Personnalité

La pensée européenne de Raymond Barre (1ère partie)

Sur la période 1950 - 1988

, par Michel Pierpaoli

La pensée européenne de Raymond Barre (1ère partie)

Le Taurillon rend hommage à Raymond Barre, homme politique français décédé ce samedi 25 août 2007. Nous utilisons à cette triste occasion une partie du travail de Michel Pierpaoli, membre des Jeunes Européens France, qui avait fait un mémoire sur « La Pensée européenne de Raymond Barre » sur la période allant de 1950 à 1988. Celle-ci pouvait s’articuler sur six thèmes principaux.

1 - La nécessité d’une Europe unie après la guerre

Le premier thème de la pensée européenne de Raymond Barre concerne sa conviction profonde de la nécessité de la construction européenne. Née avant tout du besoin de préserver la paix entre les nations européennes, cette dernière doit permettre aux pays européens d’affronter un monde nouveau. Un monde dominé par des « Etats continents » puissants, fortement peuplés ; un monde caractérisé par l’augmentation importante des nations qui le compose à la suite de la décolonisation et par l’accès des pays en développement aux nouvelles technologies. La concurrence internationale est donc toujours plus importante et va s’amplifier davantage.

Pour faire face les Européens n’ont pas d’autre choix que de s’unir sous peine d’être marginalisés. La constitution d’un Marché commun est la condition nécessaire à l’adaptation des entreprises européennes aux nouvelles conditions économiques internationales. Dans le monde de l’après Seconde Guerre Mondiale, les pays européens ont également perdu leur prépondérance et leur influence sur la scène mondiale face aux deux superpuissances que sont les Etats-Unis et l’URSS.

En somme chaque pays européens, aussi puissant soit-il, n’a plus, dans la seconde moitié du vingtième siècle, les moyens de survivre seul. La construction européenne doit donc permettre aux Etats européens de conserver leur indépendance autant sur le plan économique que politique.

2 - La foi dans une civilisation européenne commune

Si Raymond Barre considère cette construction comme possible c’est du fait de l’existence d’une civilisation commune entre les pays européens. Il existe, selon lui, une véritable identité culturelle européenne basée sur des valeurs partagées.

L’humanisme européen s’incarne dans la défense de la liberté et le respect de la personne humaine.

Des valeurs encore trop peu appliquées dans le monde et que les pays européens défendront d’autant mieux qu’ils seront unifiés. Cette réalité européenne s’étend à tous les pays d’Europe occidentale, mais également aux pays d’Europe de l’Est assujettis à la domination soviétique. C’est l’ensemble de cette Europe que Raymond Barre souhaite voir participer à la construction européenne. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il appelle presque systématiquement les pays qui ne font pas parti de la CEE à participer à certains des programmes communautaires, comme si toutes les occasions étaient bonnes pour jeter des ponts entre la Communauté et les autres pays européens et ainsi resserrer toujours plus leurs liens. C’est le cas des programmes Esprit, Brite et Race auxquels il appelle les pays d’Europe occidentale à participer, ou encore celui du programme Erasme qu’il propose d’étendre aux étudiants des pays de l’Est.

L’Europe a donc bien, vis-à-vis du reste du monde, une identité particulière qui doit lui permettre de réaliser l’unification nécessaire à la survie des nations qui la composent.

3 - La mise en place d’une logique économique commune à l’ensemble des pays de la Communauté

Le troisième thème de la pensée européenne de Raymond Barre, et sans aucun doute le plus important, concerne l’union économique et monétaire. L’unification européenne a commencé sur le plan économique.

Le traité de Rome aboutit à la suppression des droits de douanes entre les six pays de la Communauté et à la mise en place d’une union douanière. Pour Raymond Barre, Vice-président de la Commission des Communautés européennes depuis 1967, la dynamique qui découle du traité de Rome, doit conduire à la mise en place d’une union économique et monétaire. La conjugaison de cette certitude avec les événements économiques historiques de cette période, qui aboutissent à la fin du système monétaire international de Bretton Woods en 1973, le conduis à mener, tout au long de son mandat, un combat opiniâtre en faveur de l’instauration de mécanismes qui puissent, à terme, conduirent à l’instauration, au sein de la Communauté, d’une indispensable union économique et monétaire.

Une fois Premier ministre, en 1976, il poursuit sans discontinuer une politique de stabilité et de lutte contre l’inflation qui permet de renforcer le franc et d’aboutir finalement à la réalisation du Système monétaire européen en 1979. Avec la mise en place de ce système, la logique économique qu’il a défendue depuis son mandat à Bruxelles s’impose à l’ensemble des pays de la Communauté et en premier lieu à la France.

C’est à n’en pas douter la grande contribution qu’a apporté Raymond Barre à l’édifice européen. Il est l’auteur du mémorandum de la Commission du 12 février 1969, celui qui a lancé le débat de l’union économique et monétaire. C’est la raison pour laquelle il peut être considéré comme le « père symbolique » de cette union aujourd’hui réalisée. Il dira lui-même à l’auteur, à propos de la mise en place de l’euro : « ça a été le couronnement ! J’ai lancé l’affaire en 1969, en 1999 l’euro a été installé. C’était évidemment pour moi une grande satisfaction ».

4 - Un Marché commun au bénéfice de chaque Nation

L’importance qu’occupe son implication dans les affaires monétaires ne doit pas faire oublier ses prises de positions en ce qui concerne le reste de l’acquis communautaire et des projets d’approfondissement.

Au sujet de la PAC, il a, dès le départ, affirmé toute son importance, mais également les nombreux défauts dont elle était victime. Il ne l’a jamais stigmatisé comme étant un gouffre financier, mais a néanmoins toujours réclamé une réforme de celle-ci. Il se déclare très rapidement en faveur d’une politique industrielle commune, d’une politique des structures, du développement, des transports, de l’énergie, de la recherche et de la technologie, et de la culture.

