Ne serait-ce que parce qu’elle concerne le confort de vie de nombreuses citoyennes européennes.
Plus généralement, ce sujet précis est révélateur de certains modes de fonctionnement de l’Union européenne, notamment les prises de position des différentes instances. Cet épisode pointe aussi du doigt les difficultés à créer une véritable « Europe sociale », que certains appellent de leurs vœux.
Le Parlement européen, une pouponnière d’idées progressistes
Le sujet du congé maternité avait depuis deux ans déjà été l’objet d’attentions, et des résolutions avaient été promises après les prises de position de la Commission Européenne en octobre 2008.
Celle-ci préconisait, sur les recommandations de l’OIT, un allongement de la durée du congé minimum de 14 à 18 semaines, et une augmentation de la rémunération par rapport au minimum prévu, à savoir un salaire équivalent à celui reçu lors d’un congé maladie. Une situation très enviable, même s’il faut souligner que la moyenne actuelle de la durée du congé en Europe est déjà de 18 semaines en réalité.
Par ailleurs, il s’agissait aussi de mieux protéger les femmes d’un risque de licenciement ou de perte de leur poste après le congé. Un louable effort pour leur permettre de rester de plain-pied dans le monde du travail, dont elles sont trop souvent écartées. En outre, la Commission recommandait de leur donner une plus grande flexibilité dans la gestion du temps de ce congé avant et après la naissance, au lieu d’imposer arbitrairement 4 semaines avant la naissance et le reste après.
Il revenait alors au Parlement de prendre position. Cette problématique a donné lieu à de multiples débats, parfois passionnés, émaillés d‘actions symboliques, comme celle de l’eurodéputée danoise Hanne Dahl, venue voter avec son bébé, et celle de l’eurodéputée italienne Licia Ronzulli, venue à une séance plénière le 22 septembre 2010 avec son bébé de 1 mois, « pour penser à toutes les femmes qui ne peuvent pas concilier sereinement grossesse et emploi ».
Après plusieurs votes successifs, le Parlement européen a finalement pris position, en octobre dernier, en faveur d’un allongement à 20 semaines et d’une rémunération à 100%, dépassant ainsi les exigences initiales de la Commission.
Or il se trouve que ces revendications n’ont pas été suivies par le Conseil des Ministres européens des Affaires Sociales (http://www.euractiv.com/fr/europe-sociale/les-ministres-rejettent-les-demandes-du-parlement-sur-le-conge-maternite-news-500356). Outre le fait que les Ministres ne semblent pas plus respecter les prises de position du Parlement qu’avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, que pouvons-nous penser de cette affaire ? Si les Ministres ont débouté les propositions du Parlement, n’était-ce pas parce que le Parlement a fait des propositions irréalistes ? Comment les avait-il décidées ?
« Croissez et multipliez-vous… » : les enjeux économiques d’un projet social
Au sein du PE, l’eurodéputée portugaise Edite Estrela, auteure du rapport sur le congé maternité, a vivement critiqué, comme d’autres, cette décision. Elle a regretté que certains représentants des pays membres aient signifié que pour eux, la seule base de discussion possible était la position de la Commission. Des propos qu’elle juge irrespectueux à l’égard du Parlement, puisqu’ils font fi de son vote.
On aurait pourtant pu penser que le Parlement prendrait plus d’importance avec les modifications apportées par le traité de Lisbonne, mais les vieilles habitudes semblent tenaces.
Par ailleurs, des voix se sont élevées contre cette décision, comme celle de l’eurodéputée danoise Britta Thomsen, porte-parole des droits des femmes des députés Socialistes et Démocrates, arguant qu’elle ne prenait en compte que le court terme.
En effet, l’argument invoqué par les Ministres est en substance celui de la crise économique : les pays ne pourraient pas supporter l’effort supplémentaire que représente le fait de rémunérer 20 semaines de congé à taux plein. Et tant pis pour le bien-être des futures mères.
