La « crise de l’euro », une invention anglo-saxone ?

, par Laurence Pellegrini

La « crise de l'euro », une invention anglo-saxone ?
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L’euro fête ses dix ans. Difficile pourtant de tirer un bilan de la monnaie européenne quand crises économique, financière ou encore budgétaire s’entremêlent. Pour les médias européens et internationaux, sans distinction partisane, la « crise de l’euro » revient tel un leitmotiv. Faut-il vraiment sauver la monnaie européenne ? Pour un des pères de l’euro, Valéry Giscard d’Estaing, il s’agirait d’une rumeur en provenance de la presse anglo-saxone, visant à déstabiliser le marché monétaire.

Si l’euro entrait dans une période de « crise monétaire », on assisterait à la conjonction de deux phénomènes : d’importantes variations de son taux de change, et une perte majeure de confiance des investisseurs, qui provoquerait la chute de sa valeur.

L’évolution du cours de l’euro depuis sa mise en circulation démontre au contraire son attrait croissant sur le marché monétaire international : alors qu’en 2002, la parité entre l’euro et le dollar était d’environ 0,95, cette valeur s’est inscrite continûment en hausse, pour atteindre aujourd’hui près de 1.33. En 2011, l’euro demeure au deuxième rang des monnaies les plus échangées sur le marché des devises, derrière le dollar qui reste la base de calcul des matières premières. Enfin, en une décennie, la parité euro-dollar est devenue une référence incontournable sur le marché des changes.

Paradoxalement, la position favorable de la monnaie européenne donne lieu à une pression spéculative sur sa valeur. En effet, la parité euro-dollar est ancrée dans l’économie de marché, c’est-à-dire que son cours suit la loi de l’offre et la demande. Or, la valeur élevée de la devise européenne laisse à penser que sa baisse est le scénario le plus crédible. Et en effet, au milieu de l’année 2010 et à la fin de l’année 2011, le Forex – le marché des changes des devises – a enregistré des pics de spéculation sur la baisse de l’euro, notamment de la part des Hedge Funds, des fonds d’investissement américains.

L’un de leurs plus éminents représentants, George Soros, à l’origine de la crise du système monétaire européen du début des années 1990, a par exemple parié sur l’alignement entre l’euro et le dollar. Dès lors, sachant que l’incertitude sur une monnaie entraîne presque systématiquement la baisse de sa valeur, on peut se demander si les déclarations de George Soros jugeant « inévitable l’éclatement de la zone euro », ou encore se demandant si l’ « euro a un avenir », peuvent être interprétées comme de la spéculation psychologique. Si la zone euro était réellement en danger, George Soros aurait-il racheté 2 milliards de dollars d’obligations européennes ?

Dans ce contexte, inscrire la dette de la Grèce, 32ème PIB mondial, à l’ordre du jour du dernier sommet international de Cannes, rajoute certainement à la confusion entre troubles économiques au sein de la zone euro et l’euro lui-même. Pourtant, comme le souligne Valéry Giscard d’Estaing, « bien que le grand État de la Californie soit déclaré en faillite, bien que l’endettement du Japon reste massif et supérieur à celui de la zone euro, nul ne se hasarde à annoncer la dislocation du dollar ou du yen ». Cette focalisation des médias sur l’Europe a pourtant détourné l’attention de l’origine des tensions économiques mondiales : la crise financière américaine.

Réformer la gouvernance économique

En réalité, le seul domaine européen où l’Union a véritablement abouti, la monnaie, peut être considéré comme un succès. En effet, pour les pères de l’euro, la monnaie européenne avait vocation, en temps de crise, à protéger les pays membres de fluctuations sauvages, et surtout, à ne plus dépendre strictement de la politique monétaire américaine. De même, affirmer que la Banque centrale européenne n’a pas joué son rôle dans la crise de la dette est un non sens historique et institutionnel. La condition sine qua non de la création d’une BCE était sa stricte indépendance comme garante de la stabilité des taux de change et de la politique anti-inflationniste. Les États étant souverains en matière budgétaire, ni l’Union européenne ni la Banque centrale européenne ne sont compétentes dans ce domaine.

