Quel avenir pour la Géorgie ?

, par Arthur de Liedekerke

Quel avenir pour la Géorgie ?
Bidzina Ivanishvili, Premier ministre géorgien ©Services audiovisuels de la Commission européenne

Plus de vingt ans après la chute de l’URSS, presque rien ne filtre en Europe des grandes avancées et des progrès incontestables de ce pays pourtant encore dans une situation domestique préoccupante il y a peu. En proie à des heurts interethniques, une crise économique persistante et minée par un système politique népotique et corrompu, la Géorgie a vécu sa transition de satellite communiste vers l’indépendance de façon houleuse. Les troisièmes élections qui se sont déroulées au début du mois d’octobre dans cet Etat du Caucase sont l’occasion d’un état des lieux du pays, de ses institutions et de son avenir.

L’aspiration au changement

Libérée du joug soviétique dès sa dissolution en 1991, la Géorgie ne s’est pas pour autant immédiatement soustraite à son héritage. Velléités séparatistes, rivalités communautaires et affrontements politiques sont le lot d’une administration kleptocratique successivement dirigée d’une main de fer par Gamsakhourdia et Chevardnadze. Le pouvoir est accaparé par une élite coupée du peuple, ne change de main qu’à la suite de coups d’Etat et ne se conserve qu’au prix de sanglantes répressions. C’est dans ce contexte qu’en 2003, sur fond de récession aggravée et de fraude électorale, la grogne monte. Le parti principal d’opposition au régime autoritaire de Chevardnadze, le Mouvement National dont le chef de file est le charismatique Mikheil Saakachvili, mène la fronde contre le gouvernement et réclame de nouvelles élections. La vague de contestation populaire qui secoue l’Europe centrale et orientale n’épargnera donc pas la Géorgie confrontée à des manifestations massives de soutien au Mouvement National : la Révolution des Roses emmenée par Saakachvili fait plier le régime. Brève et pacifique, la Révolution des Roses voit éclore au grand jour un embryon de société civile et de conscience civique dans un pays si longtemps opprimé. Lors de la tenue des élections anticipées le 4 janvier 2004, c’est donc très logiquement qu’une large victoire porte au pouvoir un parti ouvertement pro-occidental et nationaliste.

Acclamé tel un sauveur et auréolé de son parcours académique et politique brillant, Mikheil Saakachvili se voit donc investi de la tâche de rebâtir l’Etat géorgien malgré des fondations plus que fragiles. Tant au niveau économique que politique et juridique, le Président met en œuvre une batterie de réformes qui rapidement portent leur fruit : investissements et croissance font leur retour tandis que fraude et crimes sont en chute libre. Résolument atlantiste, il lance son pays dans un processus d’ancrage à l’Ouest pour éviter les ingérences ou autres tentatives de manipulations sous la houlette de la Russie. Affirmant son désir de rejoindre l’OTAN ainsi que l’Union européenne et parallèlement se retirant d’organisations sous l’égide de la Russie telles que l’Organisation du Traite de Sécurité collective ou encore de la Communauté des Etats indépendants, le divorce sera pleinement consommé entre Russie et Géorgie lorsqu’éclate le conflit de 2008.

Le bilan de Mikheil Saakachvili n’est certainement pas exempt de critiques et de nombreux reproches qui lui sont adressés sont fondés. Ses transgressions sur la liberté de la presse ou ses répressions parfois abusives de manifestations, tout comme son rôle dans la guerre de 2008 sont autant d’écarts à l’Etat de droit et aux pratiques d’une démocratie accomplie. Néanmoins, et à la décharge de ce dernier, le climat et contexte dans lequel le chef de l’exécutif a du exercer ses mandats étaient de réelles entraves à la restructuration pérenne et nécessaire du pays.

Qu’en est-il aujourd’hui du potentiel démocratique du pays ainsi que de ses perspectives d’avenir après les efforts de restructuration lancés par Saakachvili ?

