Géopolitique

Pour un tour du monde des fédéralismes

(Fédéralismes : au pluriel).

, par Ronan Blaise

Pour un tour du monde des fédéralismes

En ce mois d’août, nous vous proposons d’effectuer avec nous - sur le « Taurillon » - un petit tour d’horizon et un petit état des lieux du fédéralisme et de ses diverses applications dans le monde d’aujourd’hui.

Où l’on découvrira à quel point il s’agit là d’un système pragmatique et parfaitement "flexible", aux applications multiples, variées et originales : chacune adaptée à son contexte historique et à son milieu spécifique [1].

Le fédéralisme : un système qu’on ne saurait trop recommander aux Européens pour leur permettre de garantir la paix et la démocratie sur leur continent, et pour leur permettre de parfaire leur unité, dans la diversité.

Qu’est-ce que le fédéralisme ?

Rappelons-le : le fédéralisme, ce n’est ni l’extrême centralisation, ni l’extrême décentralisation mais une idée plus subtile et plus complexe. En fait il s’agit de briser l’ "atome" de la souveraineté pour, ensuite, répartir les compétences entre différents niveaux de gouvernement (chacun complémentaire de l’autre, mais chacun indépendant et souverain dans sa sphère de compétence contractuellement reconnue).

Suivant les pays et selon les époques ou les contextes, les réponses à ce problème politique sont extrêmement diverses. En ce sens, il n’existe donc pas un seul modèle - intangible - de fédéralisme. Toute fédération est donc une expérience politico-institutionnelle "historique" unique puisque chaque pays a défini un « équilibre fédéral » différent selon les moments de son histoire et selon les besoins de son temps.

Ainsi, comme l’avait écrit le futur président américain Woodrow Wilson dans son livre « Constitutionnal Government in the United States » (1908) : « la question de l’équilibre entre les États fédérés et l’État fédéral (...) ne peut jamais être résolue par l’opinion d’une seule génération, car il s’agit d’une question de croissance. Chaque étape de notre développement économique et politique lui ajoute une nouvelle dimension et la renouvelle ».

De même, comme l’a ajouté le politologue "germano-américain" Carl J. Friedrich dans son ouvrage intitulé « The trends of Federalism in Theory and Practice » (1968), le fédéralisme est « un processus dynamique dans la recherche d’équilibres variables ». Avec une organisation institutionnelle et un partage des compétences qui évoluent en permanence, selon les besoins et selon les priorités du moment : avec des périodes centralisatrices et des périodes décentralisatrices. On ne saurait donc mieux dire le caractère perpétuellement ouvert de l’expérience fédérale...

Diversité et Nécessité du fédéralisme

Cette évolution fédérale n’est d’ailleurs pas propre au seul Occident, puisqu’elle s’inscrit dans une tendance internationale qui voit - à l’heure actuelle - la multiplication sur l’ensemble du globe de régimes politiques organisés selon les modalités du fédéralisme : en Australie et en Micronésie, au Mexique et au Canada, au Brésil et en Argentine, en Afrique du sud et au Nigeria, en Inde et au Pakistan, en Birmanie et en Malaisie (etc) constituant tout autant d’exemples de fédérations. Il convient donc de parler des « fédéralismes » au pluriel.

« Assurer l’unité dans la diversité, pour la paix », « Répartir les compétences aux niveaux adéquats les plus pertinents », « Responsabiliser les citoyens pour rendre possible un véritable contrôle démocratique des pouvoirs et assurer une meilleure gouvernance, bref : démocratiser la vie politique » telles sont - en résumé - les grandes idées maîtresses du fédéralisme.

Un "projet fédéraliste" qui pourrait même assurer la cohésion - dans la paix et la démocratie - d’espaces aussi divers (mais aujourd’hui régulièrement menacés d’éclatement et d’explosion) que sont aujourd’hui la Russie et la Géorgie du Caucase, la Bosnie-Herzégovine et Chypre, l’Irak et le Yémen, l’Indonésie et les Philippines, la Birmanie et Sri Lanka, Madagascar et la Somalie, le Soudan et l’Ethiopie, ou encore le Nigeria et le Congo (RDC), (etc).

