Petite Histoire de la Dorsale européenne 2/2

, par Alexandre Marin

Petite Histoire de la Dorsale européenne 2/2
Banane Bleue

C’est un endroit d’importance capitale en Europe : il en est le cœur économique, le centre politique, foyer historique et culturel, qui a vu naître Adenauer, Bech, Beyen, Spaak, et Schuman. Les géographes lui donnent actuellement le nom de « dorsale » ou de « mégalopole européenne ». Cet article propose de revisiter son Histoire pour le moins mouvementée, aux contours variables suivant les époques, sans cesse au milieu de toutes les préoccupations politiques, diplomatiques et militaires, afin de comprendre sa position en tant que clé de voute de notre continent.

Terrain de luttes entre les Rois et les Princes d’Europe

A partir du XI° siècle, les anciens royaumes de Lothaire sont troublés par la querelle des Investitures, qui aboutit, en 1250, à un interrègne impérial, pour le plus grand profit des royaumes de l’ouest (royaumes ibériques, de France, et d’Angleterre). Par sa politique religieuse, Louis IX de France obtient une légitimité quasi-impériale, par la construction d’édifices, par l’interdiction des actes contraires aux dogmes de l’Eglise (blasphème, jeux d’argent, prêt à intérêt, prostitution à l’intérieur de la ville de Paris, etc.). Le roi part deux fois aux croisades, et est canonisé en 1297, vingt-sept années après son dernier souffle. La France est, alors, l’état le plus puissant d’Europe et a dépassé la Germanie et l’empire dans la direction des affaires spirituelles.

Sur le modèle des empereurs germaniques, les rois de France finissent, eux aussi, à avoir des démêlés avec le Saint-Siège. Le petit-fils de Louis IX, Philippe IV le Bel finit par l’emporter face au pape Boniface VIII, et force son successeur à s’installer à Avignon. Quand éclate la guerre de cent ans entre les royaumes de France, d’Angleterre, et les principautés « hexagonales », l’occident a de nouveau un empereur, et le pape profite de l’affaiblissement de l’autorité royale pour retourner à Rome, en 1378. Hélas, le conflit entre le sacerdoce et l’empire reprend dans une Europe qui subit une crise démographique, politique, économique, et religieuse ; les épidémies et les famines provoquent la mort d’un européen sur trois, les monnaies se dévaluent, les guerres civiles entre Guelfes et les Gibelins ravagent les cités italiennes, la pauvreté explose et la chrétienté se retrouve avec deux, puis trois papes en même temps. En 1417, le roi Sigismond de Hongrie (qui sera par la suite élu empereur) force les trois souverains pontifes à abdiquer, et impose son candidat, le cardinal romain Oddone Colonna, qui est élu sous le nom de Martin V.

A peine sortie de la guerre contre l’Angleterre, la France trouve un redoutable adversaire : le duché de Bourgogne, qui est ajouté aux possessions de la dynastie autrichienne des Habsbourg, par le mariage de Marie de Bourgogne avec Maximilien de Habsbourg, en 1477. La famille, est alors à la tête de l’empire depuis vingt-cinq ans. Leurs fils Philippe épouse Jeanne, fille des Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Le « conflit pour l’Europe », qui en débouche, découle sur une série de guerres. Mêmes si elles ne s’y déroulent pas systématiquement, elles sont toutes liées à ce qui se rapproche géographiquement de l’actuelle partie continentale du croissant bleu, amputé de la Bourgogne et de la Provence, annexées par la France. Ces conflits sont les guerres d’Italie, de trente ans, de dévolution, de Hollande, des Réunions, de la Ligue d’Augsbourg, de succession d’Espagne, de succession d’Autriche, et de sept ans.

Un essor économique et culturel dû à de nombreux échanges

Cette région médiane, frontière politiquement fermée et source d’intenses tensions, et de guerres incessantes est néanmoins un haut lieu culturel et artistique de l’Europe tout au long du Moyen-Age et des Temps Modernes. Elle attire et inspire de grands penseurs tels que Gerbert d’Aurillac et Adalbéron de Reims, désireux de restaurer l’empire du temps de Charlemagne, Guillaume d’Occam, père du concept de droit fondamental, Erasme, ou Luther, père du protestantisme, et des écrivains comme Dante. Elle fait aussi circuler la poésie et la musique des troubadours, en Italie du Nord, dans le Nord et l’Est de la France, via les trouvères, en Allemagne, grâce aux Minnesanger et aux Meistersinger. Elle est aussi un lieu de propagation de la critique des élites impériales, religieuses, royales et seigneuriales, à travers les Goliards. Au niveau musical, l’exemple le plus frappant, qui se développe autour du Rhin, de la Meuse et du Rhône, est l’école franco-flamande dont les membres les plus fameux sont Johannes Ockeghem, Josquin Desprez, Jacob Arcadelt, Alexander Agricola, Gilles Binchois, et Guillaume Dufay. Les peintres de la Renaissance et de l’époque Baroque voyagent souvent par voie fluviale, partant d’Italie pour arriver en Flandre et dans les Provinces Unies, ou vice-versa.

La compétition est rude entre les différentes écoles européennes au sein de ce foyer d’art foisonnant. Les nouveaux instruments de musique en circulation dans la même zone exportent la musique renaissante depuis l’Italie jusqu’en Espagne (très liée à cette région), aux Pays-Bas, en France, en Angleterre, en Suède, en Pologne, et en Hongrie, entre autres destinations. La future mégalopole permet aux artistes et aux mécènes de voyager, même à des périodes politiquement tourmentées.

De retour sur la scène politique, de 1648, date à laquelle le traité de Westphalie rattache l’Alsace et la Moselle à la France, jusqu’à la défaite française de 1870, la rive gauche du Rhin appartient intégralement à la France. Après la signature du traité de Francfort, l’Alsace et la Moselle sont annexées par le nouvel état prussien. Par la suite, la région et le département retournent en France, comme le stipule le traité de Versailles, sont de nouveau annexées par le III° Reich et réintègrent définitivement la France à la libération. Les raisons de ces annexions successives sont moins idéologiques que stratégiques. Les évolutions économiques, sociales et démographiques de la révolution industrielle partent du sud de l’Angleterre et se propagent dans l’actuelle dorsale européenne. L’explosion de la richesse en ces endroits explique l’acharnement des états à se les approprier. Les contrastes de richesse de notre continent sont issus de la révolution industrielle. La mégalopole redevient le centre d’expansion et d’unification politique et économique avec l’intégration européenne. Grâce à ses nombreux fleuves et rivières c’est une plateforme commerciale de premier ordre de par la présence de villes traditionnellement marchandes (Bruges, par exemple), du quatrième port mondial à Rotterdam, ou de grandes places financières et boursières, comme Londres. Sa démographie est la plus dynamique de toute l’Union. Les grandes institutions y sont également présentes, qu’elles soient à Bruxelles, Strasbourg, Luxembourg, La Haye, ou Francfort.

C’est la longue Histoire de cette région, source de convoitises, d’instabilités, de conflits, d’unions, et d’échanges qui a conditionné l’Histoire de tout notre continent, jusqu’à aujourd’hui.

Sources :

De Bello Gallico de Caius Julius Caesar.

Grand Atlas Historique de Georges Duby, éditions Larousse.

Les Carolingiens : une famille qui fit l’Europe de Pierre Riché.

The Holy Roman Empire de James Bryce.

David Munrow : Instruments if the Middle Ages and Renaissance.

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