Ce parti a une histoire de bientôt 150 ans. Il a connu la quasi-interdiction sous le chancelier Bismarck (Sozialistengesetze 1878-1890), puis la montée en puissance jusqu’à la révolution de 1918/19, qui instaure la république en Allemagne ; il a eu sa part de pouvoir dans cette République de Weimar, il a subi la persécution sous Hitler ; il a été, après 1945, récupéré contre son gré par les communistes à l’est, alors qu’il renaît dans un cadre démocratique à l’ouest où il est devenu l’un de deux grands partis du système politique de la RFA.
Une défaite éclatante …après une campagne dépourvue d’alternative crédible
Les chanceliers Brandt et Schmidt étaient issus de ses rangs, et il a finalement réussi à détrôner Helmut Kohl en 1998, triomphalement guidé par Gerhard Schröder. Suivaient sept ans de gouvernement en coalition avec les Verts et puis quatre ans encore en grande coalition avec la CDU/CSU d’Angela Merkel, où l’équilibre entre les deux partenaires était basé sur l’égalité. Ensuite la catastrophe électorale de septembre 2009 : 23 % des votes exprimés, soit de loin le plus mauvais score depuis 1945. Si le parti en sort paralysé, il commence vite à en tirer des conséquences : alors que le candidat à la chancellerie, Frank-Walter Steinmeier, se sauve en revendiquant, le soir même de la défaite, le poste du leader parlementaire du parti, Franz Müntefering, président du parti, démissionne. Il est remplacé, de façon un peu surprenante, par Sigmar Gabriel qui est un peu à part des clivages gauche-droite au sein du parti. Andrea Nahles, personnage controversé de l’aile gauche du parti, devient secrétaire général.
Quoi qu’il en soit, quelques remaniements internes ne suffiront pas à remédier à la crise. Or, non seulement les 23 % ont choqué, mais aussi la manière dont les responsables ont géré l’absence quasi totale d’une vraie possibilité de battre la chancelière. En campagne électorale, on assistait aux affairements d’un parti qui briguait la chancellerie alors que tout observateur savait que son seul but réalisable ne pouvait être que la continuation de la grande coalition en partenaire junior. Pire, la SPD n’a pas réussi à démontrer en quoi consiste l’alternative proposée. Déchirée entre la nouvelle gauche Die Linke et la CDU/CSU social-démocratisée d’Angela Merkel, et malgré un « Plan pour l’Allemagne » lancé par le candidat Steinmeier, les électeurs n’ont retenu de la SPD guère plus que sa volonté de pouvoir, assez déplacée – la vieille stratégie de démonstration de testostérone et d’abnégation politique, héritage malheureux des années Schröder, l’homme politique alpha par excellence.
De l’abandon du fil conducteur historique ...
Or, pour comprendre la situation actuelle, il est pertinent de revenir au gouvernement du chancelier Schröder. Quelques mois après l’inauguration du nouveau gouvernement, en mars 1999, Oskar Lafontaine, ministre des Finances, président de la SPD, quitte son poste ministériel, ainsi que la présidence du parti et son mandat parlementaire … Si pendant les années suivantes la plupart des fonctionnaires et des membres sociaux-démocrates ont vécu cette démission comme une trahison ou tout du moins comme de la lâcheté, un vrai débat sur les raisons politiques de cette démission n’a pas eu lieu. Or, derrière la concurrence personnelle entre Schröder et Lafontaine se cachaient – plutôt mal que bien – des visions différentes de la politique sociale et économique. Alors que Lafontaine visait de politiques keynésiennes qui avaient comme but de revigorer la demande intérieure, en redistribuant des ressources financières vers les consommateurs, Schröder, le « camarade des patrons », favorisait une politique de l’offre qui soulagerait les entreprises d’une bonne partie de leurs charges. C’est la voie qui fut donc empruntée. L’économie allemande retrouvait ainsi son essor, notamment en s’appuyant sur l’exportation, mais les bénéfices en restaient largement restreints aux entrepreneurs et aux actionnaires ; les salaires stagnaient et l’écart entre riches et pauvres se creusait en profondeur.
