Royaume-Uni et liberté de la presse

Rapport « Goodbye to Freedom »

, par Celia Hampton, Traduit par Rachid Ouadah, William Hortsley

Royaume-Uni et liberté de la presse

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail. Aujourd’hui, voici la situation en Royaume-Uni.

Présentation générale

La liberté de la presse et des médias affiche une très bonne santé en Grande-Bretagne, et cela trois ans après un retour en arrière notable. En effet, en 2004, le président et le directeur général de la BBC, ainsi qu’un journaliste, avaient été poussés à la démission suite à la révélation des faiblesses du rapport gouvernemental sur la supposée présence d’armes de destruction massives en Irak, et la mort de l’expert en armement le Docteur David Kelly.

Une campagne intensive menée par la BBC et des associations de médias a obtenu l’adhésion du public et a favorisé les pressions politiques qui ont abouti à la libération du journaliste TV et radio Alan Johnston en juin 2007. Ce dernier avait été kidnappé par un groupuscule palestinien dans la bande de Gaza et détenu pendant trois mois.

La confiance du public en ses institutions audiovisuelles a été sérieusement entamée cette année lorsque les deux premiers acteurs du marché britannique, la BBC et ITV, ont été impliqués dans un scandale retentissant. Il a été révélé que plusieurs jeux télévisés utilisant le principe des appels téléphoniques surtaxés étaient truqués. Les téléspectateurs appelant se voyaient promettre des lots fictifs ou simplement escroqués.

...la presse d’actualité britannique reste à la pointe dans l’investigation et le remise en question

Pour autant, la presse d’actualité britannique reste à la pointe dans l’investigation et le remise en question. Elle n’a pas hésité à couvrir des sujets sensibles telle l’enquête policière « Du cash pour l’honneur » au sein du Parti Conservateur et du Labor. Tony Blair fut ainsi le premier Premier Ministre en poste de l’Histoire à être appelé à témoigner dans une affaire criminelle. Suite à une décision des procureurs, les accusations ont été levées.

En juin 2007, en quittant ses fonctions, Tony Blair a violemment fustigé le comportement de la presse qui, selon lui, soumise à la pression d’une actualité non-stop, « est comme une bête féroce qui réduit les gens et leur réputation en morceaux ». Le gouvernement Blair a lui-même poussé la communication politique à la vitesse supérieure grâce à ses conseillers en relations presse. Il a publiquement courtisé de puissantes personnalités des médias comme Rupert Murdoch dans l’espoir de forger des alliances au sein des organes de presse et de communication les plus populaires.

Le gouvernement Blair a décloisonné le système de « lobby », ouvrant les séances presse du porte-parole du premier ministre à tous les journalistes et non plus seulement à ceux accrédités par le Parlement britannique. L’administration Blair a également promulgué un « Freedom of information act » (loi sur la liberté de l’information) afin d’améliorer l’accès à l’information officielle.

Le nouveau Premier Ministre, Gordon Brown, a promis encore plus d’ouverture vers les médias et l’opinion publique dans la perspective de mettre fin à la tradition de secret gouvernemental qui prévaut en Grande-Bretagne. Cette atmosphère d’ouverture est palpable dans les médias et ces pressions ont dissuadé le gouvernement de restreindre la loi sur la liberté de l’information.

Le principe de liberté d’information a été renforcé par des décisions historiques émanant de la Chambre des Lords, la plus haute juridiction britannique. La première confirme qu’un média peut se défendre légalement contre les accusations de diffamation s’il prouve qu’il a agi dans l’intérêt du public. Une autre décision a permis de protéger un journaliste dont on a exigé de révéler ses sources dans une enquête portant sur les fichiers médicaux des hôpitaux.

Toutefois, une cour de justice britannique a décidé que l’ex-espion et auteur David Shayler se portait hors-la loi s’il continuait de dévoiler plus de secrets d’Etat. On signale également le cas d’un journaliste qui a écopé de 4 mois de prison pour avoir mis sur écoute les téléphones de membres de la famille royale.

Cas d’étude : les nouvelles règles de l’UE et la régulation de la vidéo sur internet

Un sentiment de malaise domine l’humeur des associations de journalistes et des observateurs des médias. En effet, la Commission Européenne, avec l’approbation de représentants des gouvernements, prévoit d’étendre les lois encadrant la diffusion télévisuelle au contenu vidéo sur Internet actuellement en pleine expansion. Cette nouvelle directive remplacerait celle dite « Télévisions sans frontières ».

Ces nouvelles conditions sont résumées dans la directive « Services et médias audiovisuels » qui devrait être adoptée avant la fin de cette année pour entrer en vigueur sur tout le territoire européen au début 2010. Le Royaume-Uni est susceptible de servir de terrain-test à ces lois à cause de son avancée en matière de « convergence » des journalismes papier, vidéo et internet, et pour son marché de la publicité en ligne à forte croissance.

