Réflexions autour du concept de Nation européenne

, par Ferghane Azihari

Réflexions autour du concept de Nation européenne
Drapeau de l’Union européenne

La Nation est un concept juridico-sociologique très controversé. Dans le domaine scientifique, ce concept tend à être encore plus discuté par les chercheurs qui s’intéressent aux sciences sociales à l’heure des régionalismes croissants. A cet égard, l’Union européenne est l’objet le plus intéressant, d’une part parce que d’un point de vue juridique le projet européen est unique dans l’histoire (en raison de ses origines, son envergure et sa finalité) ; et d’autre part parce que d’un point de vue sociologique il pose des questions complexes en raison des réactions populaires.

Qu’est-ce qu’une Nation ?

Il conviendra d’envisager d’abord la Nation d’un point de vue juridique avant de se pencher sur le point de vue de la sociologie.

D’un point de vue juridique, la Nation a fait l’objet de nombreuses querelles doctrinales. Il conviendra cependant de prendre position en retenant la définition du constitutionnaliste français A. Esmein selon laquelle l’État est la personnification juridique de la Nation. Autrement dit, la Nation serait en quelques sortes le substrat de l’État, une sorte de support sur lequel l’État se construit. Ainsi la stabilité de l’État est indissociable de la stabilité du support que constitue cet abstraction juridique une et indivisible qu’est la Nation, de même que l’absence effective de Nation rend impossible l’existence d’un État. D’un point de vue sociologique on a coutume de distinguer deux écoles quant à la définition de la nation : l’école allemande dont le chef de file est Johann Gottlieb Fichte et l’école française avec Ernest Renan.

Le premier met en avant les critères dits objectifs de la nation. Elle serait un groupement d’individus qui auraient des traits objectifs communs tels que la religion, la langue, la culture, l’histoire voire l’ethnie.

Le second met en avant les critères dits subjectifs. La nation serait ainsi un groupe d’individus qui auraient comme point commun la volonté de vivre ensemble, une sorte d’affectio societatis.

Les deux définitions ne s’opposent pas réellement. Elles sont complémentaires même si on pourrait légitimement soulever le fait que les critères subjectifs sont finalement plus décisifs en ce que les critères objectifs souffrent de limites considérables.

En effet ce n’est pas parce que l’on a des traits objectifs similaires que l’on est abrité sous le même État. En témoignent les cas du Brésil et du Portugal, du Royaume-Uni et de l’Irlande, de la France et de la Belgique. Les exemples en ce sens sont multiples.

Ce n’est pas parce que l’on a des traits objectifs communs que l’on veut être abrité sous le même État. En témoignent les tensions séparatistes en Italie avec la Padanie, en Espagne avec la Catalogne ou encore en France avec la Corse.

Ce n’est pas parce que l’on a pas des traits objectifs communs que l’on ne peut pas vouloir se constituer en État. En témoignent l’exemple de la Suisse et ses trois langues officielles, la Belgique avec ses deux communautés (exemple très sensible) ou encore celui de la France avec ses départements d’outre mer. Enfin les flux migratoires que l’on connaît rendent difficilement applicables tous les critères objectifs et favorisent au contraire les critères subjectifs.

La Nation serait donc un groupement d’individus ayant avant tout envie de vivre ensemble, se constituant ainsi en abstraction juridique propice à la construction d’un État : le fameux État-nation. Cette volonté de vivre ensemble peut être rationnelle ou irrationnelle, alimentée par des traits identitaires objectifs ou alors des intérêts communs.

Qu’en est-il de l’Union européenne ?

Si la question est compliquée pour l’Union européenne, c’est à cause des controverses qui subsistent quant aux arguments qui tentent de légitimer le projet européen, notamment l’argument identitaire [1]. Peut-on parler de traits objectifs communs ? Il faudrait éplucher les critères un par un.

L’argument historique est fragile. Car si l’antiquité gréco-romaine nous a légués un héritage culturel commun qui constitue un des piliers de la culture occidentale, l’histoire politique européenne post-antique demeure plus ou moins chaotique avec de nombreuses guerres et de facto beaucoup plus de divisions que d’unités.

