Robert Schuman et les Pères de l’Europe : Cultures politiques et années de formation

De l’idée à l’unité européenne : pensée et héritage des Pères de l’Europe

, par Jean-François Thull

Robert Schuman et les Pères de l'Europe : Cultures politiques et années de formation

Fruit du partenariat instauré entre la Maison de Robert Schuman et le réseau des Maisons des Pères de l’Europe, les actes du colloque « Robert Schuman et les Pères de l’Europe : Cultures politiques et années de formation » [1] sont à la mesure de l’ambition initiale qui avait été affichée lors de son lancement : aborder avec un nouveau regard les parcours des différents Pères de l’Europe, français, allemands, belges, néerlandais, luxembourgeois et italiens qui ont, selon le mot du président Philippe Leroy, « porté la construction européenne sur les fonts baptismaux ».

Sylvain Schirmann, directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg et président du Comité scientifique de la Maison de Robert Schuman rappelle dans son introduction aux problématiques scientifiques du colloque que pas plus le contexte géopolitique dans lequel le projet européen a pris forme que le rôle éminent du courant démocrate-chrétien ne suffisent à expliquer de façon pleinement satisfaisante le processus d’unification européenne.

Qui sont les « Pères de l’Europe » ?

Il convient donc de s’interroger sur la place de ceux que la postérité a paré du nom de « Pères de l’Europe » pour tenter une explication globale. C’est donc en posant la question de la « sensibilité à l’Europe » des premiers architectes de l’unité européenne, que les vingt deux intervenants (professeurs, enseignants-chercheurs, doctorants) de ce colloque explorent les axes de recherche orientés sur le rôle des formations (formation spirituelle, lectures, filiations intellectuelles), des héritages et des entourages (religieux, familiaux, politiques, associatifs), des premiers engagements militants, mais aussi de l’expérience et de la perception des guerres mondiales dans l’engagement européen de ces hommes.

Les textes rassemblés dans ce volume dessinent ce faisant une typologie des Pères de l’Europe. Exercice complexe car s’il permet d’identifier quelques dénominateurs communs et de suggérer d’éclairants corrélats, il doit toutefois prendre en considération la diversité des profils et la pluralité des itinéraires, encore accentués par des écarts générationnels importants (23 années séparent Adenauer de Spaak). L’héritage religieux, primordial dans l’engagement européen de Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, Joseph Bech ou encore de Paul van Zeeland, est en revanche moins prégnant dans la démarche européenne des laïcs Jean Monnet et Paul-Henri Spaak bien qu’ils partagent le même socle de valeurs humanistes.

Divergences et convergences

La formation de ces hommes constitue quant à elle, pour partie, un élément de convergence entre eux. En effet, la majorité des Pères de l’Europe sont juristes ; ce qui n’empêche pas les brillantes exceptions : des études de philosophie pour De Gasperi et d’économie pour van Zeeland tandis que Monnet et Altiero Spinelli se singularisent comme autodidactes. L’influence et le rôle des lectures dans la conscience européenne de ces hommes est en revanche assez difficile à évaluer. On observe ainsi un abîme entre le bibliophile Robert Schuman et l’amateur de bandes dessinées Paul-Henri Spaak.

Plus significatif est le rapport à la terre et au pays. Hommes des marches (Robert Schuman, Alcide De Gasperi), hommes des terres d’Entre-Deux (Benelux, Rhénanie, Lorraine, Trentin), profondément liés au terroir (dans le cas de Jean Monnet), les Pères de l’Europe puisent dans leur enracinement territorial une vision décloisonnée de l’espace politique et culturel auquel ils appartiennent. Bilingues, voire polyglottes, leur rapport à la nation et à l’étranger apparaît moins figé d’autant que ces hommes ont la conscience d’appartenir à une civilisation commune. C’est en ce sens que Robert Schuman écrit qu’« abandonner l’Europe serait non seulement enregistrer un suicide, mais encourir devant l’histoire la terrible responsabilité d’avoir laissé perdre un patrimoine qui nous a été confié, il y a près de 2000 ans ».

Mais l’expérience déterminante et souvent traumatisante qui rassemble les Pères de l’Europe est incontestablement l’épreuve des deux guerres mondiales. De là provient l’idée d’une Europe nécessaire à l’œuvre de paix, une œuvre qui passe par la création d’organes économiques et institutionnels communs (« L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre » rappelle Robert Schuman dans sa déclaration du 9 mai 1950).