Celia Hampton, seconde vice-présidente de l’AJE en Grande-Bretagne et co-auteur du présent rapport, a commencé dès 2005 à recueillir les doutes et inquiétudes au sujet du projet de la Commission dans le cadre d’une consultation organisée par les médias et diverses organisations impliquées.

Pour le moment, c’est la loi commune qui s’applique à l’Internet et non pas la législation spécifique qui régule la télévision. Les sites web peuvent être poursuivis s’ils diffusent de la pornographie infantile ou s’ils incitent à commettre des actes criminels. Ils sont également assujettis aux lois plus « générales » telles que celles sur la diffamation, l’outrage à l’autorité judiciaire, la violation de copyright et la publicité mensongère.

Le besoin d’une nouvelle forme de régulation a émergé parce que les sites de diffusion vidéo très populaires comme YouTube connaissent une croissance fulgurante. De plus les journaux, les entrepreneurs indépendants, et beaucoup de particuliers mettent en ligne des vidéos sur leurs sites, attirant parfois un grand nombre de visiteurs. Sur le long terme, ces sites sont susceptibles de concurrencer, en termes d’audience, la diffusion télévisuelle traditionnelle, tant dans le domaine de l’information que celui du divertissement. C’est ce phénomène qui est connu sous le terme « convergence ».

La nouvelle directive européenne cherche à étendre une version édulcorée de la législation standard qui s’applique à la télévision, à ce que l’on appelle « les services de télévision à la demande et apparentés émergents ». Cette catégorie rassemble les sites dont l’objet principal est de diffuser une sélection de contenu vidéo et qui assument une responsabilité éditoriale sur le catalogue disponible pour l’internaute, et par conséquent celle d’informer, d’éduquer ou de divertir le public.

Ces règles appellent une auto-régulation par les hébergeurs concernés. En l’occurrence, il s’agit d’interdire les contenus incitant à la haine et ceux susceptibles de mettre en danger le développement psychologique des jeunes, et de filtrer ceux tels que la pornographie et la violence afin d’éviter facilement que des enfants y soient exposés. Des règles supplémentaires s’appliquent à la publicité. L’instauration de codes de conduite sera encouragée avec l’appui des fournisseurs de services. Chacun des Etats européen devra s’assurer que ces lois sont respectées par tous les services internet sur son territoire. Cela inclut nécessairement de pouvoir ordonner le retrait de certains contenus accessibles au public.

Conclusion et action future

Cette proposition d’auto-régulation est préférable à la régulation publique formelle (formal public regulation), mais introduit la notion de contrôle là où elle n’existait pas avant. C’est pour cette raison que ce système doit être confronté aux lois européennes sur les droits de l’Homme, mais cela ne semble pas être à l’ordre du jour. Des systèmes de procédures standards seront mis en place, et une fois installés ils pourraient facilement être utilisés pour censurer tout autre type de contenu.

Les versions précédentes de cette directive sur les Services et les Médias Audiovisuels menaçaient les sites Internet d’une application des lois sur l’audiovisuel beaucoup plus stricte. Ces projets ont été abandonnés suite à une longue période de débats et de consultations. Toutefois, durant ce processus la Commission Européenne a montré une tendance au contrôle et un manque de clairvoyance quant aux conséquences techniques et pratiques de ses propositions, jetant ainsi le doute sur son engagement sur la question vitale de la liberté des médias.

L’impact de cette nouvelle loi sur l’Internet – qui a grandi comme un support non régulé et un diffuseur libre d’informations et d’opinions de toutes sortes – devra être surveillé de très près afin de prévenir la moindre érosion de la liberté d’expression la plus basique.

Mise à jour – février 2008

Dans les quatre mois qui ont suivi la publication du rapport de novembre de l’AJE sur la liberté des médias, le Royaume-Uni a montré deux signes négatifs qui risquent de transformer la totalité du paysage médiatique européen. Le premier est le déclin rapide des titres et des médias traditionnels qui perdent de l’audience et des revenus publicitaires au profit des nouveaux médias. Le second est la crise de confiance dans les compétences et les valeurs du « vieux journalisme ».

Par conséquent, les organes d’information et leurs journalistes ont le moral en berne, craignent de perdre leur emploi ou de voir leurs conditions de travail se dégrader. En plus de paralyser la liberté des médias, cette situation encourage un état d’esprit qui fait de la liberté et de l’indépendance des notions secondaires comparées à la pérennité de l’emploi ou le fait d’éviter tout conflit avec un représentant du pouvoir que ce soit dans la sphère politique, financière ou publique.

Le déclin des grands médias : bien qu’aucun média n’ait mis la clé sous la porte, la plupart ont dû tailler dans leurs effectifs. Les journaux gratuits ont fait leur « trou », acquérant un véritable lectorat. La migration vers l’internet des journaux traditionnels a eu un impact sur leur rentabilité. D’après le Syndicat National des journalistes, ce sont près de 6000 emplois qui ont disparu dans le secteur des médias durant les dernières années.

La BBC continue de susciter une forte confiance chez le public, selon de récentes enquêtes d’opinion. Pourtant, elle a été sous le feu des critiques suite à l’affaire des appels surtaxés de jeux télévisés truqués, et au « Queengate » - une vidéo mensongère montée de manière à faire croire que la Reine a quitté une séance photo officielle sur un coup de colère. Un ajustement de la redevance audiovisuelle en dessous du niveau d’inflation a poussé l’institution a supprimer nombre de postes et de budgets.

La BBC s’est engagée dans de nouvelles activités commerciales via des accords avec YouTube, l’Itunes Media Store d’Apple ainsi que les guides de voyage Lonely Planet. Elle a également accepté la publicité sur certains de ses sites web. Tout cela a permis à la BBC de conserver son statut proéminent mais a brouillé son image de service public audiovisuel. A l’avenir, la BBC devra revoir son financement par la redevance.

La crise économique affecte également d’autres chaînes de télévision, y compris Channel 4 – un autre diffuseur public. Le grand vainqueur dans la course aux revenus publicitaires et aux parts de marché est incontestablement BskyB, partie de l’empire médiatique de Rupert Murdoch.

Plusieurs journalistes seniors ont critiqué le déclin des critères de qualité journalistiques et le nivellement par le bas dans les grands médias. Jeremy Paxman, présentateur de la BBC, a accusé les cadres de la chaîne d’une « crise de nerfs collective catastrophique ». Ils ont perdu de vue, dit-il, la nécessité de donner la priorité absolue à un journalisme pertinent et capable de faire autorité, dans la bouillie de la course à l’audience et la superficialité de l’information en continu 24/24h. Nick Davis, du Guardian, explique dans son livre « Flat Earth News » (Les actualités de la terre plate), que le journalisme factuel a été « subverti par la production massive d’ignorance ».

Il a crée l’expression « churnalism » (de l’anglais churn, qui désigne un procédé de fabrication mécanique et répétitif) pour décrire comment nombre de journalistes sont désormais contraints de travailler – sans prendre le temps de vérifier les faits ni de sortir de leur bureau, ils recyclent mécaniquement des communiqués de presse ou les articles d’un nombre toujours plus petit de journalistes qui persistent à écrire en professionnels, prenant la responsabilité de vérifier les faits et les situer dans leur contexte.

Des lois plus strictes : Les organisations des droits de l’Homme, y compris Index on Censorship, se plaignent que l’élargissement de la définition du terrorisme expose les journalistes à des poursuites parce qu’il font usages de termes qui pourraient contrevenir à la loi. Un faisceau de preuves suggère que les juges utilisent les lois anti-terroristes comme un prétexte pour réduire la couverture journalistique des procès.

L’année 2006 a accueilli la bonne nouvelle de la reconnaissance du principe d’ « intérêt du public » comme argument de défense pour des journalistes dont la responsabilité est engagée. Toutefois, la peur de poursuites judiciaires continue de dissuader le journalisme de bon droit, notamment à cause du coût astronomique que représente la perte éventuelle d’un procès.

L’automne dernier, l’incitation à la haine religieuse est devenue un crime. Cela comprend les menaces verbales et les comportements visant à monter l’opinion publique contre un groupe défini par ses convictions religieuses, mais ne met pas hors-la loi la critique ou même « la caricature, l’insulte et l’abus de langage » au sujet des croyances et des pratiques religieuses.

Liberté de l’information : Ce mois-ci, une décision du Tribunal de l’Information (Information Tribunal, institution gouvernementale créée à l’origine pour réguler la gestion des données personnelles) a apporté une victoire pour le droit du public à être informé des affaires d’intérêt national. Elle est ainsi allée à l’encontre du refus du gouvernement de rendre public le brouillon d’un rapport confidentiel sur les supposées armes de destructions massives irakiennes, écrit par le directeur des relations-presse du Foreign Office (Ministère des affaires étrangères) John Williams.

Cela a jeté le doute sur la sincérité du gouvernement qui a soutenu longtemps que ce document n’a pas été pris en compte lors de la rédaction du rapport officiel émis par le Joint Intelligence Committee (officine des services secrets spécialisée dans le le recueil et le traitement d’informations d’importance stratégique et militaire) en septembre 2002. Pourtant, en de nombreux points, les deux documents concordent jusque dans la formulation des phrases et les expressions utilisées.

Cet épisode confirme que le système encadrant la Loi sur la Liberté de l’Information fonctionne très bien et remplit son objectif de mettre fin aux mauvaises habitudes du gouvernement en matière de secrets. Le besoin du public pour un gouvernement ouvert et de confiance est très fort. Il est moins sûr que les médias puissent répondre à cette demande.

L’Union Européenne et la nouvelle Directive Audiovisuelle

La nouvelle directive sur les Services et Médias Audiovisuels entrera en vigueur dans toute l’Union le 19 décembre 2009. Son application jouera un rôle dans l’efficacité d’un nouveau régime d’autorégulation organisé par les fournisseurs d’accès internet.

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.
Illustrations :

 le drapeau de la Royaume-Uni ; source wikipedia

 le logo de l’AEJ

 logo du rapport « Goodbye to freedom »

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