Rapport Badinter : l’Europe, un écrin pour les droits de l’Homme

, par Marine Privat

Rapport Badinter : l'Europe, un écrin pour les droits de l'Homme

Alors que les droits et les libertés sont toujours bafoués de par le monde, il est bon de se savoir européen. Ce sentiment s’explique par le fait que l’Europe est le fer de lance des droits de l’Homme. Selon le rapport du sénateur Robert Badinter (illustre défenseur de l’abolition de la peine de mort) publié en mars 2009, non contente de proclamer haut et fort les droits et libertés, l’Europe les protège et leur donne une puissance incomparable ailleurs.

L’Europe à la pointe des droits de l’Homme

Le continent européen, souvent assimilé au berceau des droits de l’Homme, a tenté, par le biais des Etats et de la construction européenne, de faire prévaloir la paix dans cet « espace » géographique du monde où de nombreux conflits se sont déroulés [1]. Sous l’étendard de l’Europe de la paix, l’Union européenne s’est inspirée des déclarations des droits française (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789) et britannique (Bill of rights de 1689) pour proclamer des droits fondamentaux. Cependant, à la lecture de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) de 1950, on constate que le Conseil de l’Europe ne s’est pas contenté de proclamer des droits fondamentaux, il a aussi fait évoluer le contenu de ces droits en leur donnant une dimension politique, économique, sociale ou encore environnementale. La Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales a fait l’objet elle aussi d’évolution grâce à l’ajout de protocoles que les Etats signataires se doivent de ratifier et s’engagent à respecter. Par ce biais, elle prend de l’ampleur et touche désormais des domaines plus actuels, tels que l’abolition de la peine de mort ou encore la bioéthique. Pour parfaire son entreprise, l’Europe ne s’est pas arrêtée à ce stade, elle a en effet publié d’autres conventions, d’autres actes protégeant des droits bien spécifiques. Elle fait face à de nouvelles formes de criminalité (cybercriminalité, bioéthique, trafic d’êtres humains, utilisation des armes chimiques etc.) en créant de nouveaux droits, de nouvelles libertés.

L’adaptation quasi constante de l’Europe fait d’elle une protectrice farouche des libertés de tout individu. Toutefois elle n’est pas la seule à jouer un rôle dans la proclamation des droits, car les Etats eux-mêmes se doivent d’insérer dans leur droit interne les différentes conventions ratifiées. C’est ainsi que la proclamation des droits connait une sorte d’écho : l’Europe les énonce, les Etats les répètent, les citoyens en bénéficient. Bien sûr, il va sans dire que si tous les Etats faisaient écho à ce que proclamait l’Europe, on ne se poserait pas la question de savoir si l’Union a besoin d’une force rapide d’intervention armée, puisqu’on vivrait dans un monde de paix. Non, il est clair que tous les Etats ne ratifient pas à l’unanimité les protocoles additionnels à la CEDH. Certains Etats se concoctent une sorte de CEDH à la carte, choisissant les protocoles en fonction de leur contenu. C’est ainsi que la Russie et l’Azerbaïdjan n’ont ni signé, ni ratifié le protocole n°13 relatif à l’abolition de la peine de mort, ni même le protocole n° 14 amendant le système de sauvegarde de la Convention.

Des garanties européennes nombreuses

Comme le souligne Robert Badinter, la proclamation des droits s’accompagne toujours de garanties, en l’occurrence de la création d’organes de surveillance et de contrôle de ces droits. L’Europe a donc élaboré un système très protecteur vis-à-vis de ces droits, et ce à deux échelles. Les organes européens de protection des droits et libertés sont nombreux. Depuis 2006, l’Europe s’est dotée d’un commissaire aux droits de l’Homme, une institution indépendante du Conseil de l’Europe, incarnée par M. Thomas Hammarberg. Sa mission n’est « que » de proclamer, de promouvoir les droits de l’Homme et de surveiller leur application. Ceci dit, il n’a aucun pouvoir de sanction. Il est nécessairement complété par des organes disposant de moyens pour protéger les droits et libertés et pour sanctionner celui qui ne les respecte pas. C’est le cas de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui peut être saisie par tout citoyen européen qui verrait ses droits violés ou bafoués par un Etat, sous réserve de l’épuisement des voies de recours internes. De même, sur le plan communautaire, il revient à la Cour de Justice de sanctionner les actes pris au sein des Etats qui seraient contraires à certaines dispositions fondamentales.

