Chiara Mazzone : Ainsi, la stratégie du Parlement est de se déposséder de la compétence technique pour aller vers le pouvoir politique ?
Sylvie Goulard : Oui, même si nous ne devons pas faire l’erreur de considérer que la politique au niveau européen sera organisée selon les même règles qu’au niveau national : il existe une diversité culturelle, il y a un manque de presse commune ou plutôt l’existence d’une presse commune en anglais qui dit le contraire de ce qu’on veut faire. Nous sommes comme des Américains, durant la guerre froide, qui parleraient russe.Mais nous sommes en mouvement. J’ai l’impression, par exemple, que la politique agricole commune avec la co-décision prendra un virage comlpètement différent du passé.
On l’a déjà vu pour l’accord SWIFT avec l’enphase du Parlement pour porter un peu plus de respect pour les règles européennes : personne au Parlement ne nie la nécessité d’un accord avec les Etats Unis pour l’échange des donnes données sur le terrorisme, mais ce n’est pas une raison pour ne pas respecter les règles établies. Le premier projet du Conseil était totalement incompatible avec nos règles : comment demander au Parlement de voter contre les lois qu’il a lui-même fait ? Par ailleurs, je crois que nous serons plus respectés si les Américains comprennaient qu’en Europe, il existe des interlocuteurs forts.
Chiara Mazzone : Parlons de l’Europe sur la scène internationale. La France prendra bientôt la présidence du G8 et du G20 : comment pensez-vous qu’untel état portera la voix de l’Europe dans les instances internationales ?
Sylvie Goulard : Je suis préoccupée des multiplications de ces sommet du G8- G20. En Europe, où il existe un Parlement élu au suffrage universel, on entend constamment la critique du déficit démocratique. Dans le cas de ces “réunions internationales” nous assistons à des rencontres qui ne sont pas pertinents du point de vue démocratique. De plus, ils ne sont pas légitimes : pourquoi ces pays et pas d’autres ? En politique, le critère économique ne suffit pas. Presque toute l’Afrique reste exclue : une grande partie de l’humanité n’est aps représentée dans les débats internationaux de haut niveau. Deuxième question : pourquoi discutons-nous avec des pays qui ne sont pas démocratiques ? Dans la crise, c’est irréfutable, le G20 a joué un rôle très utile et a été un exemple.
Ceci dit, le G20 ne constitue pas une nouvelle étape dans la gouvernance internationale parce qu’on y prend des décisions qui ne se traduisent pas dans des réponses pratiques. A tous ceux qui n’en sont pas convaincus, je recommande la lecture des Mémoires de Jean Monnet. Monnet était le Secrétaire général de la Société des Nations Unies : il a inventé la méthode communautaire européenne en partant de l’échec total de la SDN, où chacun portait son drapeau et ses intérêts nationaux, en l’absence d’un véritable intérêt commun.
Comme nous l’avons vu à Toronto, quand la crise est moins dure et le feu commence à être calmé, la motivation du G20 s’éteint. Le point principal n’est pas les français. Sarkozy en fera un évènement mondial parce qu’il est trop porté sur l’internationa ; durant ses présidences : nous l’avons déjà constaté avec la présidence française de l’UE en 2008. Toutefois, ça reste une attitude opoprtuniste. Il se peut que nous ayons des résultats et j’espère qu’il y en aura, mais en mesure insuffisante. Après la seconde guerre mondiale, quand l’ONU a été inventée ainqi que les accords de Bretton Woods, une génération entière a cherché à construrie des institutions plus solides et durables. Le G20 est un show : nous l’avons déjà vu à Gênes il y a quelques années. L’organisation de cet évènement crée un lieu immatériel avec lequel la population n’a aucun contact. Ces gens arrivent, font leur show et s’en vont. On l’a encore vu à l’Aquila récemment. Je ne veux pas dire qu’il ne soit pas utile de discuter, mais nous devons faire des pas en avant plus rapides vers une gouvernance mondiale de qualité avec une certaine dose de démocratie : avec ce G20, nous n’y sommes pas.
Chiara Mazzone : Il semble qu’il y ait en Europe un nouveau système de peer review, c’est-à-dire que les Etats membres se confrontent et apprennent les uns des autres. Le résultat est que l’Espagne reçoit des informations de l’Allemagne, la Finlande de l’Irlande et la France devrait observer le développement de l’économie et de la compétitivité de l’Allemagne. C’est la méthode ouverte de coordination utilisée pour les affaires socials. C’est un nouveau point de départ vers une gouvernance économique et fianncière ou une trouvaille européenne pour faire parler les Etats membres entre eux ?
Sylvie Goulard : Je dois dire que la méthode ouverte de coordination ne m’a jamais impressionnée. 10 ans sont passés depuis la naissance de la Stratégie de Lisbonne et peu a été fait. Je répète : il est utile d’entretenir entre administrations nationales, mais cette méthode n’est pas adaptée à la gravité de la situation. La Grèce a eu de sérieux problèmes à l’intérieur de la zone euro parce qu’elle n’a pas fait de réformes structurelles, elle n’a pas eu d’incitation pour aller vers plus d’Europe en termes concrets. De ce point de vue, il existe une proposition de la Commission pour une meilleure coopération d’abord dans l’Eurozone puis entre les 27 Etats membres.
Si nous retournons aux traités, tout se trouve déjà dans Maastricht : en 1992, nous avons écrit qu’à l’avenir la politique économique serait devenue une responsabilité commune. Sans réciter un fédéralisme stupide, la partie monétaire a été organisée sur un modèle fédéral avec une banque centrale non identifiable pour les citoyens et pour les interlocuteurs internationaux, avec des pouvoirs limités mais bien définis. Où il y a la définition, il y a le pouvoir. Le côté économique a été laissé à la coordination et nous n’avons pas eu de réformes structurelles ni de contrôle ou de surveillance mutuelle. C’est prévu. Quand je travaillais avec Romano Prodi à la Commission européenne en 2003 il y a eu une attaque de la France et de l’Allemagne au Pacte de Stabilité parce qu’elles ne voulaient pas être jugées comme les pires élèves de la classe. Si nous ne respectons pas les règles en Europe, l’Europe n’existe pas. L’Europe est une construction juridique. Nous avons décidé de renoncer à la violence donc il nous faut des règles communes. Chaque Etat membre, chaque personne, chaque entreprise qui ne respecte pas le droit est en train de détruire l’Europe.
Chiara Mazzone : Quel est le nouveau pas vers une gouvernance économique ? Doit-on passer par le contrôle des budgets et des opérations financières ?
Sylvie Goulard : Les deux sont nécessaires. D’un côté nous devons mettre en place une surveillance plus stricte et efficace sur les acteurs financiers. Nous avons besoin de ces acteurs : ils créent des emplois et représentent un des secterus les plus dynamiques d’Europe. Santander, Unicredit, BNP, Deutsche Bank sont des acteurs de niveau mondial, mais pour cela nous devons nous assurer que leur travail ne détruit pas l’économie réelle mais plutôt participe à une dynamique utile pour financier les projets des entreprises. Ensuite vient la nécessité de se coordonner en priorité sur les comptes publics. Un exemple : il a été décidé de ne plus avoir plus de 3 % de déficit national. Maintenant, chaque Etat membre fait sa propre évaluation de croissance à venir. Les Français disent 2,5%, les Italiens 1,5%, qui vérifie ? Sans hypothèse commune de croissance, nous ne pouvons nous comparer.
Si nous voulons avoir un travail commun sur les budgets, il faut des statistiques harmonisées ou au moins compatibles tout comme une réflexion commune chaque année sur les prospections de croissance, sur les chiffres réels, sans fixer de taux artificiels. Et je voudrai ajouter : les agences de notation de crédit sont critiquées par tous. Toutefois, ce sont justement ces agences qui ont commencé à influencer les manoeuvres des Etats en disant que les dettes publiques n’étaient pas fiables, en créant une vague de responsabilité. Les marchés ne sont pas parfaits ni transparents mais au moins sur ce point ils ont donné un kick off aux gouvernements nationaux. Jusqu’à maintenant, à part quelques pays plus vertueux comme la Finlande ou l’Autriche, la pression du traité n’est pas suffisante au sud de l’Europe.
Chiara Mazzone : Vous êtes dans une phase très importantes des négociations. Vous vous êtes réunis en trilogue avec la Commission et le Conseil qui a donné à la Présidence belge un mandat pour trouver un accord sur la supervision financière. Quelles sont les prochaines étapes ? Pour quand attendez-vous un compromis ? Quand voulez-vous voter et sur quoi êtes-vous prêts à céder ?
Sylvie Goulard : Je ne le dirai pas, mais sachez qu’il existe une volonté au Parlement et au Conseil de voir les nouvelles autorités de supervision au travail le 1er janvier 2011. Pour cela, nous devons travailler très vite. Le Parlement veut maintenir son niveau d’ambition. Pour nous, l’objectif est de créer des autorités qui aient des pouvoirs bien définis mais concrets au niveau européen, comme l’interdiction de produits toxiques ou la capacité de prendre des décisions sur les entités paneuropéennes comme les chambres de compensation des produits dérivés.
Ce sera le critère pour les rapporteurs. Nous devons faire un trade off, un compromis entre le contenu et le timing : en septembre, nous devrons décider d’avancer avec le compromis trouvé à ce moment. Encore une fois, je souligne que les objections et les obstacles ne viennent pas du Parlement et que la co-décision, procédure d’élaboration des mois européennes, prévoit deux acteurs qui doivent travailler ensemble. Le Parlement ne tolèrera pas des comportements inappropriés du Conseil (comme de nouvelles décisions à l’unanimité qui bloqueront les accords). Il faut un dialogue plus ouvert, dans lequel le Parlement devra assumer ses responsabilités.
1. Le 15 août 2010 à 08:41, par Martina Latina En réponse à : Supervision financière, G20, gouvernance économique : Sylvie Goulard fait le point - 2/2
Merci pour la transmission de ce dialogue franco-italien prometteur : car il s’agit bien désormais pour chaque citoyen européen de travailler en « équipe » eurocitoyenne, quel que soit le type ou le niveau de son activité, donc de quitter des « habitudes nationales » pour s’ouvrir à d’autres fonctionnements, pour mettre au point la méthode la plus harmonieuse et ainsi la plus efficace, en renonçant à l’impossible « introspection contemporaine », mais en gardant le cap énergique et prospectif qu’impliquent notre nom d’EUROPE (VASTE-VUE) et le proverbe voltairien brillamment paraphrasé par un récent titre de Sylvie GOULARD : « Il faut cultiver notre jardin européen ».
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