Le péché originel de l’intégration européenne

, par Guido Montani

Le péché originel de l'intégration européenne
Graffiti, d’après « Le fils de l’homme » de René Magritte, 1964

Dans ses Mémoires, Jean Monnet rappelle que le projet de Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) fut gardé secret jusqu’à la dernière minute, parce que Schuman et Adenauer craignaient les réactions négatives au sein des bureaucraties nationales et des partis politiques.

La Déclaration Schuman du 9 mai 1950 arriva par surprise dans la politique européenne. Le secret était une condition nécessaire pour le succès du projet. Après le fait accompli, il était facile de demander à d’autres pays de rejoindre le groupe franco-allemand et de résister aux tentatives du Royaume uni de diluer le contenu politique du projet.

La CECA n’était pas conçue comme une organisation internationale, mais comme l’embryon d’un Etat fédéral, avec un organe démocratique, l’Assemblée commune, constituée provisoirement de représentants élus au sein des Parlements nationaux, jusqu’à son élection au suffrage universel. Jean Monnet, premier Président de la Haute autorité (aujourd’hui la Commission), déclara dans son premier discours à l’Assemblée : « L’Assemblée européenne est investie d’un pouvoir souverain... Toutes les institutions peuvent être modifiées ou améliorées par l’expérience. Ce qui ne sera jamais contesté, c’est qu’il s’agit d’institutions supranationales et, disons le mot, fédérales. Ce sont des institutions qui, dans les limites de leurs compétences, sont souveraines ». Même au Conseil, si l’on exclue des sujets exceptionnels, la règle de l’unanimité fut abandonnée. En vérité, ce que l’on nomme aujourd’hui, à Bruxelles et Strasbourg, la méthode communautaire, c’est la méthode fédérale, « disons le mot ».

Les circonstances et les conditions historiques sont ce qu’elles sont. Sans le dispositif ingénieux et l’initiative audacieuse de Jean Monnet, il est difficile d’imaginer comment une institution supranationale aurait pu être mise sur pied dans l’Europe de 1950. Mais, très vite, quand les Six furent confrontés au problème d’une défense commune, la CECA s’avéra inadéquate. Le gouvernement français proposa une Communauté européenne de défense (CED), c’est à dire une armée européenne. Aussitôt, Altiero Spinelli et les fédéralistes comprirent qu’une armée européenne devait être confiée à une Communauté politique, démocratiquement légitimée par une Assemblée constituante.

L’histoire de l’Assemblée ad hoc et l’échec de la CED, en 1954, sont bien connus. Nous voulons seulement, ici, insister sur le fait que les fédéralistes firent la première tentative de placer les institutions européennes sous des lois démocratiques. De plus, sans délai, après l’échec de la CED, les fédéralistes essayèrent à nouveau de construire une Europe démocratique en faisant campagne pour le Congrès du peuple européen, une sorte de Parlement européen directement élu, dont l’objectif principal était de revendiquer une Assemble constituante européenne. Mais cette tentative échoua aussi.

Le manque de légitimité des institutions supranationales européennes eut des conséquences négatives sur leur avenir. Quand, dans les années soixante, le Président de la Commission, Walter Hallstein, proposa de compléter la réforme de la Communauté par l’institution d’un budget de la Communauté et du vote à la majorité au Conseil, le Président de Gaulle rejeta violemment les propositions de la Commission : elles furent considérées comme une attaque contre la souveraineté nationale. La France ne pourrait jamais accepter d’être battue aux voix.

En 1966, à Luxembourg, la France obtint la préservation du droit de veto quand un intérêt majeur d’un des Etats membres était en jeu. Depuis lors, l’unanimité et non plus la majorité, devint la règle dans la prise de décision au Conseil. On peut lire l’histoire de l’intégration européenne comme la lutte entre le principe supranational et le principe de la souveraineté nationale. Après de Gaulle, l’Europe avança dans de nombreux domaines importants tels que le Marché unique et l’Union monétaire. Ces avancées furent accompagnées de réformes institutionnelles comme l’élection directe du Parlement européen en 1979 qui fut considérée comme une réalisation fédéraliste majeure.