En revanche, la position soutenue par le Parlement essaie d’envisager le long terme. La volonté de préserver la croissance démographique européenne en aidant les femmes à concilier travail et maternité guide une partie de ces propositions. Il est vrai que dans des pays comme l’Allemagne, le taux de fécondité a terriblement baissé : par manque de facilité à concilier vie de famille et travail, certaines femmes ne font simplement plus d’enfant.
Afin d’envisager pour les générations futures une Europe dynamique, capable de supporter le poids de ses retraités, il semble que les ministres aient tort de débouter ainsi les propositions du Parlement.
Cependant, comment le Parlement a-t-il pu trancher en faveur de cette solution plutôt qu’une autre ? Essayer de développer le nombre d’infrastructures qui permettent de garder les jeunes enfants, comme les crèches, ne serait-il pas plus simple, au lieu d’allonger le congé maternité, pour aider les femmes à reprendre rapidement une vie active ?
Où sont les femmes ?
La position adoptée par le Parlement européen a été soutenue notamment par le Lobby européen des femmes (EWL)http://www.womenlobby.org/?lang=en, composé de représentations nationales, qui sont elles-mêmes des coordinations nationales de très nombreuses associations plus ou moins féministes, de toutes tendances. La liste des associations qui adhérent à cette représentation est disponible sur leur site : http://clef.unblog.fr/les-associations-membres/
Son activisme en faveur de ces propositions peut surprendre de la part d’un lobby qui se veut progressiste et féministe. En effet, les avancées proposées concernent une facilitation et un allongement du congé parental, mais cela ne risque-t-il pas d’éloigner les femmes du monde du travail ?
Plus une femme reste longtemps en dehors du monde du travail, plus il est difficile de retrouver un poste égal et de réintégrer une fonction. Par ailleurs, cela pourrait aussi favoriser la discrimination à l’embauche : on peut supposer que lors d’une embauche, un employeur sera plus réticent à embaucher une personne dont il sait qu’elle est susceptible de quitter son poste plus longtemps.
Si on peut s’indigner de ce fait, c’est pourtant une réalité qu’il faut prendre en compte.
En outre, les positions soutenues partent du principe qu’il faut améliorer le congé maternité pour accroître la natalité (puisque c’est le but poursuivi). Or, cela dépend considérablement de la culture du pays d’Europe dans lequel on se place : les études de la sociologue allemande Ute Gerhard le prouvent notamment. Elle a livré un travail de comparaison des situations des femmes allemandes selon qu’elles sont de l’Est ou de l’Ouest et analysé leur rapport à la maternité en fonction des politiques sociales menées par l’Etat dans lequel elles se trouvaient.
En Allemagne de l’Est, le taux de natalité était plus élevé, alors que les femmes travaillaient beaucoup plus qu’en Allemagne de l’Ouest, qui conservait un schéma familial plus traditionnel. Par ailleurs, alors qu’aujourd’hui les femmes françaises sont celles d’Europe qui ont le plus fort taux d’activité, elles sont aussi les plus prolifiques, avec 2,1 enfants par femme en moyenne. On ne peut donc pas lier les contraintes du travail de façon directe et systématique avec la baisse de la fécondité.
Pour accroître le taux de fécondité, une des solutions à envisager n’est-elle pas plutôt d’assurer plus de systèmes de garde des enfants pour les femmes qui souhaitent interrompre le moins possible leur carrière ? Le lobby des femmes soutiendrait-il des positions qui ne sont pas réellement favorables à l’émancipation des femmes ?
L’argument invoqué par une partie des opposants au PE à ces propositions était le fait qu’elles semblaient populistes, et démagogiques. En effet, ces propositions semblent difficiles à adopter en période de crise, d’autant que lors de ce genre de périodes les femmes sont les premières touchées par le chômage et que la culture profonde de nos pays tend à les encourager à retourner dans les foyers pour faire de la place sur le marché du travail aux hommes.
