On a déjà dit, écrit, et publié pour dénoncer une décision de la France assez scandaleuse, qui foule aux pieds le principe de base du Parlement Européen : sa composition de représentants élus au suffrage universel direct. En outre, elle ne s’appuie pas sur les résultats des élections européennes de mai 2009. En vérité, cela doit-il nous étonner ?
La construction européenne est émaillée d’entorses aux principes démocratiques
Les citoyens européens sont malheureusement accoutumés à subir de telles pratiques, puisqu’à chaque changement institutionnel, les exigences démocratiques fondamentales sont négligées. L’exemple le plus récent et sans doute le plus déplorable, également lié aux changements apportés par le traité de Lisbonne, est celui de la nomination de Herman Von Rompuy et de Catherine Ashton « dans le secret des chancelleries » selon l’expression -hélas !- consacrée par des années de pratiques du même genre.
Tout cela se fait au nom de la démocratie : Lisbonne apporte réellement des avancées majeures, octroyant au Parlement Européen des pouvoirs accrus. Néanmoins ce traité a été adopté sans remporter l’adhésion des peuples, dans la douleur et au prix de nombreuses entorses aux valeurs et aux textes européens (pensons aux concessions accordées à l’Irlande, à la République Tchèque ou à la Pologne, pour ne citer que ces pays). Le prix à payer pour faire l’Union Européenne est lourd de compromissions. Cela en vaut-il la peine ? Probablement.
Un projet difficile à mener à bien, qui nécessite des sacrifices
Quand on à l’occasion de réaliser rien moins que l’union politique de l’Europe, cela vaut la peine de s’asseoir sur quelques principes. Ce continent a été le berceau des nationalismes au XIXème siècle et la poudrière de guerres meurtrières : il faudrait être naïf pour penser que la voie vers l’union politique pourrait se tracer d’elle-même. N’oublions pas que les régimes politiques n’ont pas toujours l’assentiment du peuple à leurs débuts, et n’acquièrent leur légitimité qu’avec le temps, avec l’accoutumance qu’en ont les citoyens. L’instauration définitive de la démocratie et de la République en France ne s’est-elle pas faite sur un coup d’Etat en septembre 1870 ?
L’empereur Napoléon III avait pourtant été plébiscité quelques mois plus tôt. Tous les régimes ont leur « péché originel », pourquoi l’Europe ferait-elle exception ? Malgré quelques entorses à la démocratie, l’Europe avance vers son but et pour le bien de tous.
Vous avez l’impression d’avoir déjà entendu cet argumentaire quelque part ? C’est parfaitement normal, parce que nous y avons droit à chaque coup porté aux principes démocratiques. Depuis le début, l’Europe se construit au prix de la démocratie. L’Union Européenne n’a jamais été un régime qu’on a établi puis auquel on a laissé le temps de se roder : son évolution perpétuelle fait qu’à chaque révision des traités elle bafoue ses propres principes. Jamais les citoyens européens n’auront l’impression que l’Europe démocratique est enfin là, à portée de main si chaque fois l’Union Européenne renoue avec son « péché originel ». Avec ce genre de pratique, l’Union Européenne tend à donner l’impression qu’elle n’est pas installée, qu’elle n’est pas une réalité politique durable. S’il faut bien reconnaître le caractère louable d’une telle entreprise, cette recherche de la perfection ne peut amener qu’à la rupture entre l’UE et ses citoyens.
Une décision qui confirme aux citoyens que l’UE se sent faible
On se plaint du manque d’adhésion des citoyens au projet d’Union Européenne : comment pourraient-ils s’y projeter, si on leur donne systématiquement le sentiment que l’Europe en est toujours à ses balbutiements ?
La vraie faute du gouvernement français dans cette affaire, ce n’est pas tant d’avoir demandé et obtenu une nomination de deux députés issus de la représentation nationale : l’UE a connu manquements plus graves. Le vrai problème, c’est l’état d’esprit que cette demande révèle : de toute évidence, les dirigeants français ne voient pas l’Union Européenne comme un véritable régime politique. Pire encore, en accédant à cette requête, la commission des Affaires constitutionnelles du Parlement Européen montre que, même au niveau des instances dirigeantes européennes, on ne se pense pas comme un régime politique en action. C’est là probablement le préjudice le plus grave que la construction européenne retire de ces manœuvres.
1. Le 3 décembre 2010 à 11:59, par Villon En réponse à : L’Union Européenne, le coup d’Etat permanent ?
Soulignons tout de même que nommer les 2 députés supplémentaires est avant tout une « requête de la France ». Selon les conclusions de la réunion du Conseil des 18 et 19 juin 2009, « Pour pourvoir ces sièges supplémentaires, les États membres concernés désigneront des personnes, conformément à leur législation nationale et pour autant qu’elles aient été élues au suffrage universel direct, notamment soit par une élection ad hoc, soit par référence aux résultats des élections européennes de juin 2009, soit par désignation par leur parlement national, en son sein, du nombre de députés requis. »
Plutôt que nominer les nouveaux députés au sein du Parlement national, la France avait donc la possibilité de les désigner en se référant aux résultats des élections européennes, comme d’autres pays de l’UE l’ont fait.
Si cela n’a pas été fait, c’est que procéder ainsi n’aurait rapporté que peu ou pas de députés à l’UMP. En fonction de la méthode utilisé, et en utilisant aux résultats de l’élection de 2009, on peut obtenir un duo de députés socialistes et écologistes, ce qui n’arrange pas les affaires de l’UMP.