Une "solution fédéraliste" à laquelle on a même pensé dans des pays de vieilles civilisation, ainsi que pour de vieilles nations néanmoins jusque là réputées pour leur "centralisme" historique : telles la Chine [2] ou encore le Japon [3].

Le fédéralisme : une conception originale de l’exercice de la souveraineté qui permet également d’assurer des coopérations continentales (et de rendre possible la paix) là où il n’y avait, jusque là, que des nations rivales et concurrentes, parfois en conflit, souvent en guerre. Comme c’est aujourd’hui - peu ou prou - le cas en Europe.

Le fédéralisme, c’est donc également une nouvelle vision des rapports entre États : un projet de « gouvernance mondiale pacifique » à l’origine de la « Société des nations » (SDN) de l’entre-deux-guerres, puis de l’actuelle « Organisation des Nations Unies » (ONU).

Une nouvelle conception des relations internationales qui prend singulièrement de la valeur à l’heure où l’humanité doit faire face à de nouveau défis environnementaux et écologiques auxquels nos nations - impuissantes lorsque concurrentes et isolées - sont aujourd’hui bien incapables de faire face seules.

C’est vous dire si l’idée a de l’avenir...

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est la photographie d’un paysage caractéristique de l’inlandsis du continent Antarctique : territoire aujourd’hui placé sous gestion internationale et onusienne.

(Nb : chacun des différents articles de cette "série" s’ouvrira ainsi par la reproduction d’un document emblématique ou par la photographie d’un paysage caractéristique du continent considéré).

- Sources :

 « La pensée fédéraliste et la construction européenne » » : Un numéro hors série de « La lettre des Européens » (n°8, d’octobre 1998), publication du « Mouvement Européen France » (épuisé).

 « Le fédéralisme au XXIe siècle : tendances et perspectives » : Texte d’une conférence de George Anderson, président du « Forum des fédérations » (Santa Fe, Argentine - mars 2007).

 « Les principales tendances du fédéralisme au XXe siècle » : un article de Ronald L. Watts publié - en 2003 - dans la « Revue internationale de politique comparée » de l’Université « De Boeck » (vol. 10 ; pp. 11 à 18).

 « Fédéralisme et groupes nationaux » : un article de Ferran Requejo, professeur de sciences politiques à l’Université « Pompeu Fabra » de Barcelone ; document publié dans la « Revue internationale des sciences sociales » (n°167 ; 2001).

 « Fédéralisme et Antifédéralisme » (« Que sais-je ? » n°3751) par François Vergniolle de Chantal, Maître de conférences à l’Université de Bourgogne et chercheur spécialisé sur les Etats-Unis à l’IFRI « Institut français de recherches internationales » ; (PUF, Paris, 2005) ; 130 pages (ici, pp. 122-123-124).

- Notre dossier :

 « Pour un tour du monde des fédéralismes (Editorial) ».

 « Histoire du Fédéralisme en Amérique du Nord ».

 « Histoire du Fédéralisme en Amérique latine ».

 « Fédéralismes du Pacifique ».

 « Fédéralismes africains ».

 « Fédéralismes du monde arabe ».

 « Fédéralismes d’Orient et d’Asie ».

 « Fédéralismes d’Europe ».

Notes

[1Et dans ce dossier, nous examinerons également toutes les autres formes de coopération - internationales, supranationales ou « mixtes » - et toutes les formes de fédéralismes (interne, européen, mondial) qui irriguent les relations internationales du monde d’aujourd’hui

[2Projets de "fédéralisation de la Chine" - déjà envisagés par le « Père de la Patrie » Sun Yat-Sen ou son adversaire politique Chen Jiongming - et à nouveau récemment développés par l’ancien président taïwanais Lee Tenghui et par le dissident démocrate Yan Jiaqi. (A lire dans : « Fédéralismes d’Orient et d’Asie » et dans « Fédéraliser la Chine »).

[3Projets de "fédéralisation du Japon" récemment développés par les dirigeants "centristes" japonais Naoto Kan et Masayoshi Takemura. (A lire dans : « Fédéralismes d’Orient et d’Asie »).