Si cela paraît peu compatible avec la mission historique de la social-démocratie, à savoir la conciliation sociale de la société industrielle, puis post-industrielle, le comble n’a été atteint qu’après la reconduite de la coalition rouge-verte au pouvoir en 2002. Ce sont les réformes de l’Etat social connues sous les noms d’Agenda 2010 et de Hartz IV qui ont finalement déchiré la SPD. Elles ont provoqué par la suite la formation d’une forte concurrence à gauche (Die Linke) et elles présentaient encore en 2009 une plaie ouverte qui contrecarrait toute tentative de proposer une réelle alternative social-démocrate aux programmes de la CDU/CSU. Ces réformes ont en effet rompu avec une deuxième tradition social-démocrate essentielle : elles ont non seulement diminué les allocations des chômeurs et des démunis, mais elles les ont aussi infantilisés, en les plaçant sous une tutelle étroite des agences de l’Etat – l’humanisme et le respect de chacun et de son autodétermination, de sa responsabilité propre, s’en retrouvent gravement atteints.
…au néant ?
Si le système de sécurité sociale allemand était bel et bien en difficulté, ces solutions d’inspiration néo-libérale témoignent d’un problème préoccupant au sein de la social-démocratie allemande : un manque d’idées, d’esprit et de cerveaux adaptés aux exigences du présent. Durant les années Schröder et Müntefering régnait en effet un climat d’obéissance au leader plutôt qu’un climat de délibération collective dévouée à l’invention politique – troisième manque par rapport aux principes traditionnels … D’où un silence assourdissant quant aux nouvelles idées et aux nouveaux enjeux politiques : comme par exemple la communication mondialisée, les dangers écologiques ou le développement de l’Europe. Le parti semble endormi au vingtième siècle, dans une société industrielle qui à ce jour n’existe plus sous les mêmes formes, et dont les réponses habituelles ne sont plus appropriées au présent : l’innovation fait défaut. Reste à savoir s’il s’agit d’un coma dépassé ou si la princesse politique saurait encore être réveillée.
Y-a-t-il de l’espoir ?
Le prince charmant, serait-ce, contre toute attente, Sigmar Gabriel ? Les premiers auspices sont étonnamment favorables. Dans son discours de candidature en novembre 2009, Gabriel a su donner une vision claire mais ouverte de l’avenir de son parti, basée sur une analyse honnête et critique de l’état actuel. En dépit des protestations obligatoires, il s’agit d’une volte-face importante : plus de questions que de réponses, l’affiche d’une volonté de former une majorité autour d’un programme social-démocrate et non pas l’inverse, l’invitation de reprendre le rythme de ceux qui ne profitent pas des rapports de force dans la société … Apparaît même l’idée embryon d’un nouvel internationalisme de gauche, écologique et humain.
L’avenir de la SPD ne dépendra pourtant pas de son président seul. Il dépendra de la capacité du parti entier de s’adapter au présent tout en gardant en valeur les fils conducteurs historiques : l’innovation revigorante passera par la transcription, tellement en retard, des idéaux sociaux-démocrates au monde actuel, et par la relecture de ce même monde à travers la grille social-démocrate, étape intellectuelle non-négligeable. La nouvelle direction de la SPD et ses membres, assumeront-t-ils ce travail captivant ? En récompense, le parti pourrait regagner son statut de phare, non seulement en Allemagne, mais peut-être même en Europe : car il semble que face à ce défi, la SPD, dans son inertie, ou plutôt dans ses dérives d’hier encore, ne fait pas exception aux gauches en Europe.
Il s’agit donc de revitaliser un projet intellectuel et humain. Cette revitalisation doit passer par l’Europe, par l’écologie et par la politique mondialisée du XXI° siècle.
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