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=DOC/09/2&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en#footnote-2 http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2010/01/sarkozy-dans-le-gu%C3%A9pier-des-deux-eurod%C3%A9put%C3%A9s-suppl%C3%A9mentaires.html
2. Le 18 décembre 2010 à 10:51, par Axel de Saint Mauxe En réponse à : L’Union Européenne, le coup d’Etat permanent ?
De toutes façons quelle importance cela a ? deux députés sur plusieurs centaines, qui plus est au parlement européen, ça ne pèse pas lourd.
Finalement, le seul problème que cela me pose, c’est le nouveau surcoût pour la collectivité de ces deux personnes avec leur suite qui seront grassement payées compte tenu du montant des indemnités parlementaires.
3. Le 20 décembre 2010 à 10:43, par Cédric En réponse à : L’Union Européenne, le coup d’Etat permanent ?
C’est symbolique, mais parfois les symboles sont importants.
Et en l’occurrence, le symbole est vraiment minable :
– on lance une révision des traités pour une broutille : 18 pauvres députés, alors qu’on aurait très bien pu attendre 2014 que les dispositions de Lisbonne sur la composition du Parlement européen entrent en vigueur.
– certains de ces 18 députés pourront être nommés, et non pas élus,
– cette révision ne vise qu’à satisfaire des intérêts nationaux pitoyables et de courte vue (comme si 2 ou 3 députés en plus allaient changer quoi que ce soit à la défense des intérêts de tel ou tel Etat !) ;
– on consacre l’idée d’une Europe qui ne s’occupe que de détails insignifiants. Après 10 ans de débat sur les traités, l’Europe refuse tout nouveau déballage institutionnel, sauf pour des broutilles. Si c’est une broutille, on est prêt à remuer ciel et terre ! Mais hors de question de réfléchir à des révisions utiles comme la véritable généralisation de la codécision, la réforme du Conseil, une répartition logique des sièges d’eurodéputés, l’élection du président de la Commission, ou la création d’une circonscription européenne. Non, les débats intelligents ne sont plus à la mode.
A-t-on déjà vu la France réviser sa constitution pour ajouter 18 sièges de députés à l’Assemblée nationale ? Il faudrait que quelqu’un évalue le bilan coût-avantage de cette révision : Temps d’examen par les institutions européennes + Temps passé à ratifié + Coût des nouveaux eurodéputés / valeur ajoutée de ces nouveaux eurodéputés.
Le Parlement européen aurait dû tout faire pour bloquer cette révision ridicule des traités. Il en avait le pouvoir, il ne l’a pas fait.
4. Le 11 avril 2011 à 16:25, par brabonol En réponse à : L’Union Européenne, le coup d’Etat permanent ?
L’UE n’est pas vraiment une construction démocratique : le traité de Lisbonne, selon la phrase désormais célèbre de Valéry Giscard d’Estaing en le comparant au Traité Constitutionnel Européen « C’est la même boîte à outils sauf que les outils sont rangés différemment », a été voté par voie parlementaire alors que les peuples français et hollandais (puis irlandais) l’avaient rejeté par référendum ! Comment dès lors s’étonner que cette abstention aux élections européennes de plus de 55%, alors qu’elle était seulement de 30% lors du référendum de 2005 ? comment croire encore au vote quand on le bafoue à ce point-là ?
5. Le 11 avril 2011 à 18:01, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : L’Union Européenne, le coup d’Etat permanent ?
Naturellement VGE aime à penser que son « oeuvre » n’a pas été détricotée. Toutefois j’ai le devoir de vous informer que contrairement à ce que vous insinuez les deux traités n’ont pas tant que ça en commun.
Pour commencer toute la fameuse « troisième partie » qui a servie à alimenter la délirante campagne des nationalistes contre le traité constitutionnel ne fait pas partie du traité de Lisbonne (et pour cause, il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une reprise des textes existant, ce qui démontre l’inanité des principaux arguments des opposants au traité constitutionnel).
Par ailleurs l’essentiel du traité constitutionnel, c’était son nom, qui affirmait la volonté de construire une Europe politique, mais aussi la charte des droits fondamentaux. Tout ceci a été abandonné, et l’on en subira longtemps les conséquences. Le projet d’union de l’Europe est désormais en pause pour longtemps, les seuls progrès étant désormais relégués à la gestion de crises.
Au final le traité de Lisbonne n’est qu’une série de réformettes institutionnelles comparables au traité d’Amsterdam des années 90. Il a été bon de l’adopter et d’engranger son principal progrès, celui de donner au Parlement européen, enfin, un rôle majeur dans nos institutions. Après les débats homériques et largement fantasmatiques de 2005, la montagne a accouché d’une souris. Dès lors, rien ne justifiait mettre en branle les mécanismes référendaires.
Des arguments périmés et hors sujet dans ce genre vous en avez d’autres ?
Revenons au sujet de cet article pour souligner, comme trop souvent, la médiocrité de nos dirigeants politiques français : sur ce coup l’Union européenne n’y est strictement pour rien (comme pour le choix du mode de ratification) : c’est aux insuffisances criantes de celui que nos concitoyens ont élus - démocratiquement - comme chef de l’État que l’on doit cette minable manipulation.
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