Cet encadrement juridique a donné lieu à des configurations bien particulières : alors que la France est riche de ses librairies et maisons d’édition parfois unipersonnelles, très nombreuses, spécialisées ou non, l’Angleterre a vu, depuis la suppression en 1995 du Net Book Agreement (accord interprofessionnel sur le prix unique du livre), ses structures indépendantes disparaître peu à peu face à des grandes surfaces culturelles qui bradent le livre (« Un acheté, un offert »). Dans ce paysage contrasté, on peut se demander comment est accueilli le livre électronique.
La peur de l’e-inconnu
Tout d’abord, comprenons par « livre numérique » tout fichier de texte numérisé. Les formats peuvent varier (ePub, PDF principalement) et sont lus par des « liseuses », ou Readers : par exemple le Kindle d’Amazon ou le Sony Reader, ou encore par des tablettes, dont l’iPad est l’exemple le plus connu, non dédiées exclusivement à la lecture mais qui peuvent supporter ces fichiers. Pour accéder au livre numérique, le lecteur européen se heurte ainsi à un premier obstacle : le choix de la liseuse. Par exemple, le Kindle a été longtemps disponible uniquement en anglais (depuis janvier 2010 il l’est également en français et allemand). Il faut des liseuses capables de lire les caractères cyrilliques et autres caractères particuliers : pour cela, il vaut mieux se tourner vers le constructeur Pocketbook qui propose un outil disponible en soixante langues.
Pour l’instant, les pays européens se sont adaptés à leur manière à l’arrivée du numérique : alors que la France tente de lutter contre le dangereux numérique, qui est source de menace, dans l’esprit de beaucoup d’éditeurs, car il tend à remettre en cause le droit d’auteur, sacré en France depuis les combats de Beaumarchais au XVIIIe siècle, l’Angleterre est déjà bien en pointe, avec une économie du livre numérique assez dynamique – un exemple à suivre pour les autres ? À ce titre, la Commission européenne pourrait avoir un rôle à jouer dans peu de temps, avec la nomination à venir d’un commissaire en charge du Livre numérique, qui aurait pour mission de donner un cadre légal à l’ensemble, via une TVA réduite. En France par exemple, la TVA sur le livre existe, fixée à 5,5%, mais sur le livre numérique est encore à 19,6%, le législateur ne le considérant pas comme un livre. D’après Hervé Bienvault, consultant indépendant sur l’édition numérique, « on en attend un consensus européen fort » même si « ça bouge doucement ». À ce sujet, à l’Assemblée nationale, une loi sera discutée le 4 octobre. Est-ce à dire que Bruxelles aura vraiment un poids sur le marché du livre numérique ? Peut-être, notamment sur le prix unique du livre, fameuse rengaine en France mais qui sonnerait bien faux au-delà des frontières. Cette loi protège un grand nombre d’éditeurs et de libraires, et permet que la France soit doté d’un aussi fort maillage en librairies indépendantes, généralistes ou spécialisées. En Grande-Bretagne, où la loi sur le prix unique a été abolie en 1995, on ne trouve quasiment plus que des grandes surfaces culturelles qui bradent le prix du livre autant que n’importe quel autre produit.
« Ce vieux rêve d’un accès immédiat aux trésors de notre patrimoine culturel »
« Les éditeurs veulent rester maîtres de leurs prix », affirme Hervé Bienvault, mais François Bon, écrivain et créateur de Publie.net, coopérative numérique d’auteurs contemporains, pense au contraire que « Le Prix unique du livre numérique est simplement croupion, parce que décalqué du système basé sur le transfert de propriété d’un objet matériel, le livre – tandis que les usages neufs de la lecture numérique créent d’autres écosystèmes, par abonnement à un catalogue et non lecture titre à titre, par accès à distance depuis carte de bibliothèque d’un établissement public, par économie de la contribution, etc. ».
Bien sûr, il reste les géants contre qui s’imposer : Google, Amazon… (et Adobe, à qui on verse encore des DRM, verrous de fichiers numériques, dans certains cas). Les éditeurs traditionnels savent se défendre eux-mêmes, en procès contre Google depuis de nombreuses années, des lecteurs autres que le Kindle voient le jour, des plateformes de diffusion – distribution du livre émergent, alternatives, intéressantes, encore parfois un peu insuffisantes. Et le prix : peut-on vraiment faire payer un fichier numérique aussi cher qu’un livre papier ?
Alors donc, que pourrait faire la Commission ? Légiférer sur la TVA d’un point de vue européen et quasiment impossible : déjà, sur le papier, les pays ont des lois allant de 0% (Angleterre) à 25% (Danemark), alors comment gérer le numérique ? … Encore une fois, on considère que le numérique doit être mis en parallèle de son cousin papier alors qu’il s’agit bel et bien d’innovation.
Le rôle de l’Union, dans ce cas, serait principalement de permettre à tous les citoyens l’accès au numérique, ou, comme le souligne Michel Barnier, dans une interview accordée au Monde en juillet 2010, de penser différemment les droits d’auteur : « Comme dans le passé, il revient d’abord aux producteurs, aux créateurs et aux acteurs des services en ligne d’aboutir à des accords qui s’adaptent à l’environnement numérique. » Retenons surtout les différents projets de bibliothèques numériques, comme Europeana, pour atteindre le patrimoine littéraire européen « en un seul clic », ce « vieux rêve d’un accès immédiat aux trésors de notre patrimoine culturel, auparavant enfouis dans des myriades de bibliothèques ».
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