Traité de Lisbonne : l’Europe est-elle arbitraire ?

, par Maël Donoso

Traité de Lisbonne : l'Europe est-elle arbitraire ?

Depuis le rejet du traité établissant une Constitution pour l’Europe, suivi par celui du traité de Lisbonne par le premier référendum irlandais, un dialogue de sourds s’est engagé entre différents acteurs qui partagent une même exigence démocratique pour l’Europe, mais dont les avis diffèrent quant aux méthodes à employer.

Les mêmes arguments ont été répétés en boucle, à l’infini. Les opposants à Lisbonne affirment que les Irlandais se sont déjà prononcés sur la question, et qu’un nouveau référendum constitue un déni de démocratie. Les partisans de Lisbonne répondent que les principales craintes exprimées par l’Irlande ont été prises en compte par le nouveau texte, et qu’il est faux de dire que celui-ci est identique à l’ancien. Sur ce, les opposants rétorquent que les gouvernements d’Europe ont soigneusement évité les référendums lors de la ratification de Lisbonne, les partisans avancent que les assemblées parlementaires ont toute légitimité pour procéder à des ratifications de ce genre, etc.

Commençons donc par reconnaître que les craintes au sujet de la démocratie en Europe sont légitimes. Les adversaires de Lisbonne sont nombreux, et contrairement à des généralités qui ont été faites, tous ne sont pas des nationalistes de bas étage, désireux de saper l’Europe à force de contre-vérités et de discours populistes. La phase actuelle de la construction européenne est souvent remise en question par des citoyens qui estiment qu’elle ne respecte pas suffisamment le processus démocratique. Nous pouvons ne pas être d’accord avec leur point de vue, mais nous ne devons pas nier l’importance de cette question. Dans un souci de dialogue, il est donc utile de justifier une fois de plus pourquoi la plupart des partisans de l’Europe politique encouragent les Irlandais à voter « oui » lors de ce deuxième référendum.

Du despotisme éclairé à l’Europe démocratique

Pourquoi soutenons-nous Lisbonne, alors même que nous trouvons ce traité insuffisant et son mode de ratification contestable ? Parce que ce texte simplifiera le fonctionnement de l’Union européenne et améliorera son efficacité, et parce qu’en accordant plus de poids au Parlement européen, il permettra aux citoyens de s’exprimer plus fermement sur les orientations politiques futures, et contribuera ainsi à l’émergence de l’espace public européen que nous appelons de nos vœux. Nous savons toutefois que c’est la volonté populaire, et non les réformes institutionnelles, qui doivent soutenir l’idée européenne. Alors pourquoi l’Union donne-t-elle aujourd’hui à certains l’impression de se bâtir sans le peuple, voire contre le peuple ?

Les raisons de ce décalage sont en grande partie historiques. La construction européenne s’est d’abord fondée sur un « despotisme éclairé » [1], porté par un nombre restreint de gouvernements qui ont accepté de mettre en commun certaines de leurs ressources stratégiques, avant d’évoluer lentement vers une forme plus intégrée. Même si les citoyens prennent progressivement les rênes de l’Europe politique, les lignes directrices de cette dernière ont donc souvent été décidées sans que les populations soient directement consultées. La transformation en une Europe démocratique est loin d’être achevée, et l’Union est aujourd’hui encore dirigée maladroitement par une logique intergouvernementale, forcément inefficace et tributaire des égoïsmes nationaux.

La légitimité de l’Europe politique

Au-delà des moyens, il y a la question du projet. Lisbonne est une étape supplémentaire dans le processus destiné à créer la fameuse « union sans cesse plus étroite entre les peuples d’Europe », l’objectif esquissé étant d’établir à terme une gouvernance européenne compétente dans certains domaines clés, tels que la diplomatie ou la défense. Mais les citoyens ont-ils été explicitement consultés sur leur volonté de continuer l’approfondissement dans cette direction ? Avons-nous été appelés aux urnes pour répondre à la question : « Souhaitez-vous poursuivre le processus menant à la création des États-Unis d’Europe ? » Non, et c’est bien dommage. Pourtant, ce sont bien les États-Unis d’Europe [2], ou un autre État fédéral du même ordre, qui seront l’aboutissement logique de la construction européenne. Dans un certain sens, l’Europe politique est donc, effectivement, une construction arbitraire.

Mais n’est-ce pas le cas, également, de tous les autres États ? Nos nations actuelles ne doivent leur haut niveau apparent de légitimité qu’à leur ancienneté, et à l’inertie politique et institutionnelle qui font de la « France », de l’« Allemagne » ou de la « Grande-Bretagne » des labels unanimement reconnus et acceptés. La construction d’une entité politique n’est jamais évidente : systématiquement contestable et contestée, la création des États s’est faite la plupart du temps par la force. L’Union européenne se bâtit quant à elle par un processus de droit, et doit répondre à des exigences démocratiques élevées de la part des Européens. Sa légitimité, l’Europe politique la tire de sa culture, de son histoire commune à tous les Européens, de ses succès passés et de ses promesses pour le futur. Mais aussi, à nos yeux, de sa nécessité : car qui peut croire aujourd’hui qu’un seul de nos États pourra peser dans le monde du vingt et unième siècle sans être intégré dans une structure européenne solide et influente ?