Même si cette proposition semble être formulée dans l’idée d’améliorer la condition des femmes, il n’est cependant pas possible de considérer de la même façon toutes les situations des femmes en Europe.
Et la légitimité du lobby des femmes à parler d’une façon unilatérale au nom de toutes les femmes de l’Union paraît extrêmement discutable.
Si l’harmonisation sociale de l’Europe est difficile à construire, elle n’est pas plus simple à réaliser dans le domaine de la maternité.
1. Le 4 avril 2011 à 14:29, par Sara En réponse à : Où en est l’harmonisation du congé maternité en Europe ?
100% d’accord ! L’allongement du congé maternité est une fausse bonne idée, parce que ca va amener encore plus les patrons (qui sont encore en majorité des hommes) à voir les femmes comme des boulets qui vont sans doute passer des mois « aux crochets » de la boite.
Non seulement cela crée des discriminations à l’embauche, mais ca entrave également la carrière des femmes, qui ne sont pas jugées aptes à avoir des rôles de managers parce qu’elles vont être indisponibles pendants des mois…ce ne sont souvent que des clichés, les femmes étant souvent prêtes à faire bien de sacrifices pour leur boulot, mais ces clichés ne vont pas disparaitre juste parce qu’on prétend qu’ils n’existent pas !
Juste une autre chose qu’il faudrait à mon avis mentionner : d’accord pour plus de crèches, y compris des crèches d’entreprises, et des aides pour payer les nounous et permettre donc aux femmes de retrouver plus tôt leur travail, mais il ne faut pas oublier qu’un enfant normalement on le fait à deux et si la femme est indispensable pour porter l’enfant et ensuite l’allaiter, le rôle du père est tout aussi fondamental, aussi bien avant qu’après l’accouchement ! Si on considère qu’aller au travail est préjudiciable pour la santé de la femme et de l’enfant, ce n’est pas pour qu’elle fasse la bonniche toute la journée en attendant que le mari rentre du travail et, avec l’excuse qu’elle est en congé, il mette les pieds sous la table !
De plus, un véritable congé paternité (pas juste de quelques jours et surtout OBLIGATOIRE) aurait pour conséquence une meilleure redistribution du « risque » maternité : l’employeur ou futur employeur saurait que, lorsqu’une femme tombe enceinte, ce n’est pas seulement elle qui partira en congé pendant plusieurs semaines mais également son compagnon et qu’il ferait donc mieux de baser son choix sur d’autres critères que la probabilité d’une grossesse. Bien sur, cela n’effacera pas tous les préjugés d’un coup de baguette, mais dans ces domaines c’est souvent par petits pas qu’on avance…
2. Le 7 avril 2011 à 22:07, par Xav En réponse à : Où en est l’harmonisation du congé maternité en Europe ?
C’est tellement fatigant cette volonté de toujours tout uniformiser sérieux.
Le projet fédéraliste devrait être contre cette tendance exaspérante à la centralisation et à l’uniformisation !
Si c’est si bien, laissez donc les gouvernements locaux en décider seuls.
3. Le 7 avril 2011 à 22:53, par Iris Passy En réponse à : Où en est l’harmonisation du congé maternité en Europe ?
C’était précisément l’objet de cet article que de montrer les difficultés d’harmonisation sur un sujet aussi délicat, au vu des cultures différentes dans les pays d’Europe, et aussi de montrer que l’uniformisation qui privilégierait une vision sur une autre pouvait être néfaste. J’ai expressément mentionné les études de la sociologue allemande Ute Gerhart qui montre très bien cette diversité de situations ne serait-ce qu’en Allemagne, et qui est due à l’ancienne partition Ouest-Est.
4. Le 11 avril 2011 à 11:14, par Xav En réponse à : Où en est l’harmonisation du congé maternité en Europe ?
C’était une exaspération formulée par rapport au Parlement.
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