Le Rêve Géorgien ou le début d’une nouvel ère

Espoir ou désillusions ? A peine un mois après ces élections, le recul est insuffisant pour trancher sur les perspectives qu’annoncent les résultats du suffrage. Néanmoins les élections qui se sont déroulées le mois dernier permettent de dresser un bilan des deux quinquennats précédents ; un bilan à la fois en termes de maturité démocratique du pays et de bouleversements que le nouveau gouvernement est susceptible d’entraîner.

L’espoir est surtout le ’potentiel démocratique’ de la Géorgie, ou la capacité institutionnelle dont le pays a fait preuve pour s’élever au dessus du jeu politique lors du processus électoral afin d’assurer une transition pacifique entre gouvernements. Il s’est révélé supérieur aux attentes de beaucoup. La coalition « Rêve Géorgien » menée par le millionnaire Bidzina Ivanichivili a été reconnue victorieuse au lendemain des élections par le Président Saakachvili et son parti du Mouvement National, ce dernier ayant assuré sa volonté d’observer “le choix de la majorité du peuple géorgien” (55%). En dépit d’une campagne sur fond de scandale et de forte polarisation, l’observatoire Transparency International a rapporté peu d’incidents (seulement 15 bureaux de votes) contrevenant a la transparence attendue, tandis que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) saluait un “pas important” pour la démocratie. L’âpre combat politique qui a opposé les différents protagonistes lors de la campagne ne s’est pas traduit par d’importants débordements, hormis quelques actes de violence ou d’intimidation isolés.

Pour la première fois de son histoire et neuf ans après la Révolution des Roses le pouvoir exécutif a changé de mains, sans effusion de sang ou de chasse aux sorcières. En vue du “pouvoir bicéphale” ou cohabitation ainsi que des profonds changements constitutionnels en faveur du Premier ministre prévus pour 2013, la Géorgie a confirmé son ’potentiel démocratique’ croissant et la naissance d’une classe politique plus intègre qu’auparavant.

Cependant quels bouleversements ces élections, ce changement constitutionnel et ce nouveau gouvernement vont-ils déclencher ? C’est ici que les désillusions peuvent se manifester. Tout d’abord ce dénouement révèle un ras-le-bol vis-à-vis de ’l’Occident’ et les promesses qu’il fait miroiter à la Géorgie. Les positions pro-occidentales et atlantistes de Saakachvili ne résonnent plus avec autant de force auprès du peuple géorgien après l’inaction flagrante de l’OTAN qui a été vécue comme une trahison lors du conflit de 2008 avec la Russie. Il est donc envisageable que le nouveau pouvoir favorise un retour à une normalisation des relations avec la Russie, et que par conséquent une probable prise de distance avec l’OTAN ou l’Europe ne soit pas à exclure. Bien qu’il faille se débarrasser des carcans idéologiques du passé pour aborder aujourd’hui les relations internationales, il n’en reste pas moins évident que les différences de conceptions et de convictions entre la Russie et le monde occidental demeurent. Les alliés de l’Europe, et du modèle libéral-démocratique en général, dans la région se font rares et risquer de voir cet Etat s’aligner sur d’autres horizons politiques n’est pas de bonne augure pour la capacité de l’Union à projeter son influence au-delà de ses frontières.

Enfin si ces élections révèlent que les institutions, procédures et acteurs politiques que l’on taxait allègrement d’immatures, opaques et despotiques ont été capables d’assurer une alternance pacifique, il est bon de rappeler que beaucoup de zones d’ombres et d’incertitudes demeurent. La campagne a été très agressive, émaillée de nombreux coups bas ; certains médias sont soupçonnés de collusion ; le populisme et clientélisme ont entaché les efforts de transparence et décrédibilisé certaines institutions ; la reconfiguration politique de la Géorgie laisse entrevoir de nombreux chamboulements et les attaques récentes de la coalition arrivée au pouvoir le 1er octobre envers l’entourage de Saakachvili (arrestation, réduction du budget...) ne laisse entrevoir aucun désir de cohabitation ...

Espérons qu’en ayant fait le choix du Rêve Géorgien, la Géorgie soit en train de se forger un destin loin des affres du passé.

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