On nous objectera que les intérêts du Français ne sont pas toujours les mêmes que ceux de l’Allemand ou du Maltais. Soit, mais gardons bien à l’esprit que les intérêts de l’Alsacien ne sont pas non plus toujours les mêmes que ceux des Corses et des Bretons ! Sans relancer le débat sur l’intérêt politique d’une fédéralisation de l’Europe et encore moins sur sa forme, dressons simplement un portrait du réseau diplomatique en Zone euro, tel qu’il est aujourd’hui et tel qu’il pourrait être demain.
Nous prenons comme hypothèse une Fédération européenne basée sur la Zone euro, plutôt que sur l’Union européenne.
Aujourd’hui : partout, mais nulle part
Voici ce qui se cache derrière les réseaux diplomatique des pays de la Zone euro et, à titre de comparaison, celui des États-Unis.
Pour à peine plus d’habitants, la Zone euro a 7,5 fois plus d’ambassades que le premier réseau diplomatique du monde, celui des États-Unis. Évidemment, nous ne couvrons pas plus de pays qu’eux. Ces données sont approximatives et il conviendrait d’ajouter les autres formes de représentations diplomatiques, mais ce serait remuer le couteau dans la plaie.
Cette redondance ne nous apporte rien de bon : cacophonie, dispersion, gaspillage et parfois paralysie ! Lorsque les États-Unis parlent d’une seule voix, ça chuchote à 17 dans la Zone euro (à 28 en Union européenne : 27 ministres des affaires étrangères, plus Catherine Ashton et son Service européen pour l’action extérieure).
Concernant les employés, les données viennent soit des sites officiels (Belgique, Finlande, Allemagne, France, Italie), soit de courriels (puisque certains ministères ont répondu à mes quelques questions). En additionnant ces données partielles, où manquent des pays comme l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal ou encore la Grèce, on arrive à plus de 43 000 employés. Si on extrapole pour combler les données manquantes, on tourne autour de 60 000 personnes employées dans le réseau diplomatique de la Zone euro. À titre de comparaison le Department of State (USA) embaucherait 50 000 personnes environ.
Demain : partout
Non seulement notre réseau diplomatique pléthorique défend mal les intérêts des Européens, mais en plus l’argent du contribuable est gaspillé. Les pistes de réduction des dépenses, sans nuire aux services, sont nombreuses :
- Réduction du nombre de représentants officiels (peu nombreux, mais qui ne sont pas payés au salaire minimum, qui ont souvent un chauffeur, etc.), puisqu’il est inutile d’avoir 17 ambassadeurs par pays ; suppression de ces postes et réduction du personnel au sein de la Zone euro, puisqu’il est inutile d’être représenté chez soi (une ambassade d’Allemagne en France serait comme une ambassade d’Alsace en Aquitaine).
- Suppression du patrimoine immobilier en Zone euro (sauf pour le ministère) et réduction à l’extérieur (inutile d’avoir 17 bâtiments à Moscou). Il s’agit de fermer pas moins de 1600 représentations diplomatiques, et c’est un minimum, tout étant devant les États-Unis.
- Rationalisation sur d’autres activités : un seul site web (donc une seule équipe technique), une seule équipe de relations publiques, idem pour les ressources humaines, la comptabilité, les programmes d’aide, etc.
- Une seule représentation lors des rassemblements internationaux (G20, Rio+20, etc.) et dans les institutions internationales (ONU, OTAN, etc.).
Bien sûr, les petits et moyens pays ont beaucoup plus à gagner que la France, l’Allemagne ou encore l’Italie. La charge diplomatique pour le Français est beaucoup plus faible que pour le Luxembourgeois (un peu comme si la Communauté Urbaine de Strasbourg entretenait 30 représentations diplomatiques à travers le monde). Passer la diplomatie à la Zone euro allègerait considérablement le fardeau des plus petits, et bien peu celui des plus gros. Néanmoins, on dit bien qu’il n’y a pas de petites économies et en période de fort endettement public, c’est d’autant plus vrai.
De plus, une telle fusion diplomatique serait l’occasion de repenser les procédures pour simplifier et dématérialiser au maximum et donc probablement faire des économies au-delà de la simple rationalisation des effectifs, de l’organisation et du patrimoine immobilier.
Les seuls perdants d’une telle fusion diplomatique sont les employés des services diplomatiques nationaux et plus particulièrement les ambassadeurs, consuls et autres représentants officiels. Ce qui est ennuyeux, c’est que ce sont eux qui nous représentent à l’étranger comme en Zone euro. Est-ce pour cela que l’intégration européenne reste bloquée à cet intergouvernementalisme handicapant ? Que faisons-nous de l’intérêt du citoyen, du contribuable ?