L’« autre Europe » est une chimère

Si nous soutenons la poursuite de la construction européenne jusqu’à la création d’un État fédéral européen, c’est que nous sommes convaincus que l’avenir est dans l’intégration et non dans l’isolement des souverainetés nationales. Convaincus également que les valeurs européennes ne sont pas acquises définitivement, et que la prochaine génération aura besoin de l’Europe pour garantir sa place dans le monde, et pour assurer l’efficacité des institutions de l’État de droit, seules capables de défendre la paix et la démocratie sur le long terme. Nous ne nous satisfaisons pas de Lisbonne ni de la manière dont le traité sera (ou ne sera pas) ratifié. Nous avons nos propres propositions, par exemple la formation d’une Constituante [3]. Mais nous considérons Lisbonne comme une étape : pas la plus glorieuse sans doute, mais importante malgré tout.

À ceux qui, pour des raisons d’exigence démocratique, ont voté « non » au traité établissant une Constitution pour l’Europe, à ceux qui, pour les mêmes motifs, recommandent aujourd’hui aux Irlandais de voter « non » à Lisbonne, nous devons réaffirmer notre conviction que toutes ces étapes aboutiront à une Europe plus intégrée et plus démocratique. L’« autre Europe » que certains appellent de leurs vœux est actuellement une chimère : il existe probablement autant de projets d’Europe qu’il y a d’Européens sur notre continent, et qui aurait aujourd’hui les moyens de choisir ? La seule Europe effective est celle que nous avons sous les yeux, résultante de notre histoire et de notre culture, patiemment construite par un processus parfois tortueux, mais qui se perfectionne progressivement et tend vers davantage de démocratie. Et la meilleure manière d’orienter son évolution future passe par le Parlement et l’implication directe des citoyens dans la vie politique européenne. C’était le sens de notre campagne au moment des élections européennes, et c’est toujours notre ligne directrice aujourd’hui.

Car pour pouvoir choisir une éventuelle « autre Europe » qui répondrait mieux aux aspirations des Européens, encore faut-il disposer d’une assemblée démocratique influente, où la question puisse être débattue. Donc d’un Parlement aux pouvoirs décisionnels étendus. Donc du traité de Lisbonne…

Illustration : photographie des drapeaux irlandais et européen en face de la Commission européenne, à Bruxelles. Source : Flickr.

Notes

[1Selon les termes d’Yves Bertoncini, secrétaire général d’EuropaNova. Voir l’article Conférence « Quelle Europe pour demain ? ».

[2Voir l’article Relancer les États-Unis d’Europe.

[3Voir l’article Plaidoyer pour une Constituante.

Vos commentaires
  • Le 24 septembre 2009 à 06:24, par Martina Latina En réponse à : Traité de Lisbonne : l’Europe est-elle arbitraire ?

    Oui, les Européens doivent tout faire de manière à « protéger la liberté du Net », pour répondre à l’article précédent ! Non, « l’Europe n’est pas arbitraire » - si toutefois le libre arbitre de ses citoyens s’approfondit, mûrit et se développe...

    Or l’Europe a tout reçu pour le transmettre et le confier au fil des générations, des transformations sociales, des mutations mondiales : les communications concrètes autant qu’abstraites (vous le savez : la navigation et l’alphabet phéniciens venus en Crète, donc en territoire grec, donc sur le sol européen, AVEC LA VASTE VUE d’une certaine EUROPE emportée par un mystérieux TAURILLON) doivent l’emmener toujours mieux et plus loin dans la construction de la démocratie et de l’Union, de la justice et de la paix.

  • Le 25 septembre 2009 à 11:15, par Ronan En réponse à : Traité de Lisbonne : l’Europe est-elle arbitraire ?

    Le drame du processus « Lisbonne » c’est qu’il rend l’Europe impopulaire comme jamais depuis plus de quinze ans (juste préciser que je milite pour la construction européenne depuis que j’ai une carte d’électeur : autrement dit depuis la campagne référendaire de 1992...).

    Après quinze ans d’observation (et d’évolutions constatées) juste s’inquiéter de l’état de "détestation" croissante (le mot est faible...) d’une bonne partie de l’opinion (surtout dans les milieux populaires) à l’égard de l’UE : état d’esprit absolument catastrophique qui commence désormais à devenir très préoccupant.

    Le drame de ce processus « Lisbonne », ce que je souhaite donc bon courage à tous ceux d’entre nous qui - en allant militer - verront désormais nos concitoyens ostensiblement leur tourner le dos pour avoir soutenu l’ensemble de ce processus.

    A moins de chercher - désormais - à redresser la barre...

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