Le Parlement européen élu, considéré au début uniquement comme un organe consultatif, fut capable d’acquérir des pouvoirs significatifs. Aujourd’hui, avec le traité de Lisbonne, il co-légifère avec le Conseil dans de nombreux domaines. Dans ce cas, on peut dire que la méthode communautaire (ou fédéraliste) a été adoptée : le Conseil et le Parlement légifèrent sur la base de la règle de la majorité ; la Commission européenne exécute et la Cour européenne de justice supervise la mise en oeuvre des lois européennes. Le vrai problème c’est que dans des domaines importants tels que la politique extérieure et de sécurité et le niveau du budget européen, le pouvoir reste dans les mains des gouvernements nationaux.

Par conséquent, une Europe intergouvernementale coexiste avec une Europe fédérale. Il n’est pas étonnant que les citoyens européens ne comprennent pas le fonctionnement de l’UE.

Sans le soutien des citoyens, l’UE est faible et incapable d’agir efficacement. Après la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide, l’Europe fut confrontée à des défis nouveaux : l’instabilité du marché mondial, le terrorisme international, la prolifération nucléaire, la migration, le changement climatique et la compétition croissante des économies émergentes comme la Chine, l’Inde et le Brésil. L’ordre international ancien, construit par les Etats-Unis après la seconde guerre mondiale est sous tension et un effondrement mondial est devenu possible, comme la crise financière de 2008 l’a montré.

L’incapacité de l’Europe à faire face aux défis mondiaux se reflète dans le débat sur le déclin de l’Europe. Mais le déclin de l’Europe n’est pas une fatalité. L’Europe, par son histoire et les valeurs ancrées dans sa culture est capable, non seulement de résoudre ses problèmes, mais aussi de contribuer au progrès de l’humanité en montrant la voie vers un nouvel ordre mondial démocratique. Si les hommes politiques nationaux ne sont pas capables d’offrir un avenir à l’Europe, les citoyens et la société civile peuvent montrer la voie.

Vos commentaires
  • Le 20 septembre 2011 à 13:21, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Le péché originel de l’intégration européenne

    Merci à Guido pour cette mise en contexte des difficultés actuelles de l’Union européenne. Toutefois le début de l’article prête à confusion. Le péché originel n’est en effet pas que le contenu de l’annonce ait été gardé secret, ce qui finalement n’est guère qu’une technique de communication où l’on garde sous embargo des informations afin de mieux en maîtriser la diffusion, mais bel est bien que de cet Appel et de cette CECA, les dirigeants européens n’ont pas sur tirer les conséquences et aient optés pour un système à dominante intergouvernemental alors que depuis soixante ans il a pu être constaté à de nombreuses reprises que seul les mécanismes de nature fédérale permettent à l’Europe d’accomplir quoi que ce soit.

    Comme le soulignait ailleurs notre camarade Emmanuel, dans le contexte de la construction européenne, le fédéralisme signifie tout simplement la démocratie. Pour exister l’Europe doit avoir du pouvoir, un pouvoir distinct des pouvoirs nationaux, et le pouvoir ne peut exister que s’il est fondé sur des institutions démocratiques. Le refus de nos dirigeants de se soumettre à ces évidences est la cause de la crise actuelle, tout comme elle est la cause d’une montée croissante de l’euroscepticisme dans les populations. Si le projet européen se résume au machin intergouvernemental impuissante et adémocratique de l’Europe merkozyste, il est bien naturel se d’en défier.

    Les vrais eurosceptiques ont été, depuis les débuts de la construction communautaire bancale que nous avons vécus, non pas les nationalistes réactionnaires mais les fédéralistes désireux de voir l’Europe se doter des moyens d’exister et de progresser.

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