Un représentant de l’UE pour les droits de l’homme était-il nécessaire ?

, par Charles Nonne

Un représentant de l'UE pour les droits de l'homme était-il nécessaire ?
Stavros Lambrinidis, Représentant de l’UE pour les droits de l’homme Services audiovisuels de la Commission européenne

En nommant un nouvel « ambassadeur européen » en charge des droits de l’homme, l’Union européenne risque moins d’améliorer l’efficacité de son action internationale dans le domaine des libertés que de diluer sa représentation à l’étranger.

La décision fut prise par le Conseil, et unanimement applaudie : le 25 juillet, le Grec Stavros Lambrinidis a été nommé représentant spécial de l’Union européenne pour les droits de l’homme, devenant le premier titulaire de cette fonction. L’objectif déclaré de ce nouveau représentant est que l’Europe s’exprime d’une seule voix sur les questions relatives aux libertés et à la démocratie dans le cadre d’une action extérieure concertée.

Plusieurs personnalités furent proposées à ce poste, et notamment le Français François Zimeray, actuel ambassadeur de France pour les droits de l’homme, dont la candidature fut rejetée par Catherine Ashton. Le Parlement européen ayant joué un rôle décisif dans sa création, les eurodéputés ont constamment insisté pour que le nouveau représentant soit issu de leurs rangs.

Force est de constater que M. Lambrinidis bénéficie d’une certaine notoriété sur la scène internationale et européenne : ancien avocat, connaisseur des dossiers relatifs aux libertés, il fut membre du Parlement européen de 2004 à 2009 dans le groupe social-démocrate, puis ministre grec (PASOK) des affaires étrangères de juin à novembre 2011. Son installation dans ses nouvelles fonctions eut lieu le 3 septembre, aussitôt suivie par une audition au Parlement européen.

Action de l’Union dans le domaine des droits de l’homme

La nomination d’un représentant spécial fait écho au manque de visibilité de l’Union européenne, et en particulier de sa Haute représentante, dans le domaine des droits de l’homme et de la promotion des libertés. Tout au long du processus de nomination, les députés européens ont régulièrement rappelé la nécessité d’une action efficace et lisible de l’Union. Cependant, les premières critiques sur la pertinence d’une telle fonction ont fleuri cet été. Martin Schulz, président du Parlement européen, a souligné qu’il revenait à M. Lambrinidis de définir sa mission après sa prise de fonctions, exprimant involontairement le degré d’impréparation dans lequel sa nomination fut décidée. Le volontarisme du Parlement européen sur ce sujet révèle également le risque que le nouveau représentant spécial ne soit qu’un interlocuteur des eurodéputés en matière de promotion des droits de l’homme et de la démocratie à l’étranger.

M. Lambrinidis a d’ores et déjà prévenu que son mandat lui imposerait de développer des relations bilatérales et multilatérales avec de nombreux partenaires et dans des domaines pouvant aussi bien être liés à l’économie qu’à l’aide au développement. Il a par ailleurs annoncé qu’il concentrerait son action sur les situations de crise en essayant de mettre en œuvre les instruments les plus efficaces. Des proclamations aussi ambitieuses ne peuvent manquer de provoquer certaines interrogations quant aux réelles capacités d’action du nouveau représentant de l’Union pour les droits de l’homme, ainsi qu’à la cohérence globale de l’action de l’Union en la matière.

Des ambitions légitimes, inadaptées aux moyens mis en œuvre pour les concrétiser

L’objectif d’améliorer la visibilité de l’action européenne en matière de droits de l’homme est certes louable, mais il n’est pas certain que les moyens alloués à cet objectif soient suffisants pour que M. Lambrinidis, malgré ses talents et compétences, puisse mettre en œuvre des actions déterminantes. Au jour de son installation dans ses nouvelles fonctions, le budget accordé au représentant spécial était encore totalement inconnu, empêchant de facto toute planification à moyen terme. Une équipe a certes été mise en place pour seconder le représentant dans ses fonctions, mais son effectif s’élève aujourd’hui à deux personnes.

La principale crainte qu’engendrent de telles considérations est celle d’un représentant qui se contenterait d’affirmer de bonnes intentions et de multiplier des communiqués de presse tout en constituant un doublon aux politiques déjà existantes.

Une dilution délétère des responsabilités dans le domaine de la représentation extérieure de l’Europe

Il n’est évidemment pas question de remettre en cause les capacités de M. Lambrinidis pour exercer ses nouvelles fonctions. Le problème n’est pas l’homme, mais bien le poste qu’il occupe. A l’heure où l’on critique la profusion de personnalités représentant l’Union à l’étranger, une nouvelle fonction s’ajoute à cette multiplicité. Il se pourrait ainsi que l’action du représentant spécial se surajoute à celle de la Haute représentante de l’Union pour la politique étrangère, du président de la Commission européenne José Manuel Barroso et du président du Conseil européen Herman Van Rompuy, sans oublier le rôle non négligeable du président du Parlement européen. Le souci d’harmoniser l’action des 27 Etats membres est ici présent, mais il semblerait risqué de déposséder Mme Ashton d’un nouveau pan de ses compétences. L’expérience d’un éphémère secrétariat d’Etat français aux droits de l’homme (occupé par Rama Yade de 2007 à 2009) a montré les difficultés d’une coexistence entre un chef de la diplomatie et une « chef de la diplomatie bis » affectée à un domaine précis. Malgré les précautions prises par le Conseil lors de la création du représentant spécial, la question du partage des compétences reste entière.

Un dernier acteur, dominant en matière des droits de l’homme, pourrait être concurrencé par l’action de M. Lambrinidis : le Conseil de l’Europe est en effet une institution qui, davantage que l’Union européenne, parvient à porter un discours cohérent et visible sur la scène internationale. Il est probable que l’Union ait davantage intérêt à renforcer son action en matière de libertés en affermissant son partenariat avec une organisation internationale rassemblant 47 Etats européens.

Il serait imprudent d’insulter l’avenir en affirmant que le nouveau représentant spécial de l’Union pour les droits de l’homme ne dispose aucunement des moyens de son action. Néanmoins, une vigilance toute particulière s’impose, tant les conditions de la nomination de M. Lambrinidis sont incertaines. L’Europe souffre d’une incontestable boulimie de sa représentation à l’étranger ; était-il judicieux d’ajouter une voix supplémentaire à la cacophonie européenne ?

Vos commentaires
  • Le 11 octobre 2012 à 10:55, par Valéry En réponse à : Un représentant de l’UE pour les droits de l’homme était-il nécessaire ?

    C’est vrai ça qu’est-ce qu’elle deviens Catherine Ashton ?

    L’article semble ignorer la véritable utilité de ce type de fonction : pouvoir prétendre qu’on se préoccupe des droits de l’homme dans les relations internationales pendant que les personnes aux affaires, celles qui ont de véritables responsabilités, s’en abstiennent pour pouvoir signer des contrats avec les dictatures chinoise ou russe.

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