La crise de la dette a toutefois mis à jour une défaillance dans la convergence économique, qui devait faire de la zone euro une zone monétaire optimale. En effet, la création d’une monnaie dans un premier temps devait être assortie, pour assurer sa stabilité, d’harmonisations économiques, notamment dans les domaines fiscaux et budgétaires. Or, leur dimension éminemment régalienne explique les hésitations des États à s’en remettre à l’Europe. Sans pour autant devoir déléguer ses compétences, les Européens disposaient des instruments nécessaires à une plus grande intégration économique dans le Pacte de stabilité de 1997, axé précisément sur la lutte contre les déficits publics excessifs. Le caractère non contraignant de cette mesure a alors entraîné son assouplissement, pour finir par ne plus la respecter.

Alors que les souverainistes s’indignent de voir toujours plus de compétences déléguées à l’Europe, les faits montrent que dans certains domaines économiques, comme la politique budgétaire, l’application du principe de subsidiarité, selon lequel « Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire », offrirait au contraire une plus grande dépendance aux États de la zone euro vis-à-vis du marché financier, en évitant ainsi les spéculations sur les dettes.

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  • Le 5 janvier 2012 à 18:25, par Giroud Bernard En réponse à : La « crise de l’euro », une invention anglo-saxone ?

    L’’objectif du roi dollar a toujours été de garder tout le poids de sa supériorité. La naissance de l’euro et son développement c’est : 1/ la tentative de la première économie du monde, de contrôler un peu mieux les revenus de ses échanges, avec ses partenaires mondiaux. 2/ Une plus grande facilité commerciale à l’intérieur de son périmètre. Nous avons assez bien réussi la première phase ; L’Euro a très vite pris ses marques vis-à-vis du dollar, pour assurer une meilleure stabilité monétaire de nos échanges. Cependant nous sommes bien obligés d’admettre aujourd’hui que les anciens pays, régions monétaires, ne se sont guère préoccupées du bon fonctionnement de la deuxième phase. Auparavant, dévaluer la monnaie revenait en fait à tirer une croix sur une partie du paiement dus au vendeur extérieur, et lançait l’augmentation des prix de la consommation intérieure pour tous ces produits achetés qui devenaient plus chers.. En somme un jeu constant sur les déséquilibres qui bon gré malgré rétablit la « carte d’identité actuelle économique » de chaque pays voisin, chaque protagoniste ; Ces manipulations, accidents, imprévisions, ressemblent plus à de l’anti jeu, et du cafouillage ; elles n’incitent pas à la coopération, mais à la zizanie.

    Aujourd’hui, faute d’avoir installé dans notre zone euro, un tableau de bord, une sorte de système de surveillance globale des entrée et des sorties de nos anciennes régions monétaires, cette carte d’identité est invisible. Personne n’est plus là pour estimer jusqu’ou nous pouvons aller les uns et les autres dans nos échanges. Le laisser faire s’arrange du maillon le plus faible pour ce qui lui est utile, peu importe l’incohérence, ou la casse qui en résulte dans le lieu de vie ou il intervient. Si l’on arrive à faire comprendre la notion d’anticipation et de prévision qu’un pouvoir central régulateur démocratique anime, nous ne sommes plus dans le même esprit ; Cela permet de préparer les solutions dans le cadre du groupe ; Sans rien enlever rien à la notion de compétitivité ou de concurrence, on canalise les positions qui risquent d’être des abus dominants. On y ajoute un principe de continuité et d’obligation de renouvellement ; En somme, un peu de bon sens : c’est mieux de penser à remplacer ce qu’on peut casser. Ainsi, on sauvegarde le « jouer collectif », et les atouts que cela entraine. Cette plus valu quantifiable permet, prudemment, à la confiance, cette valeur sure, à long terme de s’’établir. Notre participation à tous y gagne, pour longtemps !

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