Vos commentaires
  • Le 25 août 2008 à 11:27, par arturh En réponse à : Pour un tour du monde des fédéralismes

    Merci pour le rappel, Ronan, mais soyons pragmatiques. On ne va pas inventer le fil à couper le beurre du fédéralisme, c’est certain, mais à quoi peut se comparer l’UE ? La réponse est simple. L’UE ne peut se comparer qu’aux USA. C’est une question d’échelle.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_PIB_(nominal)

    Et c’est le moment d’être concret. ".... « Banco ». Gage d’un début d’aventure réussi, les anciens désaccords n’ont pas été passés sous silence. Quand Bové l’ex-noniste dénonce une Constitution européenne élaborée par des « chefs d’Etats et des technocrates », et demande que les députés élus en 2009 forment une assemblée constituante, Cohn-Bendit répond « banco » ,..." http://www.liberation.fr/actualite/politiques/347371.FR.php

    Le débat concret est lancé.

  • Le 25 août 2008 à 14:48, par Ronan En réponse à : Pour un tour du monde des fédéralismes

    Et qui se souvient qu’en 1961 l’ancien homme politique américain (républicain) - alors à la retraite (mais de tout premier plan) - Alf. Landon (ancien gouverneur du Kansas - entre 1933 et 1937 - et adversaire malheureux du démocrate Franklin D. Roosevelt lors des élections présidentielles de 1936) avait alors lancé un appel pour l’intégration des Etats-Unis aux Communautés européennes et à leur futur Marché commun ?!

    Un projet semblable à celui déjà porté - pendant la guerre froide - par, entre autres, le journaliste américain et militant fédéraliste Clarence Streit : alors, il s’agissait d’unir les démocraties occidentales face au risque de l’impérialisme soviétique (et de transformer l’Otan en une fédération politique, démocratique).

    Fondant (en 1949) l’ « Atlantic Union Committee » (en vue de réformer l’Alliance atlantique selon les principes de la démocratie et du fédéralisme) et proposant (en 1962) une « True Atlantic Community » définie comme étant "le premier pas vers une véritable fédération atlantique entre les démocraties puis, ensuite, vers une fédération mondiale".

    Un projet d’association transatlantique qu’on retrouve - peu ou prou - dans le projet de « Ligue of democracies » récemment proposé par le candidat républicain John McCain. Ou dans les conceptions d’ « Union occidentale » transatlantique récemment développées par l’ancien PM français Edouard Balladur dans l’ouvrage présenté au lien ci-dessous...

  • Le 26 août 2008 à 08:30, par arturh En réponse à : Pour un tour du monde des fédéralismes

    Le parrallèle est évidemment tentant : on peut attendre la Caracalla US qui décidera soudain d’accorder la nationalité américaine à tous les citoyens de l’UE.

    Je trouverai dommage que l’utre versan de la civilisation ocidentale que constitue l’Europe, tout entier contenu dans l’UE, n’offre pas au monde une alternative au modèle US. Ne serait ce que pour les bien des USA.

  • Le 26 août 2008 à 11:18, par Ronan En réponse à : Pour un tour du monde des fédéralismes

    Les projets américains cités ci-dessus ont le grand mérite de nous montrer que les deux rives de l’Atlantique sont interdépendantes et que les Américains eux-mêmes (si, si...) peuvent éventuellement être demandeurs d’une plus grande association avec l’Europe.

    D’un point de vue strictement fédéraliste, juste rappeler que les projets d’unions continentales (comme l’UE actuellement en gestation...) ne sont que des étapes (transitoires) vers la réunification du genre humain (objectif ultime).

    Mais il ne s’agit aucunement de constituer (et peut importe qu’il s’agisse là de l’ « autre versant de la civilisation occidentale »...) des blocs continentaux concurrents d’autres blocs continentaux rivaux (Cf. actuelle dérive du discours européen « néo-chauviniste » à propos du comptage « continental » des médailles olympiques...) ... et dont l’affrontement serait potentiellement plus dangereux encore pour toute l’Humanité que celui opposant jusque là les nations et autres superpuissances...

  • Le 28 août 2008 à 11:55, par arturh En réponse à : Pour un tour du monde des fédéralismes

    Il ne s’agit pas d’une logique d’affrontement mais d’une logique d’émulation.

  • Le 29 août 2008 à 09:14, par Ronan En réponse à : Pour un tour du monde des fédéralismes

    Ben voyons.

    Les nationalistes européens : ils existent, ils sont dangereux. Et on ne va quand même pas leur servir la soupe...

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