Retrouvez le ici, dans son contexte original.

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Vos commentaires
  • Le 27 septembre 2006 à 20:37, par Nicolas En réponse à : L’OHADA : un espoir pour le fédéralisme africain ?

    Salut Louise,

    Voici un article intéressant sur l’OHADA dont j’ignorais parfaitement l’existence.

    Toutefois, j’aimerais des précisions sur les mécanismes institutionnels, notamment sur les questions de mode de votation (unanimité/majorité qualifiée ? pondération des voix...), sur le domaine matériel de cette organisation et ses réalisations significatives en matière d’harmonisation, et une comparaison avec le droit de l’Union européenne.

    Bises

    Nicolas

  • Le 3 octobre 2006 à 22:57, par Ronan Blaise En réponse à : L’OHADA : un espoir pour le fédéralisme africain ?

    Cher Nicolas,

    C’est en fait le Conseil des ministres qui adopte les actes uniformes (ce qui exclue les parlements nationaux), à l’unanimité des représentants des Etats parties présents et votants. L’adoption des actes uniformes n’est valable que si les deux tiers au moins des Etats Parties sont représentés, et l’abstention ne fait pas obstacle à l’adoption des actes.

    Ceux-ci sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties, même si certaines dispositions de droit interne, antérieures ou postérieures, y sont contraires !

    En ce qui concerne le domaine matériel de l’organisation : en fait, une législation harmonisée est prévue dans les domaines du droit des sociétés, du statut juridique des commerçants, du recouvrement des créances, des sûretés et voies d’exécution, du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, du droit de l’arbitrage, du droit du travail, du droit comptable, du droit de la vente et des transports, et dans toute autre matière que le Conseil des ministres déciderait, à l’unanimité, d’y ajouter. Ce domaine a d’ailleurs été récemment étendu au droit bancaire, au droit de la concurrence, au droit de la propriété intellectuelle, au droit des sociétés coopératives et mutualistes, au droit des sociétés civiles, au droit des contrats et au droit de la preuve.

    Je vais me renseigner davantage sur les réalisations significatives en matière d’harmonisation, car cette simple question nécessiterait une réponse de vingt pages...

    Enfin, peux-tu préciser ta dernière question ? Qu’entends-tu exactement par « comparaison avec le droit de l’UE » ?

    Toutes remarques sont les bienvenues.

    A bientôt,

    Louise

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