Partis politiques européens : un débat mal engagé

, par Aymeric Lorthiois

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Partis politiques européens : un débat mal engagé

La proposition de listes transnationales pour les élections européennes [1] portée par le député européen libéral Andrew Duff est bien connue et débattue. Ce projet n’est pourtant pas la seule option envisagée par le Parlement européen pour redonner un sens aux élections européennes. L’eurodéputée Marietta Giannakou suggère en effet de renforcer les partis politiques européens afin d’en faire les acteurs d’un « espace politique à l’échelle de l’UE, d’une démocratie européenne ». Une initiative indispensable, mais qui, dans les détails, a du mal à convaincre.

Le 15 mars, la commission parlementaire « Affaires constitutionnelles » devrait se prononcer simultanément sur ces deux projets. Mais en dépit d’une audition publique sur le sujet en janvier, et d’études du Parlement ainsi que du laboratoire d’idées Notre Europe , la mission de l’eurodéputée affiliée au parti populaire européen (PPE) est restée plutôt confidentielle.

Publié début février, son rapport [2] avance avec comme idée phare la création d’un statut juridique et fiscal pour les partis politiques européens, qui sont bien souvent, à ce jour, de simples associations de droit belge.

La question du statut : la clé du problème ?

L’idée est bonne, mais elle n’est pas nouvelle. La question d’une personnalité juridique européenne pour les europartis se pose même depuis plusieurs décennies, comme pour les associations, les fondations, ou encore les petites et moyennes entreprises.

Sans un statut valable dans l’ensemble de l’UE, les fédérations politiques – parti populaire européen, parti des socialistes européens, parti de la gauche européenne, alliance des mouvements nationaux européens, etc. – pourraient difficilement s’investir dans les campagnes électorales aux côtés de leurs partis membres nationaux, ou lever des fonds dans chaque État membre.

Mais avec Marietta Giannakou, cet aspect technique devient la priorité des priorités, la condition sine qua non à toute avancée démocratique. Si bien qu’il faudrait même un statut fiscal spécifique pour les employés des europartis. Visant l’ « uniformité organisationnelle des europartis », l’eurodéputée semble avoir oublié un détail : quel est le rôle des partis européens ?

Selon les traités, les partis politiques au niveau européen doivent « contribuer à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union » (article 10(4) du traité sur l’UE). Cela s’inscrirait dans la perspective d’un Union européenne qui fonctionnerait sur le modèle de la démocratie représentative (article 10(1)), c’est-à-dire qui tirerait sa légitimité des élections. En quoi un statut juridique permettrait d’atteindre ces objectifs ? À la lecture du rapport de Marietta Giannakou, la réponse est simple : l’objectif est déjà atteint. L’article 10 du traité ne serait pas une finalité, mais une affirmation, un état de fait. Difficile à croire.

À quoi sert un parti politique ?

Un parti politique n’est pas une histoire de statut ou de traité. Un parti est une association qui rassemble des citoyens unis par une philosophie commune, dont elle recherche la réalisation, à travers la conquête et l’exercice du pouvoir . De là découlent trois fonctions principales : impliquer des militants, élaborer un manifeste ou un programme, et sélectionner des candidats.

Les europartis dans leur forme actuelle ont progressé en termes de structuration, en développant peu à peu une identité politique interne et en montrant une convergence croissante des attitudes de vote au sein des groupes politiques au Parlement . Ils ont également proposé dès les élections de 1979 leurs manifestes électoraux, et pourront désormais compter sur des fondations politiques financées depuis 2007 par l’Union pour élaborer de véritables programmes.

Par contre, si l’implication des militants progresse ici et là , la prise de décision reste entre les mains des dirigeants des partis membres nationaux. Quant au rôle de sélection de candidats aux élections, il est inexistant au niveau des europartis. Faute de circonscription européenne, ce rôle reste circonscrit au niveau national. La transparence et l’honnêteté envers les électeurs voudrait que les partis politiques européens désignent clairement leurs candidats à la présidence de la Commission européenne avant chaque élection européenne, ce qui est juridiquement possible depuis 1994. Mais jusqu’ici aucun parti européen n’a vraiment assumé ce rôle.

Une démarche utile serait donc d’encourager les partis européens, en respectant leur liberté idéologique et organisationnelle, à pallier ces carences. Marietta Giannakou s’y refuse explicitement.

Pas de privilèges sans contreparties !

Sans attendre d’eux aucun effort, l’eurodéputée propose au contraire une série d’avantages règlementaires, financiers, et fiscaux au profit des partis politiques européens. Outre un statut fiscal, le plafonnement de donations privées serait rehaussé, et les financements européens bénéficiant chaque année aux partis seraient désormais versés automatiquement, sans formalités administratives.

Mais comment justifier ces privilèges si les partis européens ne sont pas encore des partis de plein exercice ? L’eurodéputée n’y voit aucun problème. Le bon sens voudrait à l’inverse qu’on les subordonne à des avancées concrètes. Ce traitement avantageux pourrait, par exemple, n’être accordé qu’aux partis européens, sur l’ensemble du spectre idéologique, qui impliqueraient les militants de leurs partis membres dans l’élaboration de leur programme, et qui désigneraient leurs candidats à la présidence de la Commission en consultant ces mêmes militants lors de primaires.

Une tentation technocratique

La députée européenne fait bien entendu des suggestions utiles, comme celle d’autoriser l’implication des partis politiques européens dans les campagnes de référendums portant sur un sujet européen, actuellement interdite. Mais certaines propositions portant sur des questions autrement fondamentales s’avèrent incompréhensibles.

Sans raison, Marietta Giannakou veut durcir les critères actuels de reconnaissance et de financement des partis politiques européens. Elle souhaiterait par exemple que ne soient plus reconnus ni financés les partis non représentés à Strasbourg, comme la formation eurosceptique EUDemocrats.

Or les critères en vigueur sont déjà jugés très restrictifs, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des partis européens. En application de ces règles, il n’existe actuellement que dix partis européens, là où la France reconnaît près de 300 partis nationaux . De fait, les règles actuelles excluent tout mouvement issu de la société civile. En Allemagne, un système similaire a même été jugé anticonstitutionnel par la cour de Karlsruhe. Dans ces conditions, restreindre davantage la liste des heureux élus serait surréaliste.

Un débat essentiel

Quoiqu’il en soit, les débats lancés par Andrew Duff et Marietta Giannakou sont plus que bienvenus. Avec 57% d’abstention aux élections européennes, et un Parlement européen marginalisé face au Conseil européen, le système électoral actuel est au bord de la faillite. Faudra-t-il atteindre les 60 % d’abstention pour agir ?

Il est dur de concevoir que les citoyens soient attachés au modèle actuel, celui d’élections sans enjeu clair, visant à élire un Parlement consensuel, sans majorité ni exécutif. La démocratie participative ne sera pas non plus le remède miracle, comme l’ont montré les premières initiatives citoyennes européennes « Oneseat » [3] et « Zappons les OGM » [4], qui furent des succès citoyens mais des échecs démocratiques.

Aussi risquée soit-elle, l’idée de refonder les élections européennes autour de partis pan-européens démocratiques ne trouve pas d’alternative réaliste. Elle ne devrait pas être rejetée au motif qu’elle s’inspire de ce qui marche au niveau national.

Photo : « Reflection in the Conseil Européen Europese Raad building in Brussels (Bruxelles Brussel) / Belgium » par loop_oh

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