Ce qui peut paraître dans un premier temps étonnant, c’est la facilité et l’évidence avec laquelle il propose ces nouvelles politiques communes. Mais si l’on y regarde plus attentivement, le Marché commun étant une réalité et la PAC prouvant que des politiques communes sont possibles alors pourquoi ne pas étendre le champs de ces dernières ? Le Marché commun entraîne de manière irrémédiable les pays de la Communauté vers le besoin de toujours plus coordonner l’ensemble de leurs politiques.

A vrai dire, de telles avancées ne peuvent que gêner ceux pour qui la Communauté doit rester une zone de libre échange, ou ceux qui sont à l’affût de la moindre perte de souveraineté nationale.

Mais Raymond Barre n’est pas de ceux là, il est dès le départ profondément convaincu de la nécessité de construire l’Europe. La mise en place du Marché commun est en profond accord avec ses convictions économiques et elle est à ses yeux une formidable opération, qui ouvre la porte à toutes les avancées en termes économiques et autres. Il est certes très attaché au fait national, mais une Europe plus forte signifie pour lui une France plus forte. C’est la raison pour laquelle il est favorable à toutes les coopérations possibles, capables de recouvrir le plus grand nombre de domaines, afin de renforcer toujours davantage la cohésion des pays de la Communauté et de celle des autres pays européens.

5 - Construire l’Europe sur la base des Etats Nations

Pour ce qui est du cinquième thème de la pensée européenne de Raymond Barre, il concerne les institutions communautaires.

Sur ce point, il ne fait aucun doute que pour lui ces institutions sont indispensables. Il est contre la doctrine du « laissez faire, laissez passer » et le Marché commun, comme le reste des politiques communes, ne saurait être géré autrement que par des institutions communautaires.

Il est clair, pour lui, que la Communauté n’a jamais voulu se limiter à une simple zone de libre échange. Elle est une œuvre en perpétuelle devenir qui est une indiscutable réussite, car elle observe une stricte égalité entre les Etats membres. Ceux-ci partagent ensemble le même idéal qui est celui de la foi dans le destin d’une Europe unie. Cette Europe doit se construire sur la base des Etats nation qui sont le cœur de la construction européenne. Elle doit respecter leurs particularités et ne pas chercher au contraire à les éliminer. L’Europe ne doit en aucun cas se construire contre l’Etat nation même si les nations ne sont peut-être pas le stade final de l’évolution humaine. C’est la raison pour laquelle, jusqu’au bout, il défend le compromis de Luxembourg qui permet à un Etat de s’opposer à l’application d’une politique quelconque s’il juge que ses intérêts vitaux sont en danger. C’est pour Raymond Barre l’esprit nécessaire qui doit animer une communauté. En aucun cas un de ses membres ne doit être forcé de suivre les autres. La Communauté perdrait sa raison d’être. Elle doit plutôt être le fruit du consensus qui se dégage de la volonté de chacun d’aboutir à une position commune.

Le système institutionnel lui apparaît donc comme original du fait de la conjonction d’un organe de proposition indépendant – la Commission – et d’un organe de décision qui tient compte de l’ensemble des avis de ses membres – le Conseil. La mise en place du suffrage universel pour le Parlement Européen est également une bonne initiative qui permettra de rapprocher la Communauté des citoyens et de faire peser la voie des peuples contre celle des Etats. Il regrettera néanmoins que celui-ci n’est pas acquis l’influence escomptée et dénoncera sa propension à voter des budgets trop importants. En somme la construction européenne doit aboutir à la mise en place d’un ensemble cohérent et efficace sur le plan économique et politique. L’Europe que souhaite Raymond Barre n’est ni fédérale, ni supranationale, mais prend la forme d’une confédération d’Etats.

6 - Faire l’Europe au-delà de l’intérêt propre des pays européens

Enfin si l’Europe doit devenir une réalité politique c’est en raison du rôle que celle-ci doit jouer dans le monde.

Un rôle d’équilibre au sein du système monétaire international ainsi que dans le conflit implicite que mènent entre eux les Etats-Unis et l’URSS. Faire de l’Europe une zone de stabilité monétaire n’est pas seulement dans l’intérêt des pays européens. Il participe à rééquilibrer l’ensemble du système monétaire international ce qui implique que l’ensemble des autres nations en bénéficient indirectement. De plus, par les mécanismes mis en place et les bénéfices retirés de la mise en place d’une union économique et monétaire au sein de la Communauté, l’Europe peut ainsi donner l’exemple pour un futur système monétaire international. Sur le plan militaire, l’Europe se doit également de devenir une entité efficace et cohérente.

D’une part pour supporter sa juste part du fardeau vis-à-vis de son partenaire américain, mais également pour rester crédible face à la menace soviétique. Le but et que les pays européens ne soit pas vassalisés au sein de l’Alliance atlantique et cessent d’être un enjeu entre les deux grandes puissances. L’Europe se doit d’être indépendante et forte pour apporter sa juste contribution à la paix, sans pour autant sortir de l’Alliance. Cette Europe forte de son expérience ne doit pas recommencer les erreurs du passé et se refermer sur elle-même. Elle doit rester ouverte sur le reste du monde et y apporter sa générosité dans un souci de solidarité humaine.

Illustration : Raymond Barre lors de la remise du premier prix paneuropéen franco-allemand pour l’unification européenne fondé à l’occasion du 40ème anniversaire du Traité de l’Elysée à Raymond Barre et Otto von Habsburg, source : site du PPE

Pour un portrait de Raymond Barre : Politique.net

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