Marie Castelli : Votre engagement politique s’est fait dans la lignée de votre engagement syndical. Cela a-t-il une incidence sur votre action d’eurodéputé ? Prêtez-vous une oreille plus attentive aux syndicats qu’aux autres représentants d’intérêts qui entrent en contact avec vous ?
Françoise Castex : J’ai coutume de dire que je suis entrée dans la vie politique par le biais de mon engagement syndical et par le militantisme associatif au service de l’Education populaire et des Droits de l’Homme. J’ai par exemple été Secrétaire Générale adjointe du Syndicat de l’Education Populaire de 1990 à 1998 et Présidente départementale de la Ligue des droits de l’Homme du Gers de 1992 à 1998. Cet engagement militant a profondément marqué ma vie personnelle et professionnelle. De par mon histoire, j’entretiens en effet un lien particulier avec les syndicats et les groupes dont je partage les valeurs. Cependant, mon rôle est de recevoir et d’écouter des arguments divers qui participent à ma réflexion et à la prise de décision. En effet, dans la mesure où je représente les citoyens européens, je considère que je dois prêter la même attention à tous les représentants que je reçois.
Marie Castelli : Considérez-vous la présence active des groupes d’intérêt dans l’arène européenne comme un atout ou comme une menace dans le processus d’élaboration des politiques publiques européennes ?
Françoise Castex : Je ne considère pas que la présence des groupes d’intérêt soit une menace pour l’élaboration des politiques publiques européennes car les députés ne sont pas les marionnettes des lobbyistes. Même si la consultation de divers intérêts est très importante pour la prise de décision, au moment du vote c’est « l’intime conviction » du député qui l’emporte.
Ces groupes peuvent dans une certaine mesure être considérés comme un atout car ils sont une source d’information précieuse sur des sujets souvent techniques. Je suis par exemple shadow rapporteur pour un texte sur le renforcement de la propriété intellectuelle sur le marché intérieur. Sur un tel sujet, où les intérêts et les positions sont extrêmement variés et clivés, il est essentiel de pouvoir s’entretenir avec des interlocuteurs des différents secteurs pour pouvoir légiférer en ayant la vision la plus complète possible de la situation. Malgré tout, chacun doit tenir son rôle et ce sont bien les députés qui légifèrent. L’évolution de la pratique du lobbying a conduit à un renforcement de sa réglementation, ce qui protège aussi le travail des députés et le rend plus serein. Les lobbyistes n’accèdent plus tout à fait librement au Parlement européen : ils doivent s’inscrire sur un registre spécifique et toutes les réunions ou groupes de travail ne leur sont pas ouvertes.
Marie Castelli : Les lobbies influencent-ils réellement vos prises de position individuelles dans les débats et le vote ? Quid de la pression sur les groupes politiques en tant que tels ?
Françoise Castex : La prise de décision est un agrégat de plusieurs éléments tels que ma conviction, les propositions des groupes d’intérêts, la position de mon groupe politique européen et de ma délégation politique nationale. Prendre position demande de faire un arbitrage entre ces données, pour être avant tout cohérent avec sa conviction politique et son engagement envers les citoyens. Les lobbies peuvent en effet me proposer des amendements, mais rien ne m’interdit de les modifier et rien ne m’oblige à en tenir compte. Les groupes d’intérêts ont donc une certaine influence mais elle me semble assez faible par rapport à tous les moyens qu’ils mettent en œuvre dans ce but.
Marie Castelli : Le traité de Lisbonne est censé augmenter considérablement le poids politique du Parlement européen en faisant de la co-décision la procédure législative ordinaire. Les parlementaires sont-ils prêts à saisir cette opportunité de voir leur rôle décisionnel s’accroître ?
Françoise Castex : Effectivement, le Traité de Lisbonne augmente considérablement les pouvoirs de notre assemblée et je pense que les députés européens sont mûrs pour se saisir efficacement de ces nouveaux pouvoirs. Le rejet de l’accord Swift, négocié entre le Conseil européen et les Etats-Unis, pour le transfert de données bancaires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, est un exemple intéressant et révélateur. Dans la mesure où cette question touche à la vie privée, le Parlement est devenu co-législateur le 1er décembre dernier avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Lors de la session plénière à Strasbourg du mois de février, la résolution rejetant l’accord a été approuvée par 378 votes pour, dont le mien, 196 contre et 31 abstentions.
Je me réjouis des résultats de ce vote car les garanties de protection de la vie privée des citoyens étaient insatisfaisantes dans la proposition du Conseil. La défense des libertés civiles est un enjeu fondamental, et la lutte contre le terrorisme doit se faire dans leur respect. Par cette décision le Parlement européen montre qu’il assume pleinement les nouvelles responsabilités que lui octroie le Traité de Lisbonne et qu’il est en mesure de résister à la pression des Etats européens ainsi qu’à celle des Etats-Unis. Ceci est un signe révélateur du nouvel équilibre politique qui se met en place au sein de l’Union européenne et de l’usage que pourront faire les eurodéputés de leurs nouvelles prérogatives.
Marie Castelli : Ce renforcement des pouvoirs du Parlement risque-t-il selon vous, d’amplifier la pression des lobbies sur les députés européens et les groupes parlementaires ?
Françoise Castex : Nous sommes en début de mandature et il est difficile pour l’instant de savoir ce que le Traité de Lisbonne va changer dans les relations des députés européens avec les groupes d’intérêts. Je pense cependant que même si nous sommes plus sollicités par les lobbies, cela ne devrait pas représenter un risque car le fond du travail des députés restera le même.
Suivre les commentaires : |