Revenir à la genèse de l’Europe

En multipliant les points de vue et en apportant des éclairages souvent inédits sur les fondateurs de la construction européenne, cet ouvrage collectif permet en définitive de comprendre que les Pères de l’Europe sont d’abord des hommes attentifs à faire coïncider l’idéal avec le réel tout en composant avec les contraintes de l’immédiat, et ce en mettant en place des solidarités de fait et en progressant sans hâte et méthodiquement (« L’Europe des petits pas »).

Si, pour reprendre la boutade d’Étienne Davignon, ancien chef de cabinet de Paul-Henri Spaak et vice-président de la Commission européenne (1981-1985), ces Pères de l’Europe n’auraient sans doute pas aimé passer leurs vacances ensemble, ils ont été tout à la fois des Européens de cœur et de raison.

Marie-Thérèse Bitsch, professeur émérite à l’Université de Robert Schuman de Strasbourg, qui fait la difficile et remarquable synthèse de ces actes souligne non sans humour que « signe d’une époque et d’une culture ce colloque ne s’est intéressé qu’aux pères d’une Europe qui semble orpheline de mère » mais que « peut-être, à l’avenir, des historiens pourront-ils étudier aussi le rôle des femmes dans la construction européenne ».

Si l’Europe institutionnelle d’aujourd’hui peine à trouver son chemin au gré des crises successives qu’elle traverse, sans doute gagnerait-elle à s’inspirer du dessein de ses premiers architectes et à se rappeler le vœu que formulait l’un d’entre eux, l’ancien président belge de la Commission européenne Jean Rey, qui prédisait : "Un jour, nous aurons réalisé les Etats-Unis d’Europe et nous irons nous recueillir sur la tombe de Robert Schuman et visiter sa maison de Scy-Chazelles, comme les Américains vont visiter à Mount-Vermont la maison de George Washington."

Illustration : couverture des actes du colloque.

Les actes du colloque « Robert Schuman et les Pères de l’Europe » constituent le premier jalon d’une série de publications initiées par le Conseil Général de la Moselle, dans le cadre de la Maison de Robert Schuman, qui entend développer son action en faveur de la recherche historique sur la genèse de l’idée européenne et l’évolution de la construction d’une Europe unie jusqu’aux enjeux actuels de l’intégration européenne.

Sylvain Schirmann (dir.), Robert Schuman et les Pères de l’Europe - Cultures politiques et années de formation, Publications de la Maison de Robert Schuman Vol. 1, Bruxelles, Frankfurt am Main, 2008. 361 p. 40 € - ISBN 978-90-5201-423-4

Mots-clés
Notes

[1organisé à Metz du 10 au 12 octobre 2007 par le Conseil Général de la Moselle.

Vos commentaires
  • Le 4 janvier 2009 à 06:59, par Martina Latina En réponse à : Robert Schuman et les Pères de l’Europe : Cultures politiques et années de formation

    Merci à nos amis de Scy-Chazelles et aux Pères de l’Europe. Oui, revenons à sa « genèse », non par régression nostalgique, mais pour puiser dans ses sources toujours fraîches les forces nécessaires à la paix. En ce dimanche de l’Epiphanie, premier de l’an tout 9, celle-ci a grand besoin de notre énergie et de notre imagination eurocitoyennes. D’ailleurs, l’Europe ne se reconnaît-elle pas obscurément une mère plus réelle que légendaire dans la figure de la jeune Phénicienne enlevée par un dieu et devenue ainsi, dès l’origine, la formatrice grecque, donc européenne, en matière de communications, marines par la navigation phénicienne, écrite par l’alphabet phénicien ? Que de sites le prouvent en Europe comme au Proche-Orient ! Cette filiation et cette parenté valent bien la peine que nous nous concertions, que nous nous organisions, pour inventer la paix ; or - comme l’affirmait G. Bernanos en 1940 et comme j’ai déjà eu l’honneur de la rappeler aussi dans ce Magazine - « construire est toujours une oeuvre d’amour ».

  • Le 11 août 2009 à 12:30, par MOI En réponse à : Robert Schuman et les Pères de l’Europe : Cultures politiques et années de formation

    Bonjour,

    Oui mais alors ceci ? , J’ai pu visionné une conférence de L’UNION EUROPÉENNE : MYTHE ET RÉALITÉS, CONFÉRENCE DU 13 JUIN 2008.,ou l’on parle de R.Schuman. Cela est t’il exact ? Extrait ci dessous. Merci

    La conférence entière : http://www.dailymotion.com/video/x6s90y_europe-mythe-et-realites_news

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