Des Sciences Humaines…
En quête d’autres matériaux de construction que l‘Histoire, c’est d’abord vers d’autres composantes des Sciences Humaines que nos yeux vont se tourner. Aux côtés de cette matière à lettres qu’est l’Histoire siègent en effet pour le lycéen, quelle que soit sa filière, la littérature et la philosophie. Un manuel de Philosophie Européenne ? Voilà sûrement une entreprise que l’on pourrait qualifier d’obsolète si l’on juge que tant Descartes que Kant appartiennent au patrimoine commun de l’Humanité. Les réhabiliter dans leur creuset “national” au service d’une exaltation proprement nationale à son tour serait certainement une entreprise bien maladroite. Un constat identique pourrait être dressé quant à la littérature. De Jean-Jacques Rousseau à Goethe, il n’y a après tout qu’un fleuve, c’est le Rhin. Si l’horizon des lettres semble donc nous offrir peu de matériaux, la liste des enseignements laisse subsister d’autres possibilités.
Aux Sciences Sociales…
Pour aborder l’une d’entre elles, il nous faut prendre un peu d’altitude. La géographie, en permettant de localiser, apparaît en effet comme l’un des moyens de rendre à la fois concrète et sensible la connaissance d’un territoire, d’un continent. Le défi est dès lors de rendre lisible l’étendue d’un espace qui connaît des frontières monétaires (l’euro), politiques (Schengen) voire géographiques, car il semble indéniable que cette superposition de cartes de l’Europe ne facilite pas sa compréhension. Émettons ainsi l’idée d’une meilleure association des connaissances géographiques entre le local (entendez l’échelon national) et l’européen. L’expression « frontière naturelle » n’a encore du sens que si c’est bien au naturel, c’est à dire au géographique que l’on accorde la primauté. À défaut de savoir ce qui cache dessous, peut-être devons-nous opérer un retour aux cartes pour améliorer sans cesse la perception géographique d’un espace qui se veut commun. Si les Alpes ont des versants plurinationaux, il s’agit bien d’une chaîne de montagnes européennes. C’est au pied de chaque versant de la montagne que doivent se poser les yeux de l’observateur s’il veut avoir une vue d’ensemble, c’est à dire européenne.
Ce détour par les sciences sociales permet par ailleurs de s’intéresser à un autre sillon dans lequel serait susceptible de germer la conscience européenne. Si l’on s’est intéressé plus haut à l’espace, que dire de sa mise en valeur ? Or c’est justement à l’économie que revient cette charge. Décrit comme un marché de 480 millions d’habitants, l’espace européen a indéniablement les traits d’un espace économique unifié et intégré. Or, se résoudre à dire que les modes de consommation, de production ou les cultures d’entreprises seraient en tous points identiques viendrait à faire mentir le credo européen. Celui-ci n’a en effet de sens que dans l’union dans la diversité. Quoique la concurrence soit parfois âpre dans les échanges mondiaux, même entre pays d’un même ensemble économique, mettre en valeur la diversité des atouts qui font l’Europe économique permettrait sans doute à ses agents de mieux saisir les traits d’une construction que dissimulent ou rendent parfois opaques les gaz ou brouillards émanant de Bruxelles. Introduire puis accroître les modèles comparatifs, via par exemple les graphiques ou tableaux dans les manuels de sciences économiques, c’est faire davantage le jeu de la complémentarité que de la concurrence.
En conclusion, il nous semble donc possible d’engager des processus similaires à ceux engagés pour la réalisation du manuel commun d’Histoire franco-allemande. Le champ des Sciences Sociales pourrait notamment fournir l’un de ces terreaux si l’on considère que l’Europe doit s’incarner tant dans la lettre que dans l’esprit des lycéens européens.
Enfin, il convient de rappeler que ces lignes n’ont aucune vocation programmatique. Avec candeur, elles cherchent davantage à rendre moins aride un débat qui se résume parfois à un flot sémantique fait d’architecture, d’infrastructure, de superstructure…
1. Le 2 mars 2009 à 22:26, par Cornélis Sweeling En réponse à : Un regard tourné vers l’Histoire européenne et au-delà
Cher Monsieur Neu. Votre article est très intéressant.
Mais inutile de vous dire que votre vision anti-européenne transpire tout au long de votre texte.
Vous prêchez indéniablement pour une vision plus « géographique » de l’Europe, le retour à la primauté de « la frontière naturelle » etc. Comment dès lors pouvez-vous affirmer qu’il serait absurde de retrouver Kant, Rousseau ou encore Goethe, qui a voyagé en Italie à la fin de sa vie, au sein d’un même manuel de philosophie européenne, puisqu’ils transcendent par leurs idées, leurs textes, leurs projets de paix perpétuelle, une « certaine idée » de l’Europe ? L’idée d’une Europe en paix. La géographie a tracé des « frontières naturelles », dont vous affirmez d’ailleurs la primauté. Mais ces mêmes frontières géographiques sont constamment mouvantes : l’unité ou la paix, ne se bâtissent pas sur des choses que la nature a imposée. Vous qui êtes historien, vous savez qu’elles résultent de la volonté propre de l’homme, de ses combats, de ses idées. On sait que combien à travers l’Histoire, et particulièrement l’histoire contemporaine, les peuples se sont entre déchirés pour des histoires de frontières. Dès lors, proposer cette vision uniquement géographique de l’Europe au sein de manuels pour lycéens ou collégiens serait mensongère et fausse.
L’idée d’un manuel sur l’Europe est intéressante à partir du moment où elle propose et recoupe une multitude de domaines divers : l’Histoire, la Philosophie, la Géographie, les Langues, l’Economie etc. Mais ne faites donc pas de cette idée de « frontière naturelle » l’enjeu et le paramètre incontournable pour définir l’Europe. C’est un jeu dangereux.
2. Le 7 mars 2009 à 20:16, par Aurélien Neu En réponse à : à Cornélis
Cher(e) Cornélis, C’est d’abord à votre patience que j’adresse mes remerciements tant celle-ci a dû être sollicitée à la lecture de mon article. Je n’oublie pas non plus d’honorer la courtoisie avec laquelle vous m’avez gentiment répondu dans votre commentaire. J’ai apprécié notamment votre pointe. Me voilà en effet averti du danger. Les tenants des “frontières” n’ont pas bonne presse auprès des partisans de l’ouverture dont vous vous réclamez certainement. Alors oui, Goethe est allé en Italie comme tant d’autres avant lui. Cela suffit-il à faire de lui un Européen parce qu’il a franchi les Alpes ? Contrairement à ce que vous affirmez avec tant d’emphase, je n’ai jamais invoqué une “vision géoraphique” de l’Europe. Je n’ai pas non plus, bien m’a en pris d’ ailleurs, poser la question de la limite géographique de l’Europe. Timidement, j’ai simplement suggéré, et non “affirmé” ou “prêché” selon vos termes, d’améliorer la connaissance de l’espace naturel européen. Par ailleurs, il me semble que pour mieux se connaître, il vaut mieux savoir où sont ses limites. Même pour ceux qui, peut-être comme vous, sont persuadés d’avoir un bras si long que ce dernier doit leur permettre de tenir entre leurs mains, européennes, la moitié du continent eurasiatique. Enfin, si vous usez du mode impératif à mon égard, vous me permettrez certainement d’en faire autant non sans courtoisie. Respectez donc l’auteur de la formule que vous invoquez. Pour celui-ci, il n’y avait qu’une seule "certaine idée" qui valait, qui vaut et qui vaudra.. c’est celle de la France. Cordialement,
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