La justice au Kosovo, EULEX racontée par Alberto Perduca

, par Traduit par Benoît Courtin, Alberto Miglio, Niccolò Castagno, Stefano Rossi

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La justice au Kosovo, EULEX racontée par Alberto Perduca

Alberto Perduca est un magistrat turinois qui, dans sa carrière, a occupé plusieurs fonctions de première importance dans l’administration de la justice en Europe et dans l’ex-Yougoslavie. Il a été membre de l’UCLAF (lutte anti fraude européenne) avant de devenir membre du bureau du Procureur du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie.

Lundi 8 décembre 2008, de Stefano Rossi, Alberto Miglio et Niccolò Castagno, traduit en français par Benoît Courtin

Après une brève parenthèse au Parquet de Turin, il retourne à Bruxelles pour travailler à l’OLAF, l’agence européenne anti-fraude. A partir de mars 2008, il est envoyé au Kosovo en tant que responsable de la justice de la mission EULEX, la mission d’assistance de l’Union Européenne. A Turin pour une conférence sur la coopération judiciaire pénale européenne, organisée par Eurobull.it, il nous a donné cette interview.

Monsieur Perduca, qu’est-ce que la mission EULEX ?

EULEX est une mission d’assistance à la mise en place des institutions du Kosovo et destinée à la création d’un État de droit. C’est une mission sous le règne de la loi (rule of law) qui a été décidée à l’unanimité par les 27 pays de l’Union Européenne. Dans le domaine de la justice, il y a 3 objectifs principaux : en premier lieu celui de fournir une assistance au ministère de la justice local à travers des consultations dans la rédaction de projets de loi en matière judiciaire. Ensuite, EULEX offre une assistance juridique aux magistrats kosovars et enfin, EULEX aide dans le secteur de la médecine légale puisqu’il y a encore 2000 personnes disparues, appartenant à toutes les ethnies présentes sur le territoire du Kosovo.

Vous avez beaucoup de personnel à disposition ? Nous avons 70 magistrats européens, juges et procureurs, qui travaillent dans différents tribunaux aux côtés de leurs collègues kosovars qui sont en tout et pour tout 400. Ils sont organisés par un Conseil Supérieur de la Magistrature qui a des pouvoirs étendus concernant soit la gestion, soit l’organisation.

… 70 magistrats européens aux côtés des 400 juges kosovars...

Dans ce pays, cependant, l’administration de la justice est victime d’un manque de formation dû à la guerre e à l’administration des Nations Unies : dans les années 1990, les institutions justement prévues pour la formation des magistrats sont venues à manquer. Les limites de la formation des magistrats kosovars sont une des conséquences du combat ethnique : dans les années 1990, les Kosovars de l’ethnie albanaise ont été exclus du secteur public dont la magistrature fait partie. Il est même arrivé qu’une éthnie décide de retirer ses enfants des écoles. Cette réalité devra s’estomper dans le temps.

Quelles sont les autres compétences de la mission ? En plus de la fonction d’assistance, les magistrats EULEX ont aussi une compétence exclusive pour certaines infractions graves comme les crimes de guerre, le terrorisme ou la criminalité financière. Enfin, nous avons quelques fonctionnaires qui travaillent dans les centres de détention provisoire. Quels sont les problèmes que vous rencontrez et ressentez-vous des difficultés liées à la situation politique ? La situation est très compliquée. Il y a un problème de fond qui est celui de la légitimité de l’Etat Kosovo. La Roumanie, la Slovaquie, l’Espagne, Chypre et la Grèce n’ont pas reconnus l’indépendance du Kosovo pour différentes raisons de politique interne. Il est pour l’instant difficile de répondre à la question de savoir s’il y a un contrôle effectif du territoire de la part du nouvel Etat. Les institutions sont là, mais c’est en grande partie dû à la présence sur le territoire de missions internationales. Mais nous partons du principe que l’approbation de la mission EULEX provient des 27 Etats Membres de l’Union Européenne. L’assistance au développement poursuit ici le double objectif de stabilisation et d’intégration de la région des Balkans. Mais il reste que le fait que les pouvoirs des magistrats EULEX se fondent sur deux lois émanant de Pristina. S’il n’y a pas d’effectivité, ces lois n’ont aucune valeur. Donc la situation est encore ambigüe. Au Kosovo, il y avait et il y a toujours une mission des Nations Unies , dans quel cadre intervient la nouvelle mission européenne ? Les Nations Unies avaient institué deux missions en 1999 : une civile sous le contrôle de l’ONU et une militaire, sous l’égide de l’OTAN. La mission civile devait administrer la justice, et aurait dû laisser le travail à la mission EULEX. … la situation est très tendue, mais on ne peut plus se permettre d’ attendre encore... Les choses ne se sont malheureusement pas passées ainsi. La Russie a soutenu qu’il fallait une nouvelle résolution du Conseil de Sécurité abrogeant celle de 1999. Chaque autre proposition aurait été refusée par la Russie. On a donc cherché une solution de compromis. En pratique, on a essayé de reconfigurer la mission en maintenant une présence symbolique. La Serbie et la Russie ont encore refusé. Ils veulent que soit maintenu le contrôle des Nations Unies sur la mission EULEX parce qu’elle garantit l’application de la résolution de l’ONU dans laquelle il est écrit que le Kosovo est une région de la Serbie. Pour l’instant la présence des Nations Unies rassurent beaucoup Moscou et Belgrade. Qu’y a-t-il à faire maintenant au Kosovo et que fera EULEX ? Nous sommes arrivés au Kosovo en mars. Les premiers mois ont servis à organiser un système judiciaire. Ce qui manque maintenant, c’est la stabilisation de la situation juridique et politique. Il faut désormais commencer à travailler mais cela pourrait compromettre les rapports avec Pristina et on risque de faire émerger des tendances radicales. La situation est très tendue, y compris sur le terrain de l’ordre public, mais on ne peut plus se permettre d’attendre encore.

Vos commentaires
  • Le 18 janvier 2009 à 06:59, par Martina Latina En réponse à : La justice au Kosovo, EULEX racontée par Alberto Perduca

    Sur ce front de paix et non de guerre, comme sur tant d’autres qui incombent directement à l’Union Européenne, vous avez raison, auteur et traducteurs de cet article : « on ne peut plus se permettre d’attendre encore ». Mais comment faire au mieux pour le bien commun dont nous sommes tous participants en tant qu’EUROCITOYENS ?

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