Enfin, une diplomatie unique serait logiquement accompagnée d’une armée unique. Là le débat est beaucoup plus complexe, puisqu’interviennent la logistique, l’équipement et l’industrie. D’autres enjeux, d’autres contraintes, mais là aussi des avantages sont à espérer : économies par la rationalisation et économies d’échelle sont les plus évidents, il y en a d’autres.
Imaginez la Zone euro avec un seul ministère des affaires étrangères, combiné à un seul réseau diplomatique. Nous gagnerions en cohérence et en influence, tout en réalisant de substantielles économies.
1. Le 1er août 2012 à 09:45, par Julien-223 En réponse à : Représentation diplomatique de la Zone euro
Attention à la logique comptable.
Le réseau d’ambassades européennes en Europe joue tout de même un rôle aujourd’hui, on ne peut pas le supprimer comme ça, en partant du principe que la société européenne est comme la société française.
Il n’y a pas encore de société européenne ! Aujourd’hui, les ambassades des pays européens assurent un minimum de brassage et d’échange sur le continent... Paris serait certainement moins européenne sans le réseau d’ambassades européennes qu’elle accueille. C’est vrai, on n’a pas besoin de ce réseau d’ambassades entre régions françaises, car il existe une mobilité professionnelle, étudiante, ou résidentielle en France. Mais cette mobilité n’est pas une réalité à l’échelle de l’Europe, même si elle existe en droit.
Poussée à l’extrême, la logique comptable voudrait qu’on fédéralise la planète entière pour pouvoir supprimer toutes les ambassades et tous les ministères des affaires étrangères au monde. Pour le coup, on ferait de super économies...
2. Le 1er août 2012 à 10:37, par Xavier Chambolle En réponse à : Représentation diplomatique de la Zone euro
– « Il n’y a pas encore de société européenne ! »
Cet article est basé sur une hypothèse, non sur la réalité. ;)
– « les ambassades des pays européens assurent un minimum de brassage et d’échange sur le continent… [...] cette mobilité n’est pas une réalité à l’échelle de l’Europe, même si elle existe en droit. »
Je ne savais pas que l’objectif d’une ambassade était d’assurer un brassage ou la mobilité. Il me semblait qu’un réseau diplomatique servait à "appliquer la politique étrangère", à entretenir des relations avec l’étranger et à assister les citoyens se trouvant à l’étranger.
– « Attention à la logique comptable. »
Ce n’est pas tout à fait une logique comptable, bien que le tableau donne cette impression. Il s’agit juste de montrer à quel point le réseau diplomatique de la Zone euro est énorme et donc, cela va de soi, souffre de nombreux doublons dès lors qu’on conçoit la Zone euro comme un ensemble fédéral.
D’ailleurs j’en profite pour signaler les "réformes" que l’on pourrait mettre en place dans la foulée : « repenser les procédures pour simplifier et dématérialiser au maximum et donc probablement faire des économies au-delà de la simple rationalisation des effectifs, de l’organisation et du patrimoine immobilier. »
Ce ne sont pas seulement les inconvénients d’ordre économique qui sont mis en évidence dans l’article.
Aujourd’hui des passeports français, italiens, allemands, etc. avec l’obligation d’aller dans une ambassade de son pays, s’il y en a une. Demain un passeport européen et la possibilité d’aller dans n’importe quelle ambassade européenne.
3. Le 1er août 2012 à 18:07, par Julien-223 En réponse à : Représentation diplomatique de la Zone euro
Le brassage n’est pas l’objectif du réseau diplomatique, mais ç’en est le corrollaire.
C’est vrai, il est un peu inconcevable que les Etats européens maintiennent entre eux des réseaux diplomatiques dont l’objectif est de mettre en oeuvre une politique étrangère et d’assister leurs ressortissants. Les Etats membres ne sont pas étrangers les uns aux autres, et la citoyenneté européenne est là justement pour que n’importe quel Européen bénéficie des mêmes droits partout en Europe.
Reste que cette citoyenneté est incomplète et que les consulats jouent encore un rôle aujourd’hui. Avant de les supprimer, toute une série de procédures et démarches devront être harmonisées. Et supprimer les consulats, ce serait aussi empêcher les Français de l’étranger de prendre part aux élections présidentielles, sénatoriales, parlementaires... C’est un choix qui se justifie mais qui va à l’encontre de la tendance actuelle et qui sera difficile à prendre politiquement.
Par ailleurs, les ambassades aussi jouent un rôle non négligeable : coopération scientifique, culturelle, éducative, fiscale, administrative, dialogue politique... Les champs de coopération qui ne sont pas encore tombés dans les compétences de l’UE sont encore importants, et on voit mal un voyage officiel se faire sans ambassade.