L’argument religieux ne tient plus. Si les États européens ont pour racine commune la chrétienté (et cela est relatif en ce que certaines parties du continent ont été sous forte influence islamique, comme l’Espagne ou Malte), les flux migratoires font de l’Europe une terre pluriculturelle dans laquelle la multiplicité des cultes est permise grâce au concept de laïcité ou plus généralement de liberté de conscience, de culte et de religion.

L’argument idéologique est lui moins controversé. Les courants philosophiques ont toujours eu une dimension transnationale et cela peu importe les époques. C’est par exemple pour cela qu’en France, les philosophes, qu’ils soient italiens, néerlandais, allemands... ne sont pas moins connus que les philosophes français. Cela est pareil pour les courants artistiques, l’exemple le plus significatif est sans doute celui de la musique occidentale savante de sorte que les compositeurs étrangers ne sont pas moins écoutés que les compositeurs français.

La faiblesse de ces traits objectifs

L’Union européenne est malheureusement souvent qualifiée de projet élitiste et cela peut-être à cause du fait que les arguments qu’on tend à mettre en avant concernent beaucoup trop le milieu culturel savant. On n’est pas tous sensible à l’héritage historique gréco-romain, à la musique savante européenne, aux courants artistiques et philosophiques transnationaux. L’Europe a besoin de nouveaux arguments pour se faire valoir auprès des populations et ainsi faire en sorte que les différentes Nations établies sur le vieux continent aient à leur tour cette envie de vivre ensemble et qu’ils puissent se constituer en Nation européenne qui ne se substituerait pas à elles mais qui se superposerait à celles-ci. C’est le sens de l’idéologie fédérale qui vise à unir les intérêts des peuples tout en respectant leurs particularismes respectifs.

Ainsi l’argument central est tout simplement l’interdépendance de fait des sociétés qui doit se traduire en interdépendance en droit. Le simple fait que la vie d’un Français dépend tout aussi bien de son gouvernement que celui d’un Italien, d’un Allemand, d’un Autrichien et inversement doit suffire à énoncer qu’il est indispensable qu’une Nation soit institutionnellement responsable devant d’autres. De cette reconnaissance doit ainsi naître le sentiment de vouloir gérer nos affaires publiques en commun, sentiment aujourd’hui beaucoup trop fragile en Europe.

Mots-clés
Notes

[1A ce propos voir l’article de Sophie Duchesne et André-Paul Frognier « Sur les dynamiques sociologiques et politiques de l’identification à l’Europe », Revue française de science politique 4/2002 (Vol.52), p. 355-374

Vos commentaires
  • Le 18 mars 2013 à 21:36, par Valéry En réponse à : Réflexions autour du concept de Nation européenne

    Merci pour cet article qui aborde des questions importantes mais me semble j’en ai peur souffrir de son présupposé selon lequel le concept de nation correspondrait à une réalité objective que l’on pourrait mesure ou observer de manière distincte de l’État qu’elle serait supposer fonder. Parler d’une approche juridique et sociologique c’est oublier que la nation est d’abord une construction idéologique tentant de substituer à la personne physique du monarque comme fondement de l’État une idée abstraite dont la mission est d’en légitimer l’existence.

    Je vous invite à lire l’article “L’État national” de Mario Albertini car sans la déconstruction du discours idéologique sur la nation il est difficile d’envisager l’Europe comme autre chose qu’une union d’États alors qu’elle a vocation à devenir, c’est ce que nous souhaitons ici une union d’États ET de citoyens c’est à dire une fédération.

    À partir de là idée nationale et fédéralisme ne sont en rien incompatibles : la plupart des grands États fédéraux sont aussi des États issus d’un discours nationaliste. Une fois la déconstruction de l’idée d’État national entreprise et la nation redéfinie comme étant fondamentalement l’idéologie de l’État national, le discours visant à le légitimer ; redéfinition qui explique soit dit en passant la diversité des définitions que l’on rencontre sur ce qu’est une nation ; alors on peut se demander — et c’est là où votre conclusion est intéressante — si un État fédéral européen peut se passer d’un discours idéologique à vocation national, fut-il celui d’une « nation de nations » ou bien s’il peut se construire sur la base du seul « patriotisme constitutionnel » où identité et citoyenneté deviennent distincts.

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