Philippe Séguin et la question démocratique dans l’Union Européenne

, par Frédéric Pons

Philippe Séguin et la question démocratique dans l'Union Européenne

Philippe Séguin, premier président de la cour des comptes, est mort le jeudi 7 janvier 2010 d’une crise cardiaque. Républicain dans l’âme, il a été en 1992 le leader de la campagne du non au référendum sur le traité de Maastricht.

C’est son discours devant l’Assemblée Nationale du 5 mai 1992 qui a incité le président Mitterrand à choisir la voie référendaire et non celle parlementaire pour la ratification du traité, nécessitant des modifications constitutionnelles, discours dans lequel il prône le principe démocratique.

Un souverainiste attaché au principe démocratique

Attaché à la souveraineté nationale, il était donc un farouche opposant au traité de Maastricht et donc à l’Union Européenne, notamment à cause du transfert de la souveraineté monétaire à la BCE.

Le 4 septembre, il est le contradicteur de François Mitterrand lors du débat télévisé qui a lieu avant le référendum du 20 septembre. Mais c’est un opposant qui argumente de manière lucide sur les faiblesses et les manques de la future Union, selon lui dirigée par des technocrates trop éloignés des citoyens, pas du tout démocratique, et qui enlève leur souveraineté aux citoyens français.

Voici un extrait de son discours (consultable en intégralité sur le site du Sénat) :

« Il me faut dire avec beaucoup d’autres, au nom de beaucoup d’autres, qu’il est bien temps de saisir notre peuple de la question européenne. Car voilà maintenant trente-cinq ans que le traité de Rome a été signé et que d’Acte unique en règlements, de règlement en directives, de directives en jurisprudence, la construction européenne se fait sans les peuples, qu’elle se fait en catimini, dans le secret des cabinets, dans la pénombre des commissions, dans le clair-obscur des cours de Justice.

Voilà trente-cinq ans que toute une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires, de gouvernants prend, au nom des peuples, sans en avoir reçu mandat des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux et minimise les conséquences. »

Le point faible de l’Union

Ce discours est-il la vision de ce qu’est devenue et doit cesser d’être l’Union Européenne ? Alors que les élargissements successifs ont élargi l’Union de 12 à 27 États membres, le pouvoir de décision est toujours concentré à Bruxelles. La Commission, les experts, les lobbys font les directives et les règlements, les chefs d’État et de gouvernement et leurs ministres décident des grandes orientations politiques, en accord avec la Commission Barroso, bien complaisante. Quant au seul organe représentatif des citoyens de l’Union, le Parlement, a certes vu ces pouvoirs élargis par la procédure de codécision, mais ils restent bien faibles. De plus, les principaux partis (PPE, PSE et ADLE) s’accordent volontiers sur les votes.

Le traité de Lisbonne : vers une démocratisation ?

A l’heure où le traité de Lisbonne entre en vigueur, où la création d’un président du conseil européen et d’un ministre des affaires européennes sont sensés donner une voix plus forte à une Europe politique (premier pas pour une démocratisation du fonctionnement de l’UE), les chefs d’État et de gouvernement nomment à ces postes des personnes certes compétentes, mais conservatrices et manquant de reconnaissance auprès des citoyens. La véritable avancée serait leur élection par les citoyens. Une autre serait un renforcement significatif des pouvoirs du Parlement par rapport aux conseils et à la Commission et la création de vrais partis politiques européens.

Ce discours de M. Séguin ne doit-il pas résonner aujourd’hui comme une mise en garde sur ce que l’Union Européenne est devenue et ne doit pas être ? Après les nons de la France et des Pays-bas au traité constitutionnel de 2005, les pays de l’UE ont choisi la voie parlementaire pour la ratification du traité modificatif de Lisbonne, sauf l’Irlande, qui a du passer par 2 référendums pour obtenir le oui. Ces choix ne traduisent-ils pas un fossé qui s’élargit entre les décideurs européens et leurs citoyens, d’où la faible participation aux élections européennes ?

Illustration : Philippe Séguin, 2005

Source : Wikipédia

Vos commentaires
  • Le 24 janvier 2010 à 06:48, par Martina Latina En réponse à : 5 articles de cette semaine sur le TAURILLON.

    « L’Europe et la communication », « les droits de l’enfant », « Sortir de l’Europe », « la politique fédérale » et « Philippe Séguin » pour finir

    ont suscité des articles aussi intéressants que complémentaires : en évitant le fourre-tout et en recentrant les questions comme les réponses, il s’agit bien

    de « communiquer l’Europe »,

    d’inventer un « dessin » pour les Droits de l’Enfant qui puisse aussi représenter un dessein partagé par les eurocitoyens dans son orientation comme dans sa réalisation,

    de former une « famille » européenne vivante, unie, audacieuse,

    de travailler « à la citoyenneté et à l’identité européennes »,

    enfin de sortir d’une « conspiration du silence » épaissie et alourdie par la surdité qu’entretient l’indifférence.