La différence avec les relations entre régions françaises, c’est que les régions françaises n’ont absolument aucun intérêt à coopérer entre elles. Elles n’ont ni les compétences pour, ni les moyens pour, ni les enjeux pour, sauf pour faire du lobbying à Paris ou Bruxelles. Et quand un région ouvre une représentation auprès d’un autre (ex : Aquitaine en Rhénanie du Nord), c’est généralement assez suspect.
C’est pourquoi la suppression pure et simple des ambassades intra-européennes me paraît encore très très lointaine et certainement pas aussi urgente que le renforcement du SEAE. Pourquoi ne pas appeler plutôt dans un premier temps à transformer ces ambassades en « Représentations permanentes » dont le rôle serait redéfini ?
4. Le 2 août 2012 à 00:33, par Azerty Uiop En réponse à : Représentation diplomatique de la Zone euro
Bonjour, mon commentaire est très certainement hors sujet sur cet article, mais je ne sais pas vraiment ou poster.
Voila je visite ce site depuis quelques temps, et j’ai une question qui me taraude : En quoi, pour vous, le modèle des Etats-nations est dépassé, et qu’est-ce qui justifie le fédéralisme européen ? Car je l’avoue les quelues lignes que l’ont peut lire à ce propos dans certains articles ne m’ont pas convaincu, et l’idée du fédéralisme semble pour tous les rédacteurs quelque chose d’acquis sans qu’on sache réellement pourquoi( en tout cas c’est mon ressenti). Il est fort probable que j’ai mal cherché, mais si il y a un article ou un dossier qui l’explique, merci de m’en donner le lien svp.
Salutations !
5. Le 2 août 2012 à 10:15, par Jonathan Leveugle En réponse à : Représentation diplomatique de la Zone euro
Bonjour Azerty Uiop,
Dans le but d’essayer de répondre à votre question voici quelques articles que je vous conseille de lire et qui, je l’espère, vous éclaireront :
*
La signification du fédéralisme*Vers une Europe fédérale
*Pourquoi nous sommes Européens fédéralistes
Si ces articles ne vous éclairent pas ou que des questions subsistent, n’hésitez pas à revenir vers nous.
Bien à vous,
Jonathan LEVEUGLE
6. Le 2 août 2012 à 12:46, par Xavier Chambolle En réponse à : Représentation diplomatique de la Zone euro
@ Julien
Bien sûr, vous avez tout à fait raison, il n’est certainement pas envisageable de faire ce que je suggère dans cet article vue la situation actuelle (intergouvernementalisme, UE qui a des compétences qui n’ont rien à voir avec ces réseaux, etc.).
C’est bien pour ça qu’en début d’article je pose une hypothèse : fédération européenne basée sur la Zone euro. Ensuite je montre ce qu’on y gagnerait, notamment en économies. ;)
7. Le 8 août 2012 à 13:03, par boupiquod En réponse à : Représentation diplomatique de la Zone euro
@Azerty Uiop
Bonjour,
En quoi, pour moi, le modèle des États-nations est-il dépassé, et qu’est-ce qui justifie le fédéralisme européen ?
Le modèle de l’État-nation « France » est dépassé pour moi parce que je ne m’y reconnais pas. Or il me semble qu’une nation existe tant qu’elle génère un fort sentiment d’appartenance chez ses membres (ou au moins la majorité d’entre eux). Reste l’État, bien sûr, et j’en fais partie : je fais mon possible pour respecter les lois et la justice, je vote lorsqu’on me demande mon avis, etc. Pour autant, je me sens moins bien représentée à l’Assemblée nationale qu’au Parlement européen (en raison des modes de scrutin). ==> Je préfèrerais donc que ce dernier ait plus de pouvoir.
Pourquoi être favorable à une Europe fédérale ? Par pragmatisme.
Il se trouve qu’en 2012, notre monnaie est l’Euro. Qu’elle est partagée avec d’autres pays européens. Que notre avenir économique est donc désormais commun, ce qui nous oblige à le gérer ensemble. Les autres institutions européennes existantes sont moins contraignantes. Mais une monnaie commune rend indispensable une politique économique commune. Soit il faut sortir de l’Euro, soit il faut donner à l’Union monétaire un vrai pouvoir. Aujourd’hui ce pouvoir existe de fait : on voit bien que les États sont obligés de se mettre d’accord. Mais il n’est pas démocratique, il est exercé par les chefs des États les plus puissants du groupe. Une fédération pourrait le rendre démocratique.
Quant à sortir de l’Euro... Ce serait un échec qu’il faudrait savoir gérer, dont il faudrait tirer les leçons. En théorie, un échec peut être formateur et bénéfique à long terme. Je suis peut-être pessimiste, mais je ne fais pas assez confiance à nos gouvernants pour cela.
Le projet européen est pacifiste et généreux. Bien sûr, c’est une utopie. Mais ce sont des valeurs dans lesquelles je me reconnais.
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