Une telle proposition a provoqué la surprise et l’incompréhension (par exemple l’avis du Bureau national des jeunes européens qui qualifie cette proposition d’électoraliste dans le Taurillon). La presse européenne apparaît quant à elle « dubitative » (formule publiée dans le Parisien) et « l’Europe est perplexe » (formule tirée du Figaro).
Pourtant, cette proposition n’est pas nouvelle. La controverse est même déjà ancienne (le ministre de l’Intérieur avait menacé déjà l’année dernière de réimposer unilatéralement des contrôles aux frontières). Elle s’inscrit dans un processus de méfiance grandissante des États les uns par rapport aux autres.
Une telle proposition vise à réaffirmer la voix de la France sur la scène européenne, à aiguillonner les négociations actuelles et à stimuler l’action en vue de lutter contre l’immigration clandestine. Néanmoins, elle présente un ensemble d’inconvénients majeurs :
- le coût d’une telle mesure (rétablir des contrôles durables nécessite une réorganisation des services de douanes et de police aux frontières, ainsi que la reconstruction des postes frontières... alors que ceux-ci ont été démantelés (par exemple sur l’autoroute A27) ou sont en voie de l’être (sur l’A22) ;
- l’effet aléatoire de l’efficacité d’une telle mesure eu égard à une immigration clandestine mobile et fluide, le cas échéant aux mains de réseaux de passeurs sachant exploiter les failles du dispositif mis en place ;
- les entraves économiques générés (files et temps d’attente aux frontières), ce que d’ailleurs l’Allemagne n’a pas manqué de mettre en évidence.
- la dégradation des relations entre la France et ses voisins immédiats qui seraient amenés à subir une mesure unilatérale ;
- et surtout le coût liés à la violation des traités.
C’est ce dernier point que le chercheur Yves Pascouau interviewé sur RFI a mis en évidence. Il évoque les dangers d’une telle position : son caractère illégal face au droit actuel avec, à la clé, un risque d’amende infligé par la Cour de justice.
Une proposition à inscrire dans le cadre de la campagne
Cependant, comme le souligne le Professeur Jean-Yves Carlier, enseignant à l’Université catholique de Louvain, le discours relatif à un rétablissement unilatéral des contrôle est assez radical certes, mais il doit se comprendre dans le contexte de la campagne présidentielle. C’est d’ailleurs l’avis de Jean Quatremer pour qui il s’agit avant tout d’une gesticulation médiatique.
Cela étant dit, il faut souligner qu’une telle position affaiblit la France. Elle apparaît contreproductive pour reprendre le terme d’un article publié dans Euractiv :
- elle met en péril l’existence une solution collective face à un problème collectif ;
- elle hypothèque la création d’un projet d’un « gouvernement Schengen » qui se met en place dans le sillage de la résolution du Conseil de mars sur la gouvernance Schengen, gouvernement que la proposition présidentielle appelle précisément de ses vœux ;
- elle isole la France de ses partenaires. Cette solution avancée par le président-candidat ne rencontre pas l’adhésion des autres États membres ;
- elle met le cas échéant, en danger la position diplomatique (et même économique) de la France. La gouvernement français imposerait un ultimatum à l’encontre de pays qui manqueront pas, à leur tour, d’user, d’un moyen ou d’un autre, de mesures de rétorsion ;
- enfin et surtout, elle diffuse l’idée que les obligations européennes issues des traités n’ont pas la force contraignante qu’elles ont sur le papier. L’obligation de loyauté inscrite dans le traité de l’Union européenne est battue en brèche et par dessus tout, une telle proposition, si elle est mise en œuvre, constitue un précédent pour tout pays de l’Union qui souhaiterait se délier de ses engagements en imposant une épreuve de force sur un dossier dont il considère qu’il est d’importance majeure.
Reste qu’il existe en réalité une voie légale. Il y a un mécanisme, celui du compromis dit d’Ioannina permettant à un État qui considère que ses intérêts sont en jeu de faire obstacle à l’adoption d’une décision européenne. Cette solution a été reprise mais modifiée par le traité de Lisbonne qui fait de ce mécanisme une « sonnette d’alarme » destinée à ce que les chefs d’État et de gouvernement abordent eux-mêmes la question. L’idée est qu’une proposition de texte qui pose problème à un État puisse être discuté au plus haut niveau. La France peut donc tout à fait utiliser, ou menacer d’avoir recours à ce mécanisme lors des discussions sur les textes relatifs à la gouvernance Schengen... à condition qu’elle trouve des alliés.
Précisons que ce signal d’alarme ne peut être actionné que pour les textes en cours. Il est vrai que ce qui pose problème à la France, c’est la situation juridique existante. Néanmoins, la France a intérêt à peser de tout son poids dans les discussions existantes (réforme du code frontières Schengen et du "SCH-EVAL", c’est-à-dire le mécanisme collectif d’évaluation aux frontières extérieures). Dans une Europe à 27, les intérêts nationaux sont défendus à force d’échange, de dialogue et de consensus, pas à coup d’ultimatum et de mesures unilatérales.
Enfin, finissons cette courte analyse par une petite anecdote : dans la première moitié des années 1990, une fois la convention d’application Schengen signée et ratifiée, les différents membres de la coopération faisaient en sorte que le dispositif soit enfin mis en vigueur. Des réunions ont eu lieu au cours desquelles le Directeur général de la police nationale (DGPN) de l’époque s’opposait obstinément à la levée des contrôles aux frontières intérieures. Tout cela se passait en 1994 et ce DGPN s’appelait ..... Claude Guéant.
Cette proposition de Nicolas Sarkozy a donc un goût de déjà vu, un arrière goût amère pour tout dire. L’histoire tousse donc, mais il ne faut pas que l’Europe prenne froid.
1. Le 17 mars 2012 à 19:20, par Berthelet En réponse à : Sarkozy-Schengen : l’histoire tousse mais il ne faut pas que l’Europe prenne froid
lisez mes amis .... c’est intéressant !
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