Vers une Belgique 2.0 ?

, par Gilles Johnson

Vers une Belgique 2.0 ?
Leslie Sachs, certains droits réservés

Le 10 octobre dernier, Elio di Rupo présentait, en présence des négociateurs francophones et néerlandophones, la sixième réforme de l’Etat belge. Si cette réforme fut saluée par nombre d’observateurs politiques des deux côtés du pays, elle a immédiatement suscité inquiétudes, voire critiques surtout dans la partie sud de la Belgique, certains voyant dans ce nouvel accord la fin d’une certaine Belgique. Que penser que cette « Belgique 2.0 » qui déplace le centre de gravité de l’Etat fédéral aux entités fédérées tout en renforçant le cadre institutionnel belge ? Analyse

Après très exactement 483 jours de blocage, de mélodrame et autres bisbilles, partis francophones et néerlandophones ont bouclé la sixième réforme de l’Etat belge, prélude à la formation d’un gouvernement en plein exercice avec sa tête, sauf énorme surprise, Elio di Rupo, actuel formateur et président du Parti socialiste francophone.

Les grandes lignes, négociées durant tout l’été, sont connues : scission de l’arrondissement judiciaire et électoral Bruxelles – Hal – Vilvorde, nouvelle loi de financement, nouveaux transferts de compétences entre l’Etat et les régions, modernisation du Sénat en chambre des entités fédérées… un accord qui a été finalisé, présenté au roi Albert II et qui doit être encore voté par la Chambre des représentants mais qui devrait recevoir la bénédiction de cette dernière sans problème majeur.

La fin d’une certaine Belgique ?

Cette nouvelle réforme de l’Etat marque la fin de plus d’un an de négociations marathons plus ou moins chaotiques, mais également une nouvelle étape dans l’évolution de la Belgique, une Belgique 2.0. Pour autant, si l’accord suscite un certain soulagement, il n’exalte pas les foules, tant le Belge lambda (qu’il soit francophone ou néerlandophone, sans oublier le germanophone) n’affiche qu’un désintérêt poli à la situation politique du plat pays et s’est détourné de ses responsables, souvent à juste titre.

Mais c’est plutôt chez les francophones que les réactions sont les plus vives, certains comme le bloggeur Marcel Sel ne cachant plus leur scepticisme, de même que les observateurs étrangers tel le journaliste français Jean Quatremer, qui voit dans cette nouvelle réforme de l’Etat, une capitulation des responsables politiques wallons face aux revendications flamandes.

Pour eux, la Belgique 2.0 serait le point de départ vers un démantèlement du plat pays au profit de l’avènement d’une Vlaanderen Republiek (République de Flandre) à la grande joie d’un Bart de Wever et d’une N-VA triomphants. Un point de vue qu’il convient néanmoins de nuancer dans la mesure où si la sixième réforme de l’Etat consacre certains points de l’accord favorables aux néerlandophones – comme la scission de BHV – certains garde-fous ont été judicieusement mis en place par les négociateurs francophones afin de retarder (au mieux, compliquer si on se place dans une logique un peu plus optimisme) une éventuelle scission du plat pays, prélude à une indépendance de la Flandre.

C’est notamment le cas dans cette fameuse scission de BHV et son volet électoral mais également dans la loi de financement qui maintient le principe de péréquation entre la riche Flandre et la Wallonie (sans oublier Bruxelles) mais également et surtout d’importantes compétences de l’Etat fédéral notamment en matière de Sécurité sociale et de Retraites.

Un fédéralisme renforcé

Dès lors, on est encore loin de la révolution copernicienne réclamée par Bart de Wever mais plutôt à un renforcement de la structure fédérale, complétée ci-et-là de quelques garde-fous visant à assurer pour quelques années encore, l’existence du plat pays. Mieux, c’est cette même structure qui rend une éventuelle scission de la Belgique plus compliquée dans la mesure où les Flamands auraient beaucoup à y perdre, notamment Bruxelles qui tomberait sous le giron de Wallonie, la région francophone.

Une structure enfin qui, si elle accorde davantage de place et de rôle aux entités fédérées (c’est-à-dire, les régions mais aussi les communautés linguistiques), ne réduit pas celle de l’Etat qui joue à ce titre, un rôle d’arbitre et de garant.

Une question de sagesse

La réforme de 2011 n’est pas parfaite et sans nul doute elle mécontentera nombre de Belges, francophones et néerlandophones. Mais par essence, un compromis n’est jamais parfait. Il se doit en revanche d’être équilibré et surtout équitable afin de ne pas humilier telle ou telle partie. A ce titre, les Francophones l’ont bien compromis, eux qui avaient été sourds aux revendications flamandes au lendemain de l’élection de 2007, une attitude qui a provoqué une certaine radicalité des partis néerlandophones, nationalistes mais aussi sociaux-chrétiens et, dans une certaine mesure, libéraux en tête.

Dès lors, charge pour les Francophones d’assurer nombre de garanties et c’est tout le sens de la sixième réforme de l’Etat, une réforme qui se place toujours dans un cadre belge et non dans l’optique d’un démantèlement du plat pays. Un accord qui aurait été bien difficile de conclure en présence de Bart de Wever, dont l’intransigeance et l’absence de culture de compromis ont clairement été démontrées lors des précédents mois.

Plutôt que d’évoquer une capitulation des francophones, c’est de « sagesse » qu’il convient de parler. Sagesse face aux revendications flamandes qui furent prises en compte tout en plaçant nombre de garde-fous, dans l’hypothèse d’une sécession de la Flandre. Une sagesse qui permet en tout cas au plat pays de sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouvait depuis juin 2010, et qui ouvre la voie à cette Belgique 2.0, cette Belgique au fédéralisme renforcé.

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Vos commentaires
  • Le 22 octobre 2011 à 01:44, par Marcel Sel En réponse à : Vers une Belgique 2.0 ?

    Cher Gilles,

    Je n’ai pour ma part pas parlé de capitulation, j’ai fustigé le triomphalisme des négociateurs et pointé le fait que la condition à la survie de la Belgique est un rétablissement des partis démocrates en Flandre. J’ai aussi indiqué que la réforme ne réglait aucun des problèmes communautaires à terme, et que donc, elle était tout aussi profitable à la N-VA que la « résistance » des partis francophones en 2007. Cette résistance était nécessaire parce que la vision que les partis flamands, particulièrement le cartel CD&V-N-VA lui imposait était celle de deux États indépendants côté à côte, et cela impliquait de facto un pouvoir inacceptablement excessif de la Flandre sur Bruxelles. Il n’y avait pas de véritable revendication culturelle ou sociale flamande, il y avait un projet de Belgique qui ne pouvait en aucun cas être accepté par les Francophones et une attitude extrêmement rigide de la Flandre, au point qu’ Herman Van Rompuy a, avant toute négociation, déposé une Loi réglant unilatéralement la question de BHV. Mais ça, vous l’avez peut-être déjà oublié, tout comme la revendication de l’abolition des facilités pour les Francophones de la Périphérie… Ah ! la mémoire. Quelle rosse ! :-))

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