    Le nom de l’EUROPE ne nous inscrit-il pas dans le sillage de celle qui en sa Phénicie natale s’appelait le Couchant, qui s’appela « Longue-Vue » ou « Vaste-Vue » en débarquant sur un prodigieux TAURILLON en Crète avec les moyens de communication, donc de civilisation, qu’elle nous mit pour toujours entre les mains, les techniques nautiques et les caractères alphabétiques ? Puisque nous sommes embarqués avec elle et par elle dans cette aventure trois fois millénaire, demeurons prêts à nous réveiller, à ressaisir les rames et à travailler en équip(ag)e responsable et solidaire, toujours plus consciemment et concrètement !

  • Le 24 janvier 2010 à 09:55, par Fabien Cazenave En réponse à : Philippe Séguin et la question démocratique dans l’Union Européenne

    Si l’Union européenne est de plus en plus intergouvernementale, c’est justement grâce à des nationalistes comme Séguin...

    De toutes les manières, même si le président du Conseil européen était élu par les citoyens, il ne pourrait qu’être le mandataire du Conseil européen, et donc de l’Europe des Etats.

    La vraie solution réside dans le fait que l’Union européenne soit gouverner par une Commission européenne qui soit un vrai gouvernement de l’Europe, responsable devant le Parlement européen dont il serait réellement issu. Pour l’instant, nous n’avons que des Commissaires qui sont nommés en fonction de leur nationalité...

    Autant je n’aime pas la dérive intergouvernementale, mais attention sur le coup des « méchants experts-lobbys-eurocrates »... Il y a des lobbys partout : les Jeunes Européens - France en sont dans la société civile. Ce n’est donc pas un problème. Le vrai problème est que le pouvoir politique principal réside dans les mains des Conseils (européen et de l’UE) où les arbitrages se font en fonction des intérêts nationaux de chacun.

  • Le 24 janvier 2010 à 11:51, par vida18 En réponse à : Philippe Séguin et la question démocratique dans l’Union Européenne

    Pour ma part, je pense que le Président du Conseil européen devrait être élu au suffrage universel indirect. En gros, les citoyens européens éliront le Parlement européen qui lui élira le Président du Conseil européen.}}}

  • Le 24 janvier 2010 à 12:47, par Fabien Cazenave En réponse à : Philippe Séguin et la question démocratique dans l’Union Européenne

    En gros, vous proposez que le président de la Commission européenne soit un vrai 1er ministre responsable devant sa majorité au Parlement...

  • Le 24 janvier 2010 à 15:36, par Cédric En réponse à : Philippe Séguin et la question démocratique dans l’Union Européenne

    Une idée qui me plaît serait le fusion de la présidence de la Commission et de la présidence du Conseil européen dans un poste de président de l’Union.

    Cette fusion est possible à traité constant, dès la prochain renouvellement du président du Conseil Européen (juin 2012) sans modification des traités (il n’y a pas d’incompatibilité entre les deux postes).

    Bien sûr, cette fusion n’a d’intérêt que si elle se fait au bénéfice du président de la Commission. Comment ? Les grands partis européens désigneront leurs candidats à la présidence de la Commission avant les européennes de 2014. Pendant la campagne, ces partis et leurs candidats devraient revendiquer cette fusion (sous-entendu, au bénéfice du candidat du parti vainqueur) afin de faire pression sur les États et de pouvoir dénoncer un défaut de démocratie si le Conseil s’obstine à élire une autre personnalité.

  • Le 24 janvier 2010 à 15:39, par vida18 En réponse à : Philippe Séguin et la question démocratique dans l’Union Européenne

    Oui car le problème lors de l’élection de M. Von Rompuy, c’est qu’il n’était pas populaire et une petite partie du Parlement européen et des Européens eux-même étaient pour l’élection de la lettone Vaira Vīķe-Freiberga que beaucoup jugeait plus compétente que M. Von Rompuy.

  • Le 24 janvier 2010 à 20:05, par Valéry En réponse à : Philippe Séguin et la question démocratique dans l’Union Européenne

    À mon souvenir c’est plus l’échec de la ratification au Danemark qui a provoqué le choix du référendum : il fallait le poids du vote de la population d’un grand État pour sauver le traité. Il fut fort heureusement acquis en dépit de la campagne des nationalistes.

  • Le 25 janvier 2010 à 11:29, par vida18 En réponse à : Philippe Séguin et la question démocratique dans l’Union Européenne

    Ce qui m’a toujours fait sourire avec le Danemark, c’est que les dirigeants au pouvoir ont toujours cherché un moyen de supprimer les quatre dérogations obtenues car trop handicapants : la troisième phase de l’UEM (introduction de l’euro) dont le référendum pour devenir membre de la zone euro a été refusé en 2000 avec 53% de non, « défense commune et justice et affaire étrangère » (référendum de 2010 annulé à cause de mésentente entre le Premier Ministre danois et l’opposition) et la citoyenneté européenne. Contrairement au Royaume-Uni qui défend bec et ongle les dérogations qu’il a obtenu et cherche à en obtenir d’autres.

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