Ici encore, le rôle protecteur des institutions supranationales se voit complété par l’intervention du juge national qui est en quelque sorte un relais. La jurisprudence des précédentes institutions s’impose aux Etats signataires et les autorités judiciaires et administratives se doivent de l’appliquer. Il y a par conséquent une double protection des droits de l’Homme. Néanmoins, certains Etats sont réfractaires et se voient sanctionnés par les institutions supérieures (notamment la France en matière de respect du droit au procès équitable). Finalement, les deux échelles évoquées ci-dessus n’en forment qu’une : en effet, le juge national se comporte comme un relais et agit en complémentarité des institutions européennes et communautaires. À un autre degré, on notera que l’Europe joue un rôle certain sur le plan international en matière de droits de l’Homme. En effet, elle va promouvoir sa propre vision des droits et libertés à l’échelle planétaire et confier alors leur garantie aux institutions internationales (telles que l’ONU).L’Europe devient alors un pivot des droits de l’homme et de leur protection : elle les proclame pour sa propre zone géographique, mais elle cherche aussi à les promouvoir sur le plan international. Elle est au centre d’une dynamique à la fois mondiale et nationale. Mais elle ne fait pas forcément l’unanimité…

La contestation des droits de l’Homme

La proclamation et la garantie des droits est une chose, mais reconnaitre leur valeur en est une autre. Le problème présenté par le rapport de Robert Badinter est épineux, car si l’Europe est à la pointe en matière de droits de l’Homme, il n’en va pas de même pour certaines zones géographiques de la planète. On voit aujourd’hui se profiler un nouveau débat sur la valeur des droits de l’Homme, dont la mise en œuvre est souvent l’objet de lourdes controverses et de blocages diplomatiques.

Deux conceptions remettent en cause le rayonnement des droits de l’Homme, en posant le doigt sur leur caractère universel. En premier lieu, on trouve la conception souverainiste partant du principe que seul l’Etat est en mesure de fixer les droits et libertés, et que rien ne peut s’opposer à cela. Par conséquent, les droits de l’Homme ne seraient pas universels, et les tenants de cette vision des choses sont de fervents défenseurs du principe de non-ingérence dans les affaires étatiques. Or, cette revendication peut parfois entrer en contradiction avec le droit international public. La seconde conception est la "contestation différentialiste", qui met quant à elle l’accent sur l’origine divine des droits de l’Homme. Or, l’existence d’un Dieu créateur de droits pour les hommes semble quelque peu contraire au principe de laïcité cher au droit international. Se créent alors au sein des organisations internationales des confrontations idéologiques très fortes, donnant naissance à des blocages dans les processus de décision. Il est clair que pour les institutions internationales, il n’est pas question de remettre en cause le caractère universel des droits de l’Homme qui constitue le noyau dur, la nécessité absolue pour tout homme. Robert Badinter en vient à soulever l’hypothèse selon laquelle nous serions dans le cadre d’un « nouveau » combat pour les libertés.

Il est clair que l’Europe est l’écrin le plus protecteur des droits et libertés de l’Homme. Elle a d’une part un rôle d’impulsion au niveau planétaire, d’autre part un rôle de sauvegarde sur sa zone géographique. L’avancée en matière de droits de l’Homme est donc très importante. Pour autant aujourd’hui, on ne peut se contenter de cela : les évènements historiques récents traduisent la présence d’une menace perverse pour les droits de l’Homme, celle de la négation de leur valeur universelle.

Illustration : représentation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Source : Wikimedia.

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Notes

[1Voir le rapport L’Union européenne et les droits de l’homme de Robert Badinter.

Vos commentaires
  • Le 30 octobre 2009 à 08:27, par Manu En réponse à : Rapport Badinter : l’Europe, un écrin pour les droits de l’Homme

    Bon article de synthèse, mais ce qui me frappe, c’est que ce résumé se concentre - et c’est normal - sur la CEDH et le Conseil de l’Europe, alors que le titre du rapport de Badinter - et son contenu, surtout dans la deuxième partie - se concentre sur le Conseil de l’Europe.

    D’ailleurs, une autre chose frappante dans ce rapport est le manque de rigueur qui consiste à regrouper dans un même magma l’action du Conseil de l’Europe (CEDH) et celle de l’UE (CJCE) dans le domaine des droits de l’Homme, comme si « l’Europe » n’était qu’une seule entité. Evidemment, en piquant au Conseil de l’Europe son hymne et son drapeau, l’UE n’a pas facilité les choses...

    Il n’en reste pas moins que ce mélange a comme conséquence de passer sous silence la question fondamentale des rapports entre Union européenne et Conseil de l’Europe (compatibilité des jurisprudences, future adhésion de l’UE à la CEDH autorisée par le traité de Lisbonne, duplication des structures de l’UE avec celles du Conseil de l’Europe, comme par exemple l’Agence des droits fondamentaux de Vienne sur l’utilité de laquelle on peut s’interroger).

    Bref, j’ai le sentiment que ce rapport a été un peu bâclé par l’administrateur du Sénat qui en avait la charge...

  • Le 4 novembre 2009 à 16:18, par Manu En réponse à : Rapport Badinter : l’Europe, un écrin pour les droits de l’Homme

    Je voulais évidemment dire, on l’aura compris, que ce résumé se concentre sur le Conseil de l’Europe, alors que le titre du rapport de Badinter se concentre sur l’Union européenne...

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