L’initiative citoyenne européenne à l’épreuve un an après son introduction

La montagne a-t-elle accouché d’une souris ?

, par Julian Plottka, traduit par Federico Permutti

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L'initiative citoyenne européenne à l'épreuve un an après son introduction
Viviane Reding

L’initiative citoyenne européenne (ICE) n’est ni un élément de démocratie directe, ni un moyen de remplacer la double légitimation parlementaire de l’UE. De plus, les initiatives actuellement en cours mettent en évidence les faiblesses et les risques impliqués par l’ICE. Pourtant, dans le cas où celle-ci serait utilisée de manière appropriée, elle pourrait présenter un potentiel démocratique.

La montagne a-t-elle accouché d’une souris ?

Le 1er avril 2012 sera-t-il évoqué dans les manuels sur l’intégration européenne comme le jour où le déficit démocratique de l’Union européenne fut surmonté grâce à l’introduction de la démocratie directe ? Certainement pas. L’initiative citoyenne européenne, un droit civique dont nous disposons en théorie depuis le 1er décembre 2009 et qui est entré en vigueur le 1er avril 2012, n’est ni un élément de démocratie directe, ni un succédané de la double légitimation parlementaire de l’UE.

L’ICE entrera-t-elle donc dans l’histoire européenne au titre de poisson d’avril des bureaucrates de la Commission ? Encore une fois, la réponse est non. Dans le débat politique et scientifique, l’ICE a été accueillie tant avec de l’espoir qu’avec du scepticisme. Maintenant, presque un an après la mise en œuvre des premières initiatives, on peut constater que ce dispositif décevra inévitablement les attentes trop élevées. Cependant, ces douze premiers mois ont montré qu’un pessimisme exagéré ne doit pas être de mise, car l’ICE renforce dans tous les cas la démocratie européenne.

Un droit de plus pour les citoyens européens, mais pas un droit de décision Le Traité de Lisbonne donne à un rassemblement d’au moins un million de citoyens de l’Union européenne, issus d’au moins un quart des États membres (à savoir sept), de proposer à la Commission européenne de rédiger de nouvelles lois dans un certain domaine. En tant que membres d’un comité organisateur, les citoyens peuvent lancer une nouvelle ICE ou bien en soutenir une déjà lancée, à condition qu’ils aient le droit de vote aux élections du Parlement européen.

Cependant, même dans le cas où l’initiative atteindrait le quorum de signatures dans les 12 mois suivant son lancement, la Commission n’est pas obligée de présenter une proposition de loi. L’ICE est donc le droit de mettre un sujet spécifique à l’ordre du jour, mais n’a pas d’effets directs sur la législation européenne. Les termes « démocratie directe » et « initiative populaire », souvent employés quand on parle de l’ICE, engendrent de grandes attentes qui ne peuvent pas être comblées. Même si une initiative quelconque devait être soutenue par plus d’un million de citoyens européens, la compétence législative reste l’apanage de la Commission, du Parlement et du Conseil.

De grandes attentes déçues ?

Si l’ICE n’est donc pas un véritable instrument de démocratie directe, comment peut-elle renforcer la démocratie européenne ? À ce propos, on peut discerner trois thèses principales dans le débat. Premièrement, afin de collecter les signatures, les organismes européens ont besoin de communautés à la base, qui, à leur tour, ne sont habituellement pas très actives au niveau de l’UE. En soutenant une initiative européenne, ces communautés s’engageraient davantage dans le processus de l’européanisation. Cela leur permettrait de mieux se connecter avec d’autres mouvements, et renforcerait ainsi la société civile européenne. Deuxièmement, bien que les quorums nationaux soient assez bas (ils sont situés entre 4500 et 74 500 signatures), il sera difficile de les atteindre faute d’une attention adéquate de la part de citoyens d’au moins sept États membres. La création d’un espace public de discussion européen à travers les « espaces de discours transnationaux » (voir Knaut/Keller) serait un pas dans la bonne direction. Troisièmement, les partis européens sont interconnectés et disposent de leurs propres mouvements locaux : ces derniers pourraient être exploités dans le cadre des ICE, politisant et intensifiant de cette façon le débat européen. Vu sous cet angle, l’ICE pourrait bien fortifier la démocratie européenne.

Des problèmes techniques dus au grand intérêt

Comme il faut environ un an et demi pour qu’une initiative soit transposée dans une procédure législative ou bien enterrée par la Commission, il est encore trop tôt pour présenter des résultats définitifs. Au 1er mars 2013, 14 initiatives étaient en train de collecter les signatures, alors que huit s’étaient vues refuser l’enregistrement et que cinq autres avaient été retirées. Si l’on considère aussi les doubles enregistrements, un total de 23 comités organisateurs a tenté de constituer une initiative citoyenne européenne durant les onze derniers mois. De fait, le scepticisme de ceux qui voyaient dans la procédure d’enregistrement une sorte de frein préventif, gênant le recours à l’ICE, apparaît sans fondement.

Mais le chemin vers la collecte des signatures est tout de même semé d’embûches. Par exemple, les législateurs étaient d’avis que la collecte de signatures en ligne devait être possible. Cependant, les normes en matière de protection de données étaient si strictes que seul un comité a réussi à les respecter. Depuis le premier novembre 2012, toutes les autres initiatives se sont vu proposer par la Commission un serveur qui correspond aux normes. En raison des problèmes techniques, le délai de remise des signatures a été allongé, et certains comités organisateurs se sont enregistrés une deuxième fois afin de gagner du temps. Par conséquent, jusqu’à fin 2012, c’est plus la résolution de problèmes techniques qui a défrayé la chronique que les initiatives elles-mêmes.

Si l’on regarde les organisateurs des 14 initiatives enregistrées chez la Commission, il s’agit majoritairement de personnes liées à des organisations : en effet, la plupart des promoteurs sont constitués par des coalitions d’acteurs réunissant organisations nationales et transnationales. Par contre, malgré quelques déclarations d’intentions dispersées, les partis européens ne sont pas encore devenus le moteur de l’ICE.

En outre, les expériences de différentes initiatives montrent clairement que la base organisatrice joue un rôle très important. Si les promoteurs individuels ont de la peine capter de manière adéquate l’attention des médias, d’autres initiatives ont en revanche réussi à générer un débat politique. C’est le cas, par exemple, de l’initiative « right2water » qui au 25 février 2013, soit huit mois avant le dernier délai, avait déjà rassemblé 1,2 million de signatures et atteint le quorum national dans cinq États membres.

En plus de l’attention que lui ont témoignée les médias allemands fin 2012, l’initiative en question a été lancée à un moment opportun : la collecte des signatures se déroule en parallèle avec la procédure législative qui devrait amener à la directive communautaire sur l’attribution des contrats de concession, qui concerne également les appels d’offres du secteur de l’eau. L’initiative a réussi à lancer le débat au bon moment, c’est-à-dire après le vote de la Commission Marché intérieur et protection des consommateurs, mais avant le vote du Parlement en séance plénière et avant les négociations de compromis entre Commission, Parlement et Conseil. Le Bundesrat et le Bundestag allemands avaient eux aussi formulé des remarques, mais cela n’a eu aucune incidence sur le débat politique. Enfin, on débat de la politique européenne durant le processus législatif et non, comme si souvent, des années après la décision, lors de sa mise en œuvre.

Une simple question souvent mal interprétée

Le débat autour de la directive sur les contrats de concession n’est pourtant pas exempt de difficultés. L’approvisionnement en eau peut-il être privatisé ou non ? C’est une question assez simple, dont la tournure se prête excellemment bien à une politisation, mais on oublie souvent que, si elle n’est pas abordée par la proposition de directive européenne, elle n’est pas non plus le seul thème au centre de l’ICE en question. Toute personne soutenant l’initiative s’engage en effet aussi pour une politique de développement vouée à l’approvisionnement en eau et pour que les États membres aient l’obligation de garantir un système sanitaire de base à tous leurs citoyens.

Bien que les signataires soient vraisemblablement d’accord avec ces demandes, il faut remarquer que la réduction du débat sur la directive est quand même ambiguë, car ce n’est pas l’Union qui décidera de privatiser l’approvisionnement en eau, mais bien les services compétents de chaque État membre, par exemple les communes en Allemagne. Les règles fixées par la directive, y compris le devoir de lancer les appels d’offres au niveau européen, ne seront appliquées que dans le cas où les acteurs locaux auraient privatisé les services d’approvisionnement en eau ou qui en auraient l’intention. Cependant, on pourrait discuter du sens d’un appel d’offres européen, et la question du statut des services municipaux allemands, à savoir dans quelle mesure ils peuvent être considérés comme des entreprises privées et donc assujettis à la directive européenne. Réduire le débat à la seule question de « oui ou non à la privatisation », c’est rejeter la faute des mauvaises décisions prises par les communes allemandes ces dernières années sur l’UE uniquement, ce qui instrumentalise l’ICE et en fait une sorte de « blame shifting 2.0 ».

Si cette attitude faisait école, l’ICE pourrait en pâtir doublement. Les initiatives ne rallieront pas les citoyens à l’Europe, mais c’est n’est pas tout : elles pourraient les éloigner encore davantage de l’UE, dans elles véhiculeraient des « histoires de l’hyper-réglementation européenne ». Cependant, la Commission européenne dispose toujours de son droit d’initiative, et, si seules les initiatives qui la critiquent ont du succès, cette dernière ne se sentira certainement pas encouragée à renforcer le droit d’initiative citoyenne européenne. C’est pourquoi il faut veiller à ce qu’encore plus d’initiatives soient couronnées de succès, celles qui critiquent à juste titre la politique européenne et celles qui apportent leur soutien à l’Europe.

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