Tenants et aboutissants d’une avant-garde fédérale

Pour l’avenir de l’Europe, il n’est d’autre voie que celle d’une articulation réussie entre plusieurs niveaux d’intégration.

, par Karim-Pierre Maalej

Tenants et aboutissants d'une avant-garde fédérale

Le récent succès obtenu au sujet de la réforme institutionnelle de l’Union européenne n’a pu être arraché qu’au prix d’une reculade sur les avancées fédérales pourtant modestes du Traité Constitutionnel. Il nous semble pourtant que l’Europe ne souffre pas d’un excès de fédéralisme mais au contraire d’un manque de vision ambitieuse pour la poursuite de son intégration.

Ainsi, lorsqu’on analyse les raisons qui ont conduit à l’échec de la ratification du Traité Constitutionnel en France, on constate que ce n’est pas l’idée fédérale qui a motivé le rejet : les quelques avancées fédérales que le projet contenait faisaient plutôt consensus et, à l’exception des irréductibles nationalistes, ont été bien accueillies par les citoyens. On pourrait même avancer que c’est peut-être au contraire la faiblesse de ces avancées politiques qui a conduit une certaine partie de la population pro-européenne à rejoindre le camp des eurosceptiques, puisque l’argumentation principale contre le Traité portait sur la faiblesse des instruments de politique sociale de l’Union.

Il faut bien avouer que, contrairement au Traité de Maastricht qui s’incarnait dans le projet de monnaie unique (une réalité tangible et immédiatement compréhensible par les citoyens), le TCE demandait une certaine culture juridico-technique pour apprécier ses avancées. Ce fait, conjugué à une communication déplorable, a transformé le référendum en caisse de résonance des peurs des citoyens plutôt qu’en manifestation d’un enthousiasme que le TCE pouvait difficilement susciter.

Un manque d’ambition fatal à l’Europe

Un tel manque d’ambition, en faisant depuis une dizaine d’années du projet européen un outil de techniciens au service d’une idéologie non consensuelle, lui cause finalement le plus grand tort. C’est pourquoi il est urgent de proposer aux Européens une nouvelle utopie. Nous devons savoir où nous allons : à vélo si l’on regarde sa roue on tombe, il faut regarder au loin pour avancer.

Or si les modestes avancées fédérales du nouveau Traité Modificatif ont déjà posé autant de problèmes, on est en droit de se demander comment nous pourrions désormais continuer à progresser vers une Union sans cesse plus étroite. Il apparaît clairement que certains États, qui ont déjà par le passé refusé d’adopter l’euro, ne sont pas disposés à accepter de nouvelles avancées fédérales. Le risque est grand que cette vision ne s’impose à l’ensemble de l’Europe et ne mène à la marginalisation définitive de l’idée fédérale.

Aussi, à moins de se résigner à une paralysie de plus en plus prononcée de la construction européenne, il semble nécessaire de permettre à l’Union d’avancer significativement dès l’instant qu’une masse critique en son sein le souhaite, quitte à concevoir d’emblée plusieurs niveaux d’intégration. La règle, qui a finalement prévalu pour la monnaie unique, de limiter son extension aux seuls États qui le veulent et qui le peuvent, apparaît plus réaliste que d’attendre indéfiniment l’accord de pays notoirement opposés à toute avancée fédérale.

Deux écueils à éviter

Il convient cependant de faire face à deux écueils.

 Le premier danger, c’est que cette approche conduise à l’émergence d’une nouvelle division sur le continent européen. Nous ne devons pas recréer le Rideau de fer, et encore moins ressusciter le nationalisme à un autre niveau. Il est donc important de souligner que cette idée ne procède pas d’une démarche d’exclusion mais d’une démarche de rapprochement. Dans cette perspective, il est indispensable de prévoir les mécanismes assurant une parfaite symbiose entre ce « noyau fédéral » et le reste de l’Union et permettant à tout État membre qui le souhaite et qui en a les capacités de rejoindre à tout moment le noyau fédéral, de la même manière que nous l’avons fait pour l’euro. Il serait d’ailleurs complètement illusoire de croire qu’un noyau dur coupé du reste du continent pourrait peser durablement dans le monde : sa légitimité à influer sur les choix de l’humanité ne peut provenir que de sa force d’entraînement d’un ensemble beaucoup plus vaste. Une voiture sans moteur n’avance pas, mais un moteur sans voiture est tout aussi vain...

 Le deuxième danger, ce serait celui d’une Europe à la carte, où chaque État choisirait un par un les différents programmes auxquels il souhaiterait participer. Une telle configuration ruinerait tout le sens du projet européen car elle aboutirait rapidement à faire de l’Europe un ensemble incohérent et désuni, incapable de parler d’une seule voix. Pour éviter cet écueil mortel, il suffit simplement de regrouper toute une série d’avancées significatives dans un ensemble cohérent. Par exemple, les États volontaires pourraient participer à une nouvelle approche de la construction européenne, plus ambitieuse et plus compréhensible par les citoyens, qui rassemblerait les diplomaties et les armées européennes au sein d’une autorité fédérale sous contrôle démocratique, et capable de lever elle-même les finances requises par ces nouvelles missions.

Pour faire de l’Europe un acteur politique à part entière dans le monde de demain, il n’est d’autre voie que celle d’une articulation réussie entre une Europe large fondée sur les échanges, la régulation juridique et les valeurs de la démocratie et des Droits de l’Homme, et une Europe plus dense constituée au sein de la première par les États qui ont plus d’ambition.

Illustration : composition créée par Karim-Pierre Maalej pour le Taurillon.

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Vos commentaires
  • Le 29 août 2007 à 14:06, par david En réponse à : Tenants et aboutissants d’une avant-garde fédérale

    Cher KPM, merci poiur cette contribution. cependant, je ne vois pas en quoi le nouveau compromis est une reculade du point de vue de l’integration fédérale au sens strict. En effet, l’essentiel des mécanismes institutionnels à caractère fédéral de la constitution sont repris dans ce mauvias compromis. En revanche, ce qui a été lachement abandonné c’est le caractère démocratique de la construction européenne et donc, de mon point de vue, toute possibilité de faire évoluer rapidement l’Union vers davantage de fédéralisme.

    Les avancées se décident-elles démocratiquement ou les chefs d’Etats et de gouvernments sont ils les seuls à pouvoir le faire ? L’appel à un noyau dur ne touche pas cette question qui est pourtant le coeur du débat européen aujourd’hui. La stratégie du noyau dur se contente de rappeler une évidence (il est plus difficile de se mettre d’accord à 27 plutôt qu’à 6, 5, 4, 3, 2 ou même tout seul) sans se préoccuper de l’essentiel : comment fait on pour se mettre d’accord et sur quoi essayons nous de nous mettre d’accord (ces deux questions étant finalement les mêmes). Il me semble que les forces européennes devraient se concentrer sur cette seconde question plutôt que de se diviser bêtement sur le thème glissant de l’intégration différenciée.

